"Antigone" de Jean Anouilh. (1910-1987).
Antigone
Jean Anouilh (1910-1987)
Résumé :
Tous les personnages sont en scène. Le Prologue (l'héritier du Coryphée, chef de cœur) s'avance et les présente un à un. Antigone, sérieuse, est toute à son destin. La belle et riante Ismène parle avec Hémon, le fiancé d'Antigone. Créon, le vieux roi fatigué, médite auprès de son page sur la tâche difficile de mener les hommes. Sa femme Euridyce, tricote. Elle tricotera inlassablement, jusqu'à ce que son heure vienne de mourir. Restent à présenter la nourrice, le messager et les trois gardes, absorbés par leur partie de cartes. Les onze personnages se retirent avec le Prologue.
Thèbes est sauvée, la guerre civile est avortée. Polynice, le traître, le voyou, a levé les armes contre le royaume de son père et Etéocle, le prince loyal, a défendu la ville vaillamment, en héros. Les deux ennemis se sont entre-tués et gisent, enlacés dans la mort.
Afin de rétablir l'ordre, le roi Créon, oncle des jeunes princes, ordonne des funérailles grandioses et élève une sépulture de marbre à Etéocle, le héros terrassé. Mais il jette en pâture aux vautours le cadavre de Polynice. « Quiconque tentera de l'ensevelir sera condamné à mort », tel est l'ordre implacable du roi.
A l'aube, Antigone la noiraude se glisse hors du palais et parvient, à l'aide d'une pelle d'enfant, à recouvrir partiellement le corps de son frère. Elle rentre à pas feutrés et croise sa bonne nourrice à qui elle tient un discours étrange elle lui demande de faire tuer sa chienne si, un jour, elle n'était plus là pour lui parler. Sa sœur Ismène, au courant du terrible projet, a bien tenté de la raisonner; elle ignore qu'Antigone, n'écoutant que sa voix intérieure, a déjà bravé l'ordre du roi, et se propose même de retourner sur les lieux interdits pour terminer sa tâche. Il lui reste à formuler les paroles les plus douloureuses à l'égard de son fiancé. Hémon, qui a promis de se retirer sans un mot dès qu'elle aurait fini de parler, entend avec stupeur que «jamais, jamais, elle ne pourra l'épouser ».
Créon apprend, de la bouche d'un garde veule et médiocre, que quelqu'un est allé sur la fosse. Peu de temps après, Antigone, qui y est retournée en plein jour, entre, escortée. Créon, stupéfait, tente dans un premier temps d'étouffer l'affaire. Mais Antigone ne l'entend pas de cette oreille; persuadée d'accomplir son devoir, elle avoue qu'elle recommencera. Tentant un autre type d'argument, Créon essaye de calmer l'orgueilleuse en lui disant que ces rites sont absurdes, qu'ils ne signifient rien. Mais, au-delà de ces gestes symboliques, c'est pour elle-même que la petite fille a décidé de mourir, au nom de sa propre liberté. Créon lui explique alors les rouages du gouvernement : l'acte de laisser pourrir un cadavre au soleil lui répugne, mais il faut un héros et un coupable, à la face de tous, pour que l'ordre soit rétabli. Il va même plus loin et révèle à la jeune fille une vérité bien laide : les corps des deux frères - aussi traîtres l'un que l'autre - étaient méconnaissables. Le moins abîmé a été choisi pour recevoir les honneurs. À une Antigone enfin ébranlée, Créon dépeint son avenir : une vie tranquille, au côté d'Hémon, en un mot, le bonheur. Mais Antigone ne veut pas de ce bonheur égoïste et mensonger, fait d'habitudes, de compromis et d'usures. Elle hurle, comme une furie; insulté, à bout de nerfs, Créon, vaincu, appelle ses gardes. Le sort, en est jeté : Antigone a cherché la mort, elle l'aura.
Le messager vient annoncer qu'Antigone s'est pendue dans sa tombe. Hémon, après avoir craché au visage de son père, s'est tué de son épée. Eurydice s'est suicidée en apprenant la mort de son fils. Le vieux roi resté seul s'apprête à reprendre le lourd travail. Seule retentit dans le silence d'une Thèbes apaisée la voix à jamais limpide d'Antigone.
Pistes de lecture :
Pièces noires, roses, grinçantes... : quelques jalons.
Dès sa plus tendre enfance, Jean Anouilh est sensibilisé à la scène et au phénomène du spectacle. Il rêve de vivre dans une troupe et écrit, vers 12 ans, ses premiers essais dramatiques en vers.
En 1928, deux rencontres orientent sa carrière : Giraudoux, dont la représentation de Siegfried le fascine, et Cocteau.
Après un bref détour par
En 1942, Anouilh regroupe sous des termes génériques ses différentes pièces. Les Pièces noires comprennent quatre pièces dont L'Hermine, tandis qu'un second groupe - les Pièces roses - contient notamment Le Bal des Voleurs. La même année, Anouilh écrit Eurydice et Antigone. Cette dernière œuvre connaît un triomphe.
Après la libération, le registre d'Anouilh se modifie. Les Pièces grinçantes sont dominées par un accent cruel et féroce. Sa technique théâtrale s'affine. Il insère dans ses pièces des anachronismes, des mises en abyme (théâtre dans le théâtre).
En 1953, L'Alouette renouvelle le triomphe remporté par Antigone. Anouilh y explore les multiples possibilités de l'adaptation historique en mettant en scène Jeanne d'Arc. En 1959, Beckett ou l'Honneur de Dieu rencontre le même enthousiasme.
Anouilh ne se contente pas de monter ses propres pièces, il met également en scène les grands classiques: Molière, Shakespeare...
Après une période plus calme (62-68), il écrit un de ses chefs-d'œuvre qu'il insérera dans les Pièces baroques: Cher Antoine.
Ce long parcours fait de lui un des maîtres du théâtre contemporain.
Au fil du temps, le mythe réinventé :
De siècle en siècle, les plus grands auteurs ont redonné aux histoires antiques, érigeant les conflits ancestraux en sagas et les thèmes éternels en mythes. Ils ont immortalisé des personnages légendaires. Qui ne connaît les destins singuliers d'Ulysse, d'Œdipe, d'Iphigénie ? Parmi ces héros, Antigone reste l'une des figures les plus attachantes. De la tragédie de Sophocle (496-406) à nos jours, le personnage inspira nombre d'auteurs, poètes et dramaturges : Luigi Alamanni (XVI°), Jean de Rotrou (XVII°), Vittorio Alfieri (XVIII°)... Jean Anouilh et Jean Cocteau (XX°). Honegger utilisera le texte de Cocteau comme livret de son opéra : Antigone (1927).
Une tragédie moderne :
Si Anouilh nous présente une tragédie structurée comme celle de Sophocle (importance du prologue, corps et dénouement similaires), il y introduit la notion de modernité. Loin des vers du grand poète grec, le langage d'Anouilh est une prose simple, familière, accessible. Ses personnages, antiques, sont profondément ancrés dans notre époque, et ce par des anachronismes habilement introduits : voitures de courses, cigarettes, fusil. L'influence de Giraudoux est, à ce point de vue, flagrante. Dans le même esprit, Anouilh ne conçoit pas les costumes à l'antique, mais bien neutres et intemporels.
L'Antigone d'Anouilh: une héroïne accessible et fragile :
Par le biais de la mise en scène et du langage, Anouilh ancre sa pièce dans un univers quotidien. Il en va de même pour ses personnages qui incarnent une conception nouvelle du héros. Il troque la belle et forte Antigone de Sophocle contre une petite fille maigre, pas très jolie, un peu colérique mais très tendre. Si elle est rebelle comme l'autre Antigone, sa révolte ne s'inscrit pas dans un contexte divin, mais bien face aux attitudes des hommes : elle rejette les compromis et dit non à ce qu'elle ne comprend pas, ou à ce qu'elle entrevoit: un bonheur sans surprises.
Anouilh lui donne le don d'évoluer : la petite fille butée au début de la pièce se mue en jeune fille lucide. Pourtant, il est bien difficile de déterminer pourquoi elle choisit de mourir... Pour rien ? Anouilh nous introduit dans l'univers de l'absurde, où l'homme ne peut plus se raccrocher à quelque certitude, dans un univers mouvant où, livré à lui-même, protège son bonheur fragile contre les assauts de ses insatisfactions et de ses inquiétudes.
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