Philoforever

Aperçu de quelques philosophes de la période médiévale, "scolastique".

La philosophie médiévale :

de saint Augustin à saint Thomas

 

 

   C'est par saint Augustin avant tout que l'inspiration platonicienne va se perpétuer ; mais il faut ajouter à cette prestigieuse influence celle d'un auteur inconnu qui se donnait pour saint Denys, disciple de saint Paul. C'est le Pseudo-Denys, Denys l'Aréopagite, auteur au V° siècle, d'ouvrages tels que : Les noms divins, la Hiérarchie céleste. Le sens de son œuvre est celui d'une transposition chrétienne de la philosophie de Plotin (cf. : vie et doctrine de Plotin dans cette même rubrique : « Le coin des philosophes ») : Dieu est transcendant et ineffable, mais il est le principe de toutes choses, les créatures sont des effusions de sa bonté à laquelle elles participent selon leur place dans l'ordre de la Providence.

   Boèce (470-525), chrétien d'éducation grecque, essaya de créer un milieu de haute culture à la cour de Théodoric. Son rôle essentiel est d'avoir traduit quelques traités d'Aristote en latin. Jusqu'au XIII° siècle les philosophes chrétiens, ignorants du grec, ne connurent Aristote que par l'intermédiaire de Boèce.

   Du VI° au IX° siècle, les invasions barbares mettent en sommeil la pensée occidentale. La tradition philosophique n'est plus perpétuée que dans les écoles monastiques de l'Angleterre et de l'Irlande. C'est un abbé de Cantorbéry, Alcuin, que Charlemagne appelle en France quand il décide de créer des écoles. Le « scolasticus » est un maître enseignant dans ces écoles monacales ou épiscopales. C'est de là que vient le nom de « scolastique » donné à la philosophie chrétienne du Moyen-âge. Cette philosophie consiste en principe non dans une création originale, mais dans le commentaire par le maître de documents plus anciens. C'est une explication de textes qui va de l'explication grammaticale (1/ littera) à l'explication de la pensée (2/ sensus), à l'intelligence plus poussée de la doctrine 3/ sententia).

   La liberté des discussions est toujours limitée par le contenu de la Révélation, par la foi commune. Cette situation est bien exprimée par la célèbre formule : « Philosophia ancilla theologiae », la philosophie est la servante de la théologie. Cependant les rapports entre foi et raison ne furent pas toujours à cette époque envisagés de la même manière. On distingue communément trois périodes :

1/ L'influence platonicienne et néo-platonicienne prédomine du IX° siècle à la fin du XI° siècle. C'est la période de saint Anselme.

2/ La seconde période comprend tout le XIII° siècle, c'est le grand siècle du Moyen-âge que Saint Thomas d'Aquin va mettre sous le signe d'Aristote.

3/ Au XIV° siècle la scolastique entre en décadence. Les mystiques jugent la philosophie inutile.

   Une des grandes questions débattues au Moyen-âge est la querelle des universaux. Le problème avait été posé par le disciple de Plotin, Porphyre, dans son Introduction aux Catégories, ouvrage traduit par Boèce : les idées générales, l'idée d'homme, l'idée d'oiseau etc… correspondent-elles à une réalité en dehors de nous ou sont-elles de pures abstractions de l'esprit ? C'est sur ce problème qu'Aristote s'était opposé à Platon : pour Platon l'universel est la vraie réalité. Les apparences concrètes individualisées ne sont que le reflet des Idées. Pour Aristote, s'il n'y a de science que du général, il n'y a de réel que les individus : autrement dit  la pensée opère par des concepts, par des idées générales mais seuls les individus concrets existent réellement. Ce qui existe ce n'est pas l'homme en général, c'est untel, Socrate ou Callias. Durant tout le Moyen-âge, ce problème des universaux, i.e. des idées générales, agita les écoles et suscita de nombreux conflits. Parmi les platoniciens, appelés réalistes, parce qu'ils croient à la réalité de l'idée générale, il faut citer Saint Anselme puis Guillaume de Champeaux (1070-1121) : selon lui l'universel seul a une réalité, les individus ne sont que des accidents. Tout à l'opposé Roscelin (1050-1120), chanoine de Compiègne, affirme que l'individualité est le tout de la substance. Les universaux ne sont rien de réels : seulement des mots, des noms, « flatus vocis ». Roscelin est le chef de file des nominalistes.

   Abélard (né à Pallet, près de Nantes, en 1079, mort en 1143), resté célèbre par son éloquence, son talent de professeur, sa passion pour Héloïse et le malheur qui en résulta (Abélard paiera cher cet amour, d'une mutilation – castration - restée célèbre : cf. : « Correspondance d'Héloïse et d'Abélard ») fut élève de Roscelin et de Guillaume de Champeaux. Sa doctrine est appelée conceptualisme. Il pense que l'idée générale est tirée par abstraction des réalités individuelles (c'est l'universel « post rem »). Mais le concept n'est pas un simple mot. C'est un rapport rationnel, un jugement. Le jugement exprime donc les rapports des choses mais ces rapports expriment les idées de Dieu : on trouve donc réalisé dans l'idée divine l'universel (« ante rem »).

   On s'arrêtera maintenant sur saint Anselme, déjà évoqué et certainement le plus décisif des penseurs du XI° siècle (1034-1109).

a/ Archevêque de Cantorbéry à partir de 1093, il se rattache à la tradition augustinienne, donc par-delà saint Augustin à Platon lui-même. Il reprend les idées de saint Augustin sur les rapports de la raison et de la foi, idées qu'il résume dans sa devise : « Fides quaerens intellectum », la foi cherchant la lumière. La foi doit chercher à s'éclairer par la raison : loin de discréditer la raison, la foi l'oriente, lui propose une matière de réflexion. Sans doute les dogmes ne nous sommes-t-ils connus que par l'autorité de la parole divine, mais le croyant doit réfléchir à ces dogmes, en chercher les motifs. Il peut procéder pour cela, sur le mode de la dialectique  ascendante platonicienne s'élevant de la croyance vulgaire à l'intuition du Bien par l'intermédiaire de la raison discursive, encore que la foi ne soi ni simple croyance, ni même intuition strictement intellectuelle, mais vertu théologale et don de Dieu.

b/ Autre apport philosophique considérable de saint Anselme : la formulation de ce que l'on nommera plus tard à la suite de Descartes, la « preuve ontologique » de l'existence de Dieu. Cette preuve qui n'était d'abord qu'un « argument » se trouve dans le Proslogion : il s'agit de réduire au silence « l'insensé qui dit en son cœur : il n'y a point de Dieu ». (Psaume XIII) Tout homme, et l'insensé lui-même a « l'idée d'un être tel qu'il n'en peut concevoir de plus grand – quo majus nihil cogitari potest ». Si cet être n'existait pas on pourrait en concevoir un plus grand à savoir ce même être doué de l'existence. Il est donc proprement contradictoire de penser à un être tel que rien de plus grand ne puisse être conçu et de lui refuser l'existence. L'insensé dont parle le psaume est donc réellement fou de nier l'existence de Dieu : à moins de se contredire, on ne peut penser à Dieu sans poser son existence.

   Dieu est atteint ici comme une exigence intérieure de ma pensée.

c/ On comprend que cet argument ait paru à l'époque audacieux et même dangereux. Conclure à l'existence de Dieu a priori, à partir d'une idée de notre esprit, n'est-ce pas mettre entre parenthèses la Révélation, du moins en réduire l'importance ? C'est pourquoi du vivant même d'Anselme, Gaunilon, moine de Marmoutier (près de Tours), critique l'argument. Il n'est pas sûr que l'insensé ait une idée de Dieu et de toutes façons on ne peut conclure de l'idée à  son existence. L'idée d'un être plus grand que tous les autres (majus omnibus) n'implique pas plus son existence que l'idée d'une île merveilleuse dont le climat et les richesses seraient plus favorables que tout ce que nous connaissons, ne suffit à faire jaillir cette île au milieu de l'océan.

   Mais cette critique de saint Anselme par Gaunilon, laquelle préfigure la critique de Descartes par Kant, défigure l'argument : saint Anselme ne parle pas d'un être plus grand que tous les autres, mais de l'idée d'un être tel que rien de plus grand ne puisse être conçu. C'est donc une idée exceptionnelle qui opère en nous son propre dépassement. Plutôt qu'une idée, c'est une présence en notre âme d'un infini qui nous dépasse. La mise en forme logique de l'argument (qui prête à la critique) ne doit pas nous faire oublier l'expérience spirituelle profonde qui donne vie à cet argument ontologique.

     



04/11/2008
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