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"Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand. (1868-1918)

Cyrano de Bergerac

Edmond Rostand (1868-1918)

 

 

 

Résumé :

 

   A l'Hôtel de Gascogne, la représentation de Clorise va commencer. Une animation fiévreuse agite le beau monde impatient. Le rideau se lève et d'aucuns s'étonnent de ne pas avoir aperçu dans la salle Monsieur de Bergerac. Sa haine envers Monfleury est bien connue et, par sa verve inégalée, il lui a récemment interdit de remonter sur scène. Or l'acteur adulé tient, ce soir, le rôle principal. Le rideau se lève et le comédien n'a pas dit deux mots que l'on voit avec surprise une épée se brandir dans le parterre : Cyrano apparaît et somme Monfleury d'interrompre immédiatement sa tirade. Le pauvre ne fait pas le poids face à son imposant agresseur.

   Poète, physicien, musicien, Cyrano est un extravagant cadet aux gardes qui se plaît à provoquer et flambe comme étoupe dans des joutes oratoires du plus bel aloi. Dame Nature l'a affublé d'un appendice nasal des plus proéminents et cette protubérance l'enorgueillit au point de provoquer en duel qui y fait allusion. Il collectionne les ennemis comme d'autres les décorations et aime à se battre seul contre cent. En quelques mots, il devient le point de mire de toute la salle.

   S'il excelle dans le domaine de la satire, sa verve se fait romantique lorsqu'il évoque sa cousine Roxane qu'il aime en secret d'une passion ardente. Mais fier jusqu'à l'orgueil, il garde le silence, car il ne pourrait survivre à un refus, ou pire, à une moquerie.

   Au sortir de la représentation écourtée, la duègne de Roxane le fait mander. Fiévreusement, il rédige la lettre d'amour que son cœur a mille fois écrite au cas où il distinguerait, dans le regard de la belle, une lueur d'espoir. Mais il en va tout autrement : Roxane vient lui parler d'amour, mais de celui qu'elle voue à Christian de Neuvillette, jeune et beau cadet de Gascogne. Elle ne lui a jamais parlé mais sait, par ouï-dire, qu'elle ne lui est pas indifférente. Redoutant pour lui les brimades de ses compagnons d'armes, elle demande à son terrible cousin de le protéger.

   Cyrano a tôt fait de rencontrer Christian et de lui révéler sa parenté avec Roxane. Le jeune homme lui fait part d'une angoisse cruelle : il s'avoue peu spirituel et ne possède pas l'art tant apprécié de parler aux dames. Cyrano, par jeu et pour participer un tant soit peu à cette passion, lui propose un stratagème attirant et dangereux : l'endoctriner chaque jour, écrire à sa place les lettres, en un mot, lui souffler les mots qui plaisent.

   Au fil des jours, Christian récolte ce que Cyrano sème et Roxane a l'illusion d'aimer un être complet : beau, spirituel, poète...

   Lorsque, dès le soir de leur noce clandestine, Christian est envoyé au siège d'Arras, Roxane reçoit deux fois par jour une lettre dont elle aime éperdument l'auteur. Se rendant sur les lieux de la bataille, elle avoue à son mari qu'elle en, adore l'âme bien plus que l'apparence. Celui-ci supplie Cyrano de tout révéler puisqu'il n'est plus désormais l'objet de la passion mais Cyrano n'en aura pas le temps : Christian est mort, tué par le premier coup de feu de l'ennemi. Le secret semble scellé à jamais sur les lèvres de Cyrano.

   Quinze ans ont passé. Roxane s'est retirée dans le couvent des Dames de la Croix, pleurant un deuil inconsolable. Chaque samedi, Cyrano vient lui rendre visite et lui fait la gazette de la semaine, pendant qu'elle travaille à sa tapisserie.

   Mais ce samedi, Cyrano est un peu en retard. Absorbée par son ouvrage, elle ne remarque pas qu'il est d'une pâleur mortelle. Tombé dans une embuscade, il est blessé gravement ; tentant vainement de cacher sa douleur, il raconte quelques menus faits puis demande à Roxane la dernière lettre de Christian, celle qu'elle porte toujours sur le cœur et qu'elle a promis de lui faire lire un jour. Cyrano commence la lecture mais le soir tombe et l'obscurité est telle qu'il ne peut plus distinguer la fine écriture. Mais il continue de réciter la lettre tandis que Roxane, profondément troublée, réalise que celui qu'elle pleura durant quinze ans était tout proche d'elle, bien vivant.

   Dans un dernier élan de fierté, Cyrano se lève, et brandit son épée pour affronter son ultime ennemie : la mort. Lorsqu'il s'écroule, déjà raidi, emportant avec lui sa fierté, sa vérité et sa pureté, c'est-à-dire son « panache », Roxane se précipite et pleure son amour deux fois perdu.

 

Pistes de lecture :

 

Un triomphe théâtral rarement égalé.

 

   Issu d'une famille bourgeoise cultivée, Edmond Rostand, père de Jean Rostand, est né à Marseille en 1868. Parallèlement à des études de droit, il se met tôt .à l'écriture. Mais ses premières œuvres ne rencontrent pas le succès escompté: poésies dont un recueil, Les Musardises, pièces de théâtre dont Le Gant rouge, Les Deux Pierrot.

   En 1891, la Comédie-Française représente Les Romanes­ques, pièce qui sera très applaudie. Rostand se met à écrire pour la comédienne Sarah Bernhardt deux pièces en vers : La Princesse lointaine et La Samaritaine.

   En 1897, il crée pour l'acteur comique Coquelin le personnage de Cyrano de Bergerac. La pièce, jouée au Théâtre de la Porte Saint-Martin, est un triomphe d'une ampleur rarement égalée dans l'histoire du théâtre. Les nombreuses mises en scène actuelles confirment ce succès.

   On peut expliquer de plusieurs manières l'accueil dithyrambique que le public et la critique réservèrent à Cyrano. Tout d'abord, le style héroïque, tragi-comique, face aux nombreuses mises en scène naturalistes et symbolistes à l'aspect philosophique quelque peu sévère avait de quoi surprendre. Le public, avide de romantisme et de burlesque bien ficelé, tomba directement sous le charme. Les aventures turbulentes du héros arrachèrent autant de rires que de larmes. En un mot, Rostand avait réussi un divertissement d'une grande finesse.

 

Un héros fascinant.

 

   Cependant, plus que le contexte culturel dans lequel la pièce s'inscrivait, c'est le caractère fascinant du personnage de Cyrano qui explique un tel engouement. Bien qu'entouré d'une soixantaine de protagonistes, il monopolise à lui seul l'attention du spectateur. Car la virtuosité stylistique de l'auteur le dota d'une verve insolente où se mêlent versification classique, pastiches, poésie romantique. Il jongle admirablement avec les styles apparemment les plus inconciliables.

   Le deuxième atout majeur du personnage est, bien sûr, le complexe du nez qui le rend extrêmement attachant. Si le sujet est traité de manière comique - rappelons la célébrissime « tirade des nez » du premier acte - ; il est également le nœud tragique de toute la pièce puisque ce handicap physique est la marque d'une douleur profonde, à chaque instant renouvelée : celle d'être laid. Le secret émotionnel de l'intrigue tient en ce paradoxe : si l'esprit est, de loin, plus apprécié que l'apparence physique et, à lui seul, engendre l'amour, il met cependant toute une vie à affirmer sa supériorité. Tel est le drame de Cyrano, victime au même titre que Christian qui ne détient que la beauté, et que Roxane, trahie par l'apparence.

   Pour créer ce personnage, Rostand s'inspira de sources multiples. La plus évidente est l'histoire de Cyrano de Bergerac, écrivain du XVII° siècle, libertin, satirique, antireligieux, aux conceptions audacieuses notamment dans les domaines de la physique et de l'astronomie. Certains vers font directement allusion à son Histoire comique des Etats et Empires de la Lune. D'après certains écrits, Cyrano, dont le nez le défigurait, « ne pouvait souffrir qu'on le regardât ». Rostand se plongea avec délice dans la vie de l'écrivain dont il étudia minutieusement l'époque. C'est en effet le climat du XVII° qui tisse la toile de fond de la pièce. Outre le personnage historique, Rostand se serait inspiré d'un surveillant de lycée, lui aussi affublé d'un long nez. Ajoutons le génie littéraire qui, partant de toutes ces influences, créa un Cyrano unifié, à la personnalité psychologique très complexe.

   Tout comme Cyrano, les autres personnages évoluent au cours de la pièce : Christian, pâlot au début, se transforme littéralement au contact de Cyrano dont il devient l'étroit collaborateur. Leur jeu dangereux lie d'ailleurs les deux compères jusque dans la mort. Quant à Roxane, caractérisée au début de l'histoire par sa seule préciosité, elle évolue jusqu'à ne plus attacher d'importance qu'à l'essentiel enfin découvert. Tout au long de la pièce, elle reste pour Cyrano celle qui engendre la passion et qui lui insuffle son génie poétique.

   Le récit, relativement long, est également soutenu par une structure parfaite : cinq actes bien équilibrés d'un point de vue spatial (chaque acte présente un lieu différent) distillent les informations motrices afin de tenir le spectateur en haleine par une intensité dramatique évoluant en crescendo jusqu'à la chute finale.

   L'Aiglon (1900) connut également un vif succès, et l'auteur fut élu à l'Académie française à la suite de ces deux réussites (1901). Son œuvre ne remporta pas que des éloges puisque René de Gourmont estime qu'il a écrit « quelques-uns des plus mauvais vers dont s'afflige la poésie française». Critique cruelle s'il en est, que le chef-d'œuvre de Cyrano a tôt fait de balayer dans l'esprit du public.

 

 



13/06/2008
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