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Découverte d'un instrument : l'orgue.

L'orgue

 

A mon père, amoureux de l'orgue.

 

 

   Instrument à clavier, à vent et à tuyaux, l'orgue est le plus complet des instruments de musique. Il jouit d'une diversité que lui assurent ses différents claviers manuels, son pédalier et ses jeux multiples, aboutissant à une palette sonore qu'aucun autre instrument ne possède : c'est dire la place qu'il a tenue dans l'histoire de la musique, depuis sa création en Egypte au III° siècle avant notre ère, son utilisation à titre profane par les Byzantins et les Romains, et sa diffusion dans les églises, les cathédrales et les abbatiales de la chrétienté occidentale dès les VIII-IX° siècles. Son esthétique ne se résume  pas dans le service d'une polyphonie instrumentale fondée sur le commentaire du chant grégorien; mais, d'instrument d'église, l'orgue est rapidement devenu instrument de concert et a favorisé toute une littérature qui emprunte certains éléments au théâtre comme à la danse.

 

Historique de l'instrument :

 

   L'instrument aurait été inventé, ou peut-être amélioré, par Ctésibios d'Alexandrie au III° siècle avant JC. Son orgue hydraulique - on retrouve un orgue hydraulique plus récent et parfaitement restauré dans les jardins de Tivoli, non loin de Rome - était un instrument dans lequel l'air, emmagasiné sous la pression  de l'eau, faisait parler une dizaine de tubes grossiers. Les deux corps de pompe d'un orgue hydraulique ont été troqués contre des soufflets de forge, rendant l'orgue pneumatique, et ce sans doute au III° siècle après JC.

   Ce premier type d'orgue enrichissait les palais des empereurs d'Orient. Il apparaît en Occident au VII° ou VIII° siècle, et reçoit une tout autre utilisation dans les églises, les abbatiales ou les cathédrales.

 

 

   On distingue alors : un orgue portatif, que l'on portait latéralement sur la hanche, dont on touche le très court clavier de la main droite, la main gauche actionnant un soufflet; le positif, un peu plus important, que l'on posait sur un trépied ou une table et qui pouvait comporter déjà deux ou trois jeux répondant à un clavier plus étendu; le grand orgue de tribune, qui ornait un jubé et qui était placé à mi-hauteur de l'église, au fond de la nef. Ce dernier instrument remplissait sans doute de ses accords harmonieux les grandes églises romanes et les sanctuaires de pèlerinage aux XII° et XIII° siècles.

   Un deuxième clavier enrichit l'orgue à  la fin du XIV° siècle. Dès le XV° siècle, de grands foyers de facteurs d'orgues apparaissent dans les Pays-Bas, les Flandres, les pays germaniques et scandinaves, la Bourgogne, l'Île-de-France, la Normandie, l'Italie, la Castille. Cet orgue du Moyen Âge ne paraît pas connaître le registre. Il semble correspondre à un plein-jeu collectif, le registre ne faisant son apparition qu'après la guerre de Cent Ans, à l'heure où l'on dote l'orgue d'un pédalier de quelques notes et où le clavier manuel passe de trente-six à quarante-deux touches.

   C'est à la fin du XVI° siècle et dans le premier tiers du XVII° que se constitue, tant aux Pays-Bas qu'en France, un orgue de conception classique, qui vaut par l'équilibre de ses plans, la diversité de ses timbres et qui va subsister tel jusque vers 1840. À côté du grand plein-jeu collectif, on a pu distinguer et isoler des registres de montre, de bourdons, des flûtes et bientôt des cornets, des hautbois et des trompettes.

   Un troisième clavier (écho, récit) intervient vers le premier tiers du XVII° siècle (privé de ses 10 ou 20 notes de basses), qui, doté de jeux solistes, permettra de faire entendre, comme au théâtre, des monodies accompagnées.

   Pour le facteur responsable de l'architecture des orgues classiques, il y a lieu de trouver un certain équilibre sonore entre les deux claviers principaux, grand-orgue et positif, entre le clavier de pédales et les claviers manuels, même si ces derniers se doublent d'un nouveau clavier, dit « de bombarde », alors que subsistent les demi-claviers de récit et d'écho, toujours destinés aux détails.

   De père en fils, de grandes familles d'organiers se transmettent les secrets d'une telle construction. Vers 1820 -1840, à  cet orgue classique succède un orgue romantique doté d'un clavier de récit expressif; de cet orgue, dont la composition évoque la transformation du goût musical et qui se rapproche de l'orchestre, Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) sera le génial artisan. Celui-ci améliore l'alimentation de l'instrument et sa mécanique; il donne plus d'éclat aux anches, au détriment des mixtures, multiplie les jeux de fonds et les enrichit de  diapasons, de gambes, de  flûtes harmoniques. Le récit expressif prend de plus en plus d'importance. L'étendue des claviers est portée à soixante et une notes au XX° siècle et certaines combinaisons permettent de préparer à l'avance plusieurs jeux, notamment les anches, que l'on appelle au moment voulu par le simple abaissement d'une pédale. Cet orgue romantique l'emporte dans toute l'Europe de 1840 à 1920.

   Le retour à une esthétique classique ou néoclassique est une conséquence de la découverte, dans le monde entier, depuis 1850, de la littérature ancienne de l'orgue, tant française qu'étrangère, et du besoin qui se fait sentir d'interpréter les œuvres du passé.

   Après la Première Guerre mondiale, à la faveur d'un retour au grégorien, l'orgue va retrouver son rôle liturgique, paraphrasant les chants sacrés.  

   Au moment où l'on reconstitue des orgues des XVII° et XVIII° siècles (forme néo-classique de l'orgue) tant en France qu'en Allemagne, certains facteurs construisent pourtant les plus vastes instruments qui soient au monde, (6 ou 7 claviers; 100 à 400 jeux); on les trouve aux Etats-Unis ou en Australie. À la même période, les orgues de salon se multiplient; des positifs de un à huit jeux permettent à nombre d'amateurs d'étudier l'orgue chez eux. L'instrument a pénétré en Russie au XIX° siècle, au Japon au XX° siècle. Dans nombre de pays, un service d'État a pris en charge la restauration des instruments présentant un intérêt historique. Dans le même temps, paraissent nombre d'ouvrages de musicologie sur l'évolution de la facture de la littérature de l'orgue.

 

 

Eléments descriptifs de l'orgue :

 

L'extérieur d'un orgue :

 

• Le meuble a pris place sur une tribune, entre sol et voûte. On y observe un soubassement, dans lequel le facteur a placé une console groupant claviers et registres. Au-dessus de ce soubassement, l'architecte a dessiné une façade découpée en secteurs qui sont soit plats (plates-faces), soit en demi-lunes (tourelles). Des tuyaux de façade en étain rehaussent de leur éclat la silhouette de ce buffet, et un grand entablement avec corniches souvent surmontées de statues vient fermer cette immense niche de bois, dans laquelle se trouvent comprimés tous les organes mécaniques et sonores de l'instrument. Il est très fréquent qu'un grand orgue comprenne deux buffets. Le plus petit, placé à même la tribune et portant le nom de positif de dos, répond au meuble principal, dont il reproduit parfois l'articulation en plates-faces et en tourelles.

   Le décor de ces buffets a évolué en fonction de l'architecture et de la culture d'une époque. Il n'existe plus en Europe que quelques buffets du Moyen Âge, tel celui de Levroux (Indre); l'époque de la Renaissance est représentée par une cinquantaine de meubles dont l'ornementation somptueuse évoque la gouge des huchiers italiens; le XVII° siècle a donné une grandeur noble aux boiseries, désormais plus équilibrées par une simple recherche de lignes, de moulurations et de corniches; le XVIII° siècle par ses galbes, ses lignes sinueuses a rendu plus aimable le décor de l'époque précédente; quant au XIX° siècle, il n'a fait que copier des meubles Renaissance, ou des boiseries classiques; le XX° siècle tend parfois à supprimer le buffet.

• L'instrument sonore suppose de celui qui le fabrique - l'organier ou le facteur d'orgue - des connaissances multiples; cet artisan doit être en même temps menuisier, serrurier et acousticien, doit savoir travailler le bois, le plomb, l'étain, le cuivre, adapter son instrument à un édifice donné et l'ériger en fonction des proportions qu'offre ce dernier, car, contrairement aux autres instruments de musique, l'orgue ne peut être construit en série. L'orgue n'a cessé de se transformer de génération en génération, mais il obéit à un certain nombre de principes intangibles, dont nous énumérerons quelques-uns ici.

   Touché par les mains et par les pieds, l'orgue comporte une console, qui groupe de un à cinq claviers manuels, aujourd'hui de soixante et une notes, et un clavier de pédales de trente-deux notes. Ces claviers manuels correspondent à un certain nombre de plans sonores, qui portent chacun un nom : positif, grand-orgue, récit, écho, solo. Chacun de ces claviers fait parler un nombre de registres, ou jeux, mis en action soit par des tirants de bois si l'orgue est mécanique, soit par des dominos à bascules si la traction des jeux est électrique. Au-dessus des touches du pédalier, l'organier a groupé, notamment depuis le XIX° siècle, des tirasses, des champignons et des poussoirs, qui ont chacun une action déterminée, soit qu'ils permettent d'utiliser certains jeux au pied si les mains sont pas libres, soit qu'ils autorisent des accouplements entre claviers manuels ou entre le pédalier et un clavier manuel.

   Au centre de ces pédales, dans un orgue moderne, l'organier a placé une pédale dite « d'expression » qui ouvre à volonté les jalousies d'une chambre dans laquelle se trouvent enfermés les tuyaux d'un ou de deux claviers (notamment le récit).

 

L'intérieur d'un orgue :

 

   Les touches de tout clavier manuel, qui pivotent autour d'un axe, sont reliées à des vergettes ou à des fils d'acier qui aboutissent à l'abrégé; ce mécanisme permet de ramener ou de réduire à la largeur d'un clavier normal (78 cm) celle d'un ou plutôt de deux sommiers mis bout à bout, et qui mesurent 6 m. Cet objet, de forme trapézoïdale, reçoit des rouleaux de bois dans un ordre décroissant, à chaque extrémité desquels un levier vissé s'adapte d'une part à la vergette qui correspond à la touche de la console et d'autre part à un système d'équerres transmettant le mouvement à différentes soupapes qui se trouvent dans le sommier. C'est là tout le « secret » de l'orgue, car le reste se comprend plus aisément.

   A chaque clavier manuel, comme au pédalier, correspond un même système de tirage mécanique aboutissant au sommier. Depuis le milieu du XIX° siècle, toute cette traction mécanique groupant vergettes de bois, fils ou rubans d'acier, abrégés et leviers peut être remplacée par une transmission électrique. Celle-ci est faite de câbles extra-souples, qui aboutissent à des électroaimants permettant une infinité de combinaisons et facilitant considérablement l'utilisation d'une console d'orgue.

   Le sommier constitue l'organe essentiel de tout instrument. Le type le plus connu en est le sommier à gravures : grande caisse de bois qui emmagasine l'air venu de la soufflerie et supporte la tuyauterie.

   Cette caisse comporte plusieurs étages, que nous décrirons de bas en haut : 1°/ un plancher, percé d'autant de trous qu'il y a de notes au clavier, ces trous laissant passer les vergettes, ou fils de laiton, qui transmettent le mouvement de la touche; 2°/ un jeu de vergettes, de bois, de laiton, d'acier, dont chaque individu est attaché d'une part à la tête d'une soupape, d'autre part à la queue de la touche au clavier; 3°/ un jeu de soupapes, ou clapets, qui reviennent à leur place primitive sous l'action d'un ressort et qui se trouvent enfermées dans la laye; 4°/ une manière de grand peigne de bois, le barrage, dont les cloisons parallèles délimitent des cavités qui portent le nom de gravures obturées chacune par une soupape. Le tout est recouvert d'une grande table, percée d'autant de trous qu'il y a de tuyaux correspondant aux jeux du clavier.   

   La tuyauterie d'un orgue correspond à un monde hétéroclite d'individus de toute structure, de toute taille, de toute forme, de toute matière et de tout timbre. Si l'on s'en tient à la structure, il y a deux types de tuyaux, les uns dits à bouche, les autres dits à anche. Les tuyaux à bouche comportent deux lèvres et une pièce de plomb dénommée biseau, qui laisse filtrer l'air par une étroite fente, ou lumière. Le vent, butant contre le biseau, met en vibration le corps du tuyau. Dans les tuyaux à anche, le pied dissimule un noyau de plomb dont l'extrémité inférieure enserre une gouttière d'anche recouverte d'une languette vibrante, qui permettra à une rasette, ou tige de métal, d'accorder le tuyau.

   Chaque rangée de tuyaux est appelée jeu. La forme de ces tuyaux peut varier : cylindrique, conique, rectangulaire. La matière varie également : tuyaux en bois (sapin, chêne, acajou), en étain pur ou en étain mélangé de plomb (étoffe).

   Quant à leur sonorité, les jeux se groupent sous trois rubriques : les fonds, les mutations (qui appartiennent à la famille des jeux à bouche), les anches. Les fonds réunissent des montres, ou principaux ouverts, des bourdons, des flûtes. Les mutations renforcent de ses premiers harmoniques le son fondamental. Parmi ces jeux, on rencontre des mutations simples (nasard, larigot, tierce, donnant naissance au cornet de cinq rangs) et des mutations composées (superposition d'octaves et de quintes), qui groupent de deux à dix tuyaux ou plus par note et contribuent à la formation du plein-jeu de l'orgue, réunissant fournitures et cymbales. Les jeux d'anche comprennent la famille des trompettes, dont les corps dessinent des cônes d'étoffe ou d'étain qui vont en s'évasant, celle dès bassons et des hautbois, à côté desquels il faut faire une place à des jeux de solo comme les cromornes et les voix humaines.

 

 

La musique d'orgue :

 

   On ignore tout des œuvres qui étaient jouées sur les orgues hydrauliques et sur les premières orgues pneumatiques en Occident jusqu'au XIV° siècle. Une première tablature d'orgue d'origine anglaise semble remonter au début du XIV° siècle. On transcrit pour orgue nombre de pièces polyphoniques hier confiées à des maîtrises. Peu à peu se constitue en Italie et en Espagne un répertoire liturgique, à côté duquel on peut relever certaines pièces d'origine chorégraphique ou de purs préludes improvisés.

   S'ouvre alors une ère de l'orgue liturgique, qui prend fin dans les dernières années du XVII° siècle, pour l'Eglise catholique et à la mort de J.-S. Bach pour l'Eglise réformée. Les organistes paraphrasent sur l'instrument de conception classique les thèmes grégoriens ou les chorals luthériens. Mais, ouverts aux bruits du jour, ces organistes, sans s'en douter, dotent peu à peu leur instrument d'un répertoire de concert qui finira par l'emporter à la faveur d'une virtuosité qui envahit nos tribunes. Cette musique d'orgue de concert s'installe en maîtresse en Europe à partir de 1760 et s'y maintiendra jusque vers 1920, notamment dans l'Eglise catholique romaine, car les pays germaniques, de Mendelssohn à Brahms et Max Reger, ont toujours persévéré dans le commentaire du choral.

   Une ère nouvelle s'ouvre vers 1920 : on assiste à la renaissance de l'orgue liturgique, cet instrument vivant concurremment avec l'orgue de concert, jusqu'au jour où Vatican II et la nouvelle liturgie qu'il propose coupent les ailes aux chants grégoriens et à l'effort qui visait à inclure l'orgue dans le culte.

   Dans cette histoire de la musique d'orgue, il est loisible de discerner trois périodes : celle que symbolisent quelques grands noms annonciateurs de Bach, celle qui a favorisé la créativité de ce génie hors cadre, celle qui assiste après Bach à la naissance d'un orgue symphonique.  

   Le XVII° siècle demeure celui des prédécesseurs immédiats de Bach. Les écoles d'orgue internationales se multiplient à cette époque. Elles sont peut-être toutes redevables à J. P. Sweelinck (1562-1621), celui qu'on a appelé «le faiseur d'organistes » d'Amsterdam, dont le message reflète un effort synthétique entre le contrepoint néerlandais, les recherches françaises et les variations anglaises. Son œuvre de clavier comporte des toccate, des fantaisies, des ricercari et des variations, dont ses disciples ont amplement profité, au premier rang desquels se place l'Allemand Samuel Scheidt (1587-1654).

   En France, le XVII° siècle connaît deux écoles : celle des polyphonistes, qui s'en tiennent à la tradition et qui ont pour chef Jehan Titelouze (1563-1633), auteur de « recherches » sur les hymnes religieux et le Magnificat. Dans ce domaine de l'écriture, Titelouze sera continué par Charles Racquet (v. 1590-1664), Louis Couperin (av. 1626-1661), François Roberday (1624 - av.1672), Guillaume Nivers (v. 1632-1714) et Nicolas Lebègue (1631-1702). En revanche, l'école des concertistes est représentée, vers 1665-1699, par les Livres d'orgue d'André Raison (mort en 1719), de Jacques Boyvin (v. 1653 -1706), de Nicolas Gigault (1627-1707), de Louis Marchand (1669-1732) et de Pierre Du Mage (v. 1676­ - 1705). François Couperin (1668-1733) et Nicolas de Grigny (1672-1703) l'emportent de beaucoup sur leurs maîtres, en des Livres qui réalisent une synthèse entre le verset polyphonique sur des thèmes grégoriens et des éléments plus profanes qui doivent au théâtre, à la danse, comme à la littérature de clavecin.

   L'Italie du XVII° siècle est représentée par les grands maîtres de l'orgue romain et, en particulier, par Frescobaldi (1583-1643), dont les canzone, les ricercari, les toccate - certaines étant groupées dans le recueil des Fiori musicali - constituent l'un des sommets de la musique instrumentale d'église. Parallèlement, l'Espagne connaît une école fructueuse avec les tientos, les passacailles et les toccate de Correa de Arauxo (1626), de Gabriel Menait (mort en 1687), des Peraza et surtout de Juan Cabanilles (1644-1712). Deux tendances se font jour en Allemagne : les artistes du Sud gardent une certaine fidélité à la tradition catholique et à Frescobaldi, comme en témoignent les œuvres de Froberger (1616-1667), de Johann Kaspar von Kerll (1627-1693) et de Georg Muffat (1653-1704). C'est Pachelbel (1653-1706) qui a synthétisé l'effort de cette école traditionnelle dans ses toccate, ses préludes, ses fugues, ses quatre-vingt-quatorze versets de Magnificat et surtout dans ses chorals figurés. Les organistes du nord sont groupés autour de Hambourg et de Lübeck, avec, à leur tête, Mathias Weckmann (1621-1674), Johann Nikolaus Hanff (1665 - v. 1712), Jan Adams Reinken (1623-1722), Georg Böhm (1661­1733), Franz Tunder (1614 -  v.1667) et surtout son gendre Buxtehude (v. 1637-1707), organiste de Lübeck. J.-S. Bach a profité de tout cet apport. Il connaît aussi bien les maîtres du sud que ceux du nord et du centre de l'Allemagne (Johann Gottfried Walther [1684-1748], Nikolaus Bruhns [1665-1697] et Vincent Lübeck [1654­1740D. Sa carrière d'organiste se déroule entre Arn­stadt, Mühlhausen, Weimar, Hambourg et Leipzig. En marge le certaines transcriptions de concertos italiens pour orgue et de six sonates à l'italienne en trio, d'une difficulté transcendante, écrites pour son fils aîné, Bach a confié à l'orgue un message double : le premier est représenté par cent cinquante chorals participant au culte; le second, compromis entre les prouesses d'écriture et la virtuosité, sert de décor au culte et tend vers le concert.

   Parmi les œuvres d'orgue les plus célèbres de Bach, citons les quarante-cinq chorals de l'Orgelbüchlein, les dix-huit chorals dits « de Leipzig », les, vingt chorals dits « du Dogme », enfin des partitas. A côté de ces recueils, il faut citer les préludes et fugues séparés, ainsi que les fantaisies, qui témoignent d'une totale liberté, dans le maniement de la polyphonie, de l'utilisation d'un ou de deux thèmes et de contre-sujets. Sa célèbre passacaille groupe vingt variations de trois à cinq voix d'un étrange esprit décoratif. Les toccate pour orgue peuvent être tenues pour des chefs-d'œuvre du genre.

   La mort de Bach sonne une manière de décadence de l'orgue. En dépit des chorals des fils de Bach et de ceux de Telemann, l'orgue liturgique se meurt, se vide de sa substance au profit d'œuvres qui visent à créer une littérature de concert (concertos pour orgue de Haendel), œuvres dans lesquelles la virtuosité jouera parfois un rôle assez vain. Il faut souligner le renouveau que marque, au temps de l'orgue symphonique, la découverte du message de Bach. Alors apparaissent les sonates, les préludes et fugues de Mendelssohn, les toccate, les préludes, les fugues et les canons d'Alexandre Boëly, les fugues de Schumann, les grandes pièces décoratives de Liszt, les chorals de Brahms. Liszt fait une place certaine au récitatif, à la rhapsodie, à la fantaisie (Prélude et fugue sur le nom de B. A. C. H.). L'influence double de Bach et de Liszt ainsi que l'exemple de Boëly font surgir l'œuvre de César Franck, qui se réduit à six pièces (1862), trois pièces (1878) et les célèbres trois chorals (1890). Il faut encore citer les préludes et fugues de Joseph Rheinberger, les préludes, fugues et chorals de Max Reger, les préludes et les fugues, les fantaisies et les improvisations de Saint-Saëns, les diverses pièces d'Eugène Gigout, les sonates d'Alexandre Guilmant, les dix symphonies de Charles-Marie Widor, chefs-d'œuvre du genre orchestral, les deux dernières renouant avec l'orgue liturgique par l'intrusion de thèmes grégoriens (Haec dies, Puer natus est).

   Franck et Widor ont été les grands professeurs de cette nouvelle école française, qui débouche sur deux directions : une littérature d'esprit liturgique et une littérature de concert. L'œuvre de Marcel Dupré (Préludes et fugues, Symphonie-Passion, Variations sur un Noël, le Tombeau de Titelouze, Esquisses) réunit les deux tendances, alors que Louis Vierne demeure le pur serviteur de l'orgue de concert (6 symphonies, 24 pièces de fantaisie). Charles Tournemire se montre le vrai continuateur des maîtres de la liturgie, avec les cinquante et un offices de l'Orgue mystique, fresques somptueuses, esquisses subtiles d'un poète moderne qui rejoint Grigny et Frescobaldi.

   A leurs côtés, Jehan Alain prend l'orgue à témoin de ses émotions, de ses rêveries ou de sa poésie (Litanies, Trois Danses). Olivier Messiaen délaisse les thèmes grégoriens, crée autour des textes même de la Bible ou des Évangiles une littérature paraliturgique, romantique, rhapsodique et symbolique (l'Ascension, la Nativité du Seigneur, les Corps glorieux, Messe de la Pentecôte, Livre d'orgue, Méditations sur le Mystère de la Sainte-Trinité). Un autre organiste comme Maurice Duruflé (Veni Creator) reste fidèle à l'esprit de Tournemire. Jean Langlais, par la diversité, l'abondance et la qualité de son œuvre, se situe à la pointe de cette école française.

   Il resterait encore à dire de la brillante reprise en main de la littérature d'orgue par les compositeurs, interprètes et improvisateurs contemporains, mais le recul manque pour les pétrifier dès lors dans une Histoire de la musique d'orgue.

 



09/07/2008
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