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"Désert" de Jean-Marie Gustave Le Clézio (1940-)

Désert

Jean-Marie Gustave Le Clézio (1940- )

Roman, France, 1980

 

 

Résumé :

 

   L'hiver 1909 voit la dernière odyssée des hommes bleus du désert, venus, de plus en plus nombreux, rejoindre les guerriers du grand cheikh Ma el Aïnine «L'Eau des yeux», aux portes de Smara, dans la vallée de la Saguiet el Hamra. En route depuis des mois, des années, pour chasser les «soldats des chrétiens », ils marchent inlassablement. Les uns sont morts, les autres sont nés.

   Smara héberge les tribus mais cette ville n'est qu'une halte, jusqu'à ce que Ma el Aïnine et son fils indiquent la direction : le nord, vers la vallée du grand fleuve Souss. Après une longue nuit de prière, les nomades se remettent en route; aux jours brûlants succèdent les nuits glacées. Le jeune Nour, de la lignée d'Al Azraq, l'Homme Bleu, celui qui montra la Voie au grand cheikh, est du voyage. Ils sont plusieurs milliers à marcher, enveloppés dans le grand silence du désert.

   Les «soldats des chrétiens» ne sont autres que les armées françaises et espagnoles qui ont envahi le désert et veulent encercler les derniers nomades. Mais Ma el Aïnine en a décidé autrement et entraîne avec lui dans sa perte des milliers de fidèles, animés par l'espoir d'un jour atteindre des terres qui seraient les leurs, nommer leur roi... Mais le cheikh ignore la puissance européenne, celle des banques, il ignore les accords qui ont déjà donné à la France le Maroc et à la Grande-Bretagne l'Égypte, il ignore le traité d'Algésiras qui a mis fin à la guerre sainte pour laquelle il veut tant se battre. Il est vaincu, comme tous ceux qui l'ont suivi. Certains se sont enfuis vers le sud pour ne pas être encerclés par les armées qui, peu à peu, ont resserré la tenaille.

   Aux portes d'Agadir, les sabres et les lances des guerriers harassés ne peuvent rien contre les mitrailleuses de l'armée française, et c'est le massacre. Lorsque le silence est revenu sur l'étendue désertique, les survivants enterrent leurs frères et repartent vers le sud. Avec eux, Nour se remet en marche et perpétue l'errance...

   La jeune Lalla connaît bien tous les chemins qui mènent à la mer. Le labyrinthe des dunes, les insectes, les plantes n'ont pas de secret pour elle. Solitaire, elle passe de longues journées à marcher, bien au-delà des maisons des pêcheurs, ses pieds foulant le sable des sentiers. A la tombée du jour, elle rentre dans le bidonville où elle vit; mais, bien plus que cette « cité de tôle et de papier goudronné », c'est la divine nature qui est sa terre de prédilection, l'endroit où les heures s'égrènent au rythme de sa rêverie. Parfois, celui qu'elle appelle Es Ser, le Secret, lui apparaît et elle garde longtemps en mémoire la force troublante de son regard.

   Le vieux pêcheur Naman est son ami, parce qu'il lui raconte des histoires dans lesquelles chantent les noms de villes lointaines : Algésiras, Madrid, Marseille, Paris. Ils ont l'auréole de l'inconnu et Lalla aime à les fredonner doucement. Souvent, elle rejoint dans les montagnes le Hartani, jeune berger muet, parce que leur solitude leur donne un langage à part.

   Lalla aime également entendre les histoires que lui raconte sa tante Aamma; à propos de l'Homme Bleu, ou de Ma el Aïnine, ou encore d'Hawa, sa propre mère. Tous ces récits entretiennent en elle le souvenir de ses ancêtres.

   Un jour, un homme riche est venu de la ville, les bras pleins de gadgets, pour emmener Lalla. C'est alors qu'elle a décidé de fuir, parce que son amour de la liberté est aussi fort que, jadis, celui des nomades. Avec le Hartani, elle entame la longue marche dans le désert. La nuit, ils s'enveloppent dans la même couverture, étroitement enlacés. C'est là, sous le ciel étoilé, qu'elle se donne au jeune berger.

   Maintenant, Lalla est sur le bateau qui la conduit à Marseille où est partie vivre Aamma. On lui a fait le récit de l'issue de sa fugue, lorsqu'on l'a retrouvée à moitié morte dans le désert. Le Hartani a préféré continuer sa route.

   Lalla ne reconnaît pas la ville lumineuse des histoires de Naman. Comme dans son pays, elle marche dans la ville, elle connaît chaque ruelle pauvre du quartier du Panier où sa tante l'héberge. Elle rencontre un jeune clochard, Radiez, tenaillé comme elle par la faim. Il connaît parfaitement le « métier » de voleur et ramène son butin au chef de la bande pour lequel il « travaille ».

   Un jour, Lalla s'évanouit dans la rue. Le brave homme qui la relève croit qu'elle est tombée d'inanition, mais secrètement, elle sait qu'il y a une autre raison : l'enfant qu'elle porte l'affaiblit. Cela ne l'empêche pas de travailler quelque temps dans un hôtel miteux. Elle range et nettoie les chambres des clients... Jusqu'au jour où elle décide de quitter ce lieu sordide, profondément troublée par la mort d'un des pensionnaires. Cet incident lui rappelle Naman, le vieux pêcheur, mort peu de temps avant son départ. C'est elle qui avait adouci ses derniers instants... Avec le reste de sa paie, elle emmène Radiez au restaurant. C'est là qu'un photographe tombe en extase devant, son regard lumineux. Peu de temps après, il la croise dans, la vieille ville et l'emmène chez lui, prenant des milliers de clichés du visage parfait de la jeune fille.

   C'est elle qui est à présent sur toutes les couvertures des magazines, parée des plus beaux vêtements que dicte la mode. Cependant, c'est son vieux manteau râpé qu'elle enfile lorsque, un matin, elle décide de rentrer dans son pays.

   Lalla marche le long des sentiers menant aux dunes. Derrière elle, la cité de tôle et de papier goudronné dort, silencieuse. C'est la nuit. Ses pieds foulent à nouveau la terre des hommes bleus qui vivent au, fond de son âme. La fatigue et le poids de son fardeau ralentissent sa marche. Pliée par une douleur nouvelle, elle avance lentement tentant d'atteindre le vieux figuier dont le tronc solide lui donnera la force de mettre au monde, seule, son enfant comme, jadis, sa mère, une nuit, la mit au monde.

 

Pistes de lecture :

 

L'errance :

 

   Jean-Marie Gustave Le Clézio est né à Nice en 1940, d'une mère française et d'un père mauricien. Il gardera de sa ville natale le contraste saisissant d'une cité bruyante et de la proximité de la mer. Il y reste durant la guerre et y fait ses études.

   Dès sa plus tendre enfance, Le Clézio lie l'amour de l'écriture à une autre fascination : le voyage. Vers six ou sept ans, il rédige déjà de courts romans et de petites nouvelles dont Oradi noir, situé en Afrique. De cette époque datent ses premiers voyages à travers te monde.

En 1963, il reçoit le Prix Renaudot pour son roman Le Procès-verbal. Le héros, Adam Polio, a hérité du caractère rêveur et solitaire de son auteur. Le thème de l'errance et de la contemplation de la nature, présents dans l'œuvre, deviendront un leitmotiv dans les futurs romans de Le Clézio.

   D'autres œuvres suivent rapidement cette création : La Fièvre (1965), sorte d'exploration des malaises physiques, Le Déluge (1966), Terra amata (1967), Le livre des fuites (1969), «roman d'aventures ».

La Guerre (1970) constitue un jalon important dans l'œuvre de Le Clézio, à la fois fasciné et angoissé par le caractère tentaculaire des villes et leur modernité. Il dénonce le danger de leur rythme trépidant, de leur aspect mécanique et bruyant. Les Géants (1973) trahissent la même angoisse.

   L'auteur quitte le registre de l'univers urbain en 1978 avec un recueil de contes : Mondo et autres histoires, et un essai : L'Inconnu sur la terre. A cette époque, il séjourne longuement parmi les Indiens du Panama et du Guatemala. C'est une initiation pour l'auteur, une autre manière de concevoir la vie. Apaisé, il traduit dans une littérature épurée son éloge du silence et de la beauté des éléments naturels, son aspiration aux grandes étendues. Ses personnages semblent fuir quelque chose, être en quête ou en partance pour un ailleurs. Même le langage est considéré comme un intrus dans la mesure où il trahit le silence et la contemplation de la nature. «Par le langage, l'homme s'est exclu du silence» dira l'auteur, comme si ce dernier rompait l'harmonie du monde. C'est dans cette veine que se situe Désert (1980).

   En 1985 paraît Le Chercheur d'or, roman mythique et initiatique où l'auteur se révèle, tout comme dans Désert, fasciné par la sonorité des noms et leur pouvoir d'évocation.

Parallèlement à son activité littéraire, Le Clézio est actuellement professeur de littérature à l'Université du Nouveau-Mexique. Son ouvrage le plus récent est le Rêve mexicain (1988).

 

Un même souffle, deux destins parallèles :

 

   Désert est une histoire simple et lumineuse. L'auteur y développe parallèlement deux destins séparés dans le temps et unis par une passion commune. D'une part, il conte une courte période - mais décisive - de la vie de la très jeune Lalla, fille du désert, dont pas même l'enfance vécue dans un bidonville, l'adolescence en exil dans un bas-quartier de Marseille, la fatigue de la grossesse ne réussissent à effacer les origines : les immenses étendues de sable sous le soleil brulant du désert. D'autre part, il esquisse les dernières années d'errance des guerriers nomades du Rio de Oro qui remontent vers le nord du Maroc, l'éternelle route des soldats de Ma el Aïnine qui seront massacrés, au début du siècle, par les troupes coloniales françaises. Leur point commun : la fascination du désert et la marche, leitmotiv tout au long du roman.

   Pour mieux scander son histoire et entremêler ses destins, l'auteur a alterné les deux récits, les scindant en chapitres. Deviennent alors parfaitement parallèles la marche désespérée des ancêtres de Lalla à travers le désert et la fuite de la jeune fille, l'errance qui la ramène immanquablement au désert. Il donne même à son héroïne un pendant : le jeune Nour à travers les yeux duquel le lecteur suit l'odyssée saharienne.

 

Un style à l'image d'un thème :

 

   On retrouve le leitmotiv lancinant de la marche jusque dans le style de l'auteur, simple et direct, scandé, modulé, pareil aux incantations des nomades ou aux contes racontés à la veillée. Le Clézio donne à son récit un balancement régulier, générateur de paix, où description et action acquièrent la dimension de poésie ou de chant; le chant lumineux de tout un pays en errance. Les noms de contrées fascinantes, comme psalmodiés tout au long du récit, ajoutent encore à ce rythme: Dakar, Lomé, Cotonou...

   Mais sous les yeux du lecteur, c'est d'abord et surtout le désert, protagoniste principal, élément personnifié, qui se déploie, vivant dans ses couleurs, vivant dans sa cruauté.

 

 



19/06/2008
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