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"Discours sur l'origine de l'inégalité" de J.J. Rousseau.

Fiche de lecture.

Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. 1755

Jean-Jacques ROUSSEAU. 1712-1778

 

   Schopenhauer disait de Rousseau qu'il était une sorte de « génie », signifiant par là qu'il voyait en lui un penseur procédant davantage par intuition globale que par construction de déductions laborieuses. Son œuvre a touché de nombreux domaines : philosophie, politique, éducation, littérature, musique.

 

I. Le contexte de rédaction du Discours sur l'inégalité.

 

   Né à Genève d'une famille calviniste, Rousseau mena toujours une vie difficile et plus ou moins vagabonde. A seize ans, il quitte Genève pour la France. Les années qu'il passa aux Charmettes, près de Chambéry, chez Mme de Warens, furent les plus heureuses de sa vie. C'est là qu'il s'initia au latin, à la musique et à la philosophie. En 1741, à 29 ans, il s'établit à Paris où il cherche sans grand succès, à se faire connaître comme l'inventeur d'une nouvelle notation musicale. Après quelques temps à Venise, il revient à Paris en 1745.

   En 1750, à 38 ans, il se révèle au grand public par son texte : Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs. C'est la réponse à une question mise en concours par l'Académie de Dijon et annoncée dans la revue « le Mercure de France » en octobre 1749. Ce Discours va le rendre célèbre. Cette gloire vient tout d'un coup parce que son texte fait un effet prodigieux, suscitant une immense controverse qui occupe Rousseau jusqu'en 1753, date de la nouvelle question de l'Académie de Dijon qui va être le prétexte du second Discours.

   Ce texte doit donc être perçu comme situé dans la controverse suscitée par le premier Discours. Rousseau va y reprendre l'intuition qui a suscité le débat : celle de la corruption progressive des mœurs qui affecte la société de nature lorsqu'elle est dénaturée par la civilisation. Ce thème est au cœur de toute l'œuvre de Rousseau. Au fur et à mesure qu'il mûrit, Rousseau saisit de mieux en mieux cette thématique et la reformule sans cesse avec plus de force. Les Discours doivent être lus comme le fondement d'une nouvelle position par rapport à la question du « contrat social » déjà présente dans la discussion philosophique depuis Hobbes. L'idée fondamentale de Rousseau, c'est que les rapports humains sont doux tant que la sympathie en est le seul prétexte, mais dès que l'on entre dans des relations d'utilité, tout se dégrade. Plus l'homme est soumis aux autres pour satisfaire des besoins de plus en plus nombreux et variés, plus les relations humaines se trouvent corrompues.

 

II. L'origine de l'inégalité.

 

   La question formulée par l'Académie de Dijon et qui sert de prétexte au second Discours est la suivante : « Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ». Rousseau ne développe pas la seconde partie de cette question qu'il traite en quelques lignes à la fin de son Discours. Il ne se contente pas de dénoncer les inégalités existantes. Tout le monde le fait à son époque. Ce qu'il veut, c'est proposer une genèse historique et logique de cette inégalité. Le terme d'origine est un terme qui intéresse les philosophes. Il s'oppose à celui de naissance. La naissance peut se dater. Elle intéresse l'historien ou le sociologue. La question de l'origine est plus abstraite, plus spéculative, autrement dit, plus théorique. Dans l'utilisation qu'en fait Rousseau, l'origine, c'est le commencement, mais surtout la source, le fondement. Rousseau est fondamentalement pessimiste. Il ne croit pas que le bouleversement politique qui ne saurait tarder (les prémisses de la Révolution commencent à se faire sentir) puisse abolir l'inégalité entre les hommes, car l'homme s'évalue en permanence par rapport aux autres. La Révolution, tout au plus ne peut que métamorphoser les inégalités, mais guère les éradiquer.

 

III. RESUME :

 

Dédicace.

   Ce discours est dédicacé à la République de Genève dont est issu Rousseau. La dédicace compte une douzaine de pages dans lesquelles Rousseau dit que, s'il avait eu le choix du lieu de sa naissance, il aurait choisi un pays qui, petit par la taille, permette une certaine proximité entre les citoyens. Les gouvernants n'y seraient pas éloignés des hommes qui composent le pays. Il aurait choisi un pays où liberté et égalité entre les citoyens puissent être remarquées, vivant en bonne relation avec ses besoins. Rousseau montre que ce désir, la République de Genève, en quelque sorte, l'a exaucé :

   « Votre constitution est excellente, dictée par la plus sublime raison, et garantie par des Puissances amies et respectables ; votre Etat est tranquille… Vous n'êtes ni assez riches pour vous énerver par mollesse et perdre dans de vaines délices le goût du vrai bonheur et des solides vertus, ni assez pauvres pour avoir besoin de plus de secours étrangers que vous en procure votre industrie… »

   Rousseau fait donc là l'éloge de l'autarcie, d'une certaine forme exacerbée de protectionnisme.

 

Préface.

   La préface défend l'idée que la plus utile et la moins avancée des connaissances humaines est l'homme lui-même. Rousseau appelle à la fondation d'une recherche sur l'homme naturel, l'homme originel tel qu'il est ou a été lorsque la société n'était pas encore constituée. On peut trouver dans cette préface une sorte de manifeste de l'ethnologie ou de l'anthropologie telle qu'elle va se développer à cette époque et dans les siècles suivants comme interrogation sur l'homme naturel. Lévi-Strauss reconnaît d'ailleurs en Rousseau le père de l'anthropologie.

 

Introduction.

   Après avoir rappelé la question posée par l'Académie de Dijon, Rousseau part du constat qu'il existe deux sortes d'inégalités parmi les hommes : les unes sont naturelles (force physique, notamment), les autres sont sociales.

   Des premières, il est difficile de parler puisqu'elles sont une sorte de donnée a priori. Par contre l'inégalité sociale fait problème. On l'a souvent interprétée. Rousseau annonce son intention d'aborder la question par la méthode généalogique (remonter à l'origine présupposée du phénomène).

 

Première partie : description de l'état de nature.

   Rousseau décrit l'état de nature tel qu'il se le représente. L'homme est confronté à la Nature dans laquelle il doit survivre. Aussi a-t-il un corps vigoureux. Il court, il chasse. Il vit en bonne intelligence avec le milieu. Il a peu de ressources, mais peu de besoins. Rousseau appuie sa description de l'état de nature sur les observations faites par les voyageurs hollandais, notamment. Ces hommes sauvages qu'ils décrivent ont un toucher et un goût rudimentaire. Mais leur vue, leur ouïe, leur odorat sont de la plus grande subtilité…

Un homme sans passion

   Sur le plan moral, l'homme sauvage a des désirs qui ne dépassent pas ses besoins physiques.

   « Les seuls biens qu'ils connaissent dans l'Univers, sont la nourriture, une femelle et le repos ; les seuls maux qu'ils craignent, sont la douleur et la faim. »

   Et plus loin, parlant du sauvage :

   « Son âme, que rien n'agite, se livre au seul sentiment de son existence actuelle, sans aucune idée de l'avenir, quelque prochain qu'il puisse être, et ses projets bornés comme ses vues, s'étendent à peine jusqu'à la fin de la journée… »

   Rousseau montre qu'il a fallu un temps considérable pour que la maîtrise du feu, de l'agriculture s'impose. Prévoir, penser l'avenir suppose, dit Rousseau, que soit anéanti l'état de nature. Cela implique que s'élabore le langage. Rousseau s'arrête longuement sur la genèse du langage qui est l'outil dont les hommes ont besoin pour vivre en société. Rousseau pense que l'homme « avait dans le seul instinct tout ce qui lui fallait pour vivre dans l'état de nature ». Par contre, vivre en société suppose le développement de la « raison cultivée ». L'homme naturel n'a donc ni vice ni vertu. Rousseau s'oppose à Hobbes qui croit que n'ayant pas de vertu, l'homme naturel est fondamentalement méchant. Pour lui, au contraire, l'homme naturel ignore le vice parce qu'il ignore ce qu'est l'amour-propre. Il pense même que l'homme naturel est pourvu de pitié. Il n'aime pas voir souffrir son semblable. La mère aime ses petits.

 

La dureté de l'homme civilisé

   Dans la société civilisée, l'amour-propre éloigne l'homme du sentiment de compassion :

   « C'est la raison qui engendre l'amour-propre, et c'est la raison qui le fortifie ; c'est elle qui replie l'homme sur lui-même ; c'est elle qui le sépare de tout ce qui le gêne et l'afflige ; c'est la philosophie qui l'isole ; c'est par elle qu'il dit en secret, à l'aspect d'un homme souffrant, péris si tu veux, je suis en sûreté. Il n(y a plus que les dangers de la société entière qui troublent le sommeil tranquille du philosophe, et qui l'arrachent de son lit. On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre ; il n'a qu'à mettre ses mains sur ses oreilles et s'argumenter un peu, pour empêcher la Nature qui se révolte en lui, de l'identifier avec celui que l'on assassine. L'homme sauvage n'a point cet admirable talent ; et faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer étourdiment au premier sentiment de l'Humanité… »

 

L'état de nature : l'équilibre

   La passion est absente de l'homme sauvage. La concurrence sexuelle n'existe pas. Le désir sexuel n'existe pas comme prétexte à l'affrontement :

   « L'imagination qui fait tant de ravages parmi nous, ne parle point à des cœurs sauvages ; chacun attend paisiblement l'impulsion de la Nature, s'y livre sans choix avec plus de plaisir que de fureur, et le besoin satisfait, tout désir est éteint. »

   L'état de nature est donc un état d'équilibre, sans passion ni progrès :

   « Errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre et sans liaison, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul désir de leur nuire, peut-être même sans jamais en reconnaître aucun individuellement, l'homme sauvage sujet à peu de passions, et se suffisant à lui-même, n'avait que les sentiments et les lumières propres à cet état, qu'il ne sentait que ses vrais besoins, ne regardait que ce qu'il croyait avoir intérêt à voir, et que son intelligence ne faisait pas plus de progrès que sa vanité. »

 

L'absence de progrès

   Si par hasard il faisait quelque découverte, il pouvait d'autant moins la communiquer qu'il ne connaissait pas même ses enfants. L'art périssait avec l'inventeur :

   « Il n'y avait ni éducation, ni progrès, les générations se multipliaient inutilement ; et chacune partant toujours du même point, les siècles s'écoulaient dans toute la grossièreté des premiers âges, l'espèce était déjà vieille, et l'homme restait toujours un enfant. »

 

Discussion des auteurs qui l'ont précédé

   Si Rousseau insiste longuement sur cette description de l'état de nature, c'est qu'il veut détruire définitivement les fausses théories de cet état, telles qu'elles ont pu apparaître chez les auteurs qui l'ont précédé. Il veut démolir l'idée que les différences physiques sont à la base de l'inégalité sociale. Pour lui, dans l'état de nature, le rapport de force n'est que momentané et ne peut pas s'instituer durablement :

   « Un homme pourra bien s'emparer des fruits qu'un autre a cueillis, du gibier qu'il a tué … Mais comment viendra-t-il jamais au bout de s'en faire obéir ? …Si l'on me tourmente dans un lieu, qui m'empêchera de passer ailleurs ? »

   Il n'y a pas d'homme capable d'en asservir d'autres dans l'état de nature parce que personne ne dépend de personne pour sa survie. En conséquence, dans l'état de nature, il n'existe pas d'inégalité sociale.

 

Deuxième partie : la fondation de la société civile et de l'inégalité

 

   « Le premier qui ayant enclos un terrain, s'avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. » Cette phrase est la plus célèbre de ce Discours. Mais il est intéressant de suivre le raisonnement de Rousseau :

   « Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs, n'eût point épargnés au genre humain celui qui arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ! Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne … »

 

L'invention de la société

   Rousseau sait cependant que la civilisation était déjà en marche. Pour satisfaire leurs besoins, les hommes inventèrent la pêche, la chasse. Ils inventèrent les vêtements. Ils apprirent à conserver le feu. Ils prirent goût à la cuisine cuite … Mais au fur et à mesure que l'homme découvrait sa supériorité sur l'animal, il découvrit en même temps l'orgueil. La recherche du bien-être amena l'homme à reconnaître l'intérêt qu'il avait à se regrouper. De là naquit l'industrie. On créa des outils. On s'installa durablement à plusieurs : ce fut la naissance de la famille et de l'amour conjugal. L'usage de la parole s'imposa. La langue s'enrichit. De regroupement en regroupement, la nation se forma. On commença à éprouver de la considération pour certains. Ce fut le point de départ de la concurrence et de la rivalité. Avec la propriété naît l'exploitation.

 

L'accumulation

   « Dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparût, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. »

   Métallurgie et agriculture furent à la base de cette révolution. La division du travail s'organisa et la propriété s'institua. Au départ, il s'agissait pour l'agriculteur de protéger sa terre jusqu'à la récolte, puis d'année en année de maintenir son pouvoir sur sa terre…

 

L'invention de l'amour-propre

   Moralement, cela entraîna le développement de la mémoire, de l'imagination, de l'amour propre intéressé : « Etre et paraître devinrent deux choses tout à fait différentes, et de cette distinction sortirent le faste imposant, la ruse trompeuse, et tous les vices qui en sont le cortège. » Ce fut l'assujettissement de l'homme. L'idée de richesse s'imposa, non par besoin, mais pour dominer l'autre. L'héritage permit de construire de grandes richesses. La rivalité des riches entraîna la pratique de la guerre. Ensuite, on créa des institutions pour maintenir les conquêtes. Les hommes  les acceptèrent en croyant échapper à la guerre. En fait, elles les maintinrent en esclavage, en dépendance. On accepta le droit comme un blessé accepte qu'on lui coupe le bras pour préserver le reste du corps. La liberté naturelle avait disparu. Dès qu'une société fut créée, les autres s'imposèrent d'elles-mêmes. Elles couvrirent toute la terre. Le droit civil devint la règle de tous les citoyens. La guerre entre nations engendra le meurtre comme devoir. Se choisir des chefs devint une nécessité. « Les peuples se sont donnés des chefs pour défendre leur liberté et non les asservir. » Mais les politiques qui parlent de l'amour de la liberté sont en fait conscients que les hommes ont un penchant pour la servitude.

 

Origine de l'autorité

   Rousseau insiste sur le fait que l'autorité paternelle n'est pas du même registre que l'autorité politique : « Le père n'est le maître de l'enfant qu'aussi longtemps que son secours lui est nécessaire. » Au-delà de ce terme, ils deviennent égaux. Le fils ne doit que respect et non obéissance à son père. Rousseau conteste que l'on puisse aliéner par contrat sa liberté, comme on le fait pour un bien matériel dont on se défait au profit de l'autre.

   Car, sans la liberté, il n'existe plus d'homme. Elle est sa nature. Rousseau réfute ainsi le fondement de l'esclavage. Pour ce qui est du politique, Rousseau considère que l'établissement du corps politique est un véritable contrat entre le Peuple et les chefs qu'il se choisit, « contrat par lequel les deux parties s'obligent à l'observation des lois qui y sont stipulées et qui forment les liens de leur union ». Si les citoyens s'engagent à respecter les lois, les magistrats s'obligent à n'user du pouvoir qui leur est confié que selon l'intention des citoyens, à savoir pour maintenir la paisible jouissance de ce qui appartient à chacun.

 

La société politique

   Dans un premier temps, les magistrats honnêtes maintinrent ce pacte. Mais, rapidement, les abus émergèrent. Rousseau recense les différentes formes possibles de gouvernement. Il les explique en faisant référence au moment de la fondation. Lorsqu'un seul s'imposa comme le chef souhaité, il créa une monarchie, etc. Accoutumé ensuite à la dépendance, le peuple ne sut plus se défaire des liens de sujétion. Les inégalités s'accentuèrent. L'inégalité entre gouvernants et gouvernés engendra de nouvelles distinctions entre les particuliers :

   « L'inégalité s'étend sans peine parmi des âmes ambitieuses et lâches, toujours prêtes à courir les risques de la fortune, et à dominer ou servir presque indifféremment selon qu'elle devient favorable ou contraire. »

   C'est sur ces faiblesses individuelles que se construit le despotisme, dernier stade de l'inégalité. Sous le despotisme, le paradoxe est que chacun redevient l'égal de l'autre dans la mesure où tous sont transformés en esclaves d'un seul. L'homme a alors totalement oublié l'état naturel. Que de chemin parcouru entre ces deux états ! Sous le despotisme, la société n'offre plus aux yeux du sage qu'un assemblage d'hommes artificiels et de passions factices qui sont l'ouvrage de toutes ces nouvelles relations qui n'ont plus aucun fondement dans la Nature. L'homme naturel n'aspire qu'au repos et à la paix. L'homme civil, au contraire, est toujours actif, tourmenté. Il travaille jusqu'à la mort. « Il y court même pour se mettre en état de vivre. »

 

L'opposition irréductible des deux états

   Rousseau évoque l'étonnement que représente pour un habitant des Caraïbes le spectacle des travaux pénibles et enviés d'un ministre européen ! Mais, conclut-il, pour le bon sauvage, il est vrai que les notions de puissance et de réputation n'ont pas de sens. Le Sauvage vit en lui-même. L'homme sociable ne vit que dans l'opinion des autres. C'est de leur seul jugement qu'il tire son existence. L'inégalité est presque nulle dans l'état de nature. Elle est maximum dans la société évoluée. Rousseau en déduit que l'inégalité morale, autorisée par le seul droit positif, est contraire au Droit naturel :

   « Il est manifestement contre la loi de nature qu'un enfant commande à un vieillard, qu'un imbécile conduise un homme sage, et qu'une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire. »

 

IV. COMMENTAIRE

 

   Comme nous l'avons signalé dans l'introduction, les idées de ce Discours servent de fondement à une pensée politique qui ne cessera de s'affirmer dans le développement de l'œuvre de Rousseau. Les principaux prolongements du texte seront Du contrat social et l'Emile ou de l'éducation.

 

Du contrat social

   Dans Du contrat social, ouvrage théorique, Rousseau n'a pas le projet de développer un programme de société ou de gouvernement. Cela, il le fera par ailleurs dans ses deux projets pour la Corse et la Pologne. Dans Du contrat social, il veut dégager les principes fondamentaux d'une révolution nécessaire. Il constate que la société repose sur des bases immorales.  Il propose donc qu'on la fonde sur de nouvelles bases d'égalité et de liberté. Dans cet ouvrage, Rousseau défend encore l'idée selon laquelle, à la tendance naturelle poussant à un accroissement de l'inégalité, la loi doit aller en sens inverse.

   Toute politique doit reposer sur des fondements moraux, sur une conscience collective qui permet l'égalité de tous les citoyens. Comme le retour à l'état de nature est impensable, il s'agit de retrouver l'homme de la nature dans la société. Le contrat sera la norme sociale que les hommes se donneront en élevant leur conscience morale jusqu'au niveau d'une conscience civique et politique.

   Rousseau introduira dans ce livre la distinction entre la volonté générale et la volonté particulière. La volonté générale est un amour de l'humanité tandis que la volonté particulière relève de l'amour-propre. La volonté générale n'a rien à voir avec la volonté de la majorité, ou même avec la volonté de tous. La volonté de tous n'est que la somme des volontés particulières, alors que la volonté générale est la volonté de l'intérêt  commun.

 

L'Emile

   Dans Emile ou De l'éducation, Rousseau tente de concevoir une éducation dans laquelle l'homme ne serait plus ce qu'il paraît, mais ce qu'il est. Emile sera élevé dans un état qui se situe à l'extérieur des valeurs du monde. On veut entretenir chez lui son innocence première, son innocence naturelle. Cela ne signifie pas qu'Emile doive être ignorant. Au contraire, Rousseau pense que la conscience naturelle reconquise n'est possible que chez des êtres intelligents et libres. Conscience, raison et liberté doivent s'unir. Rousseau est à la recherche d'une éducation fondée sur la transparence. L'objectif de l'éducation est formulé dans la « Profession de foi du Vicaire savoyard » : « La conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaître, la liberté pour le choisir ».

 

V. L'ACCUEIL DE CES IDEES

 

   Au fur et à mesure qu'il développait ses idées, Rousseau rencontra l'hostilité de ses amis encyclopédistes. D'abord enthousiastes pour cette pensée nouvelle, les Encyclopédistes prirent de plus en plus de distances par rapport à cette pensée idéaliste qu'ils analysèrent comme une pensée nostalgie.

   Pourtant, on connaît l'influence des idées de Rousseau sur le devenir politique de la France. La Révolution française aurait-elle eu lieu sans cette apologie de la liberté et de l'égalité fondamentale entre les hommes ?

   Aujourd'hui encore, même s'ils sont marginaux, les tenants de la pédagogie nouvelle s'inspirent de Rousseau. D'une certaine manière, on pourrait voir dans l'écologie politique une filiation rousseauiste. Depuis quelques dizaines d'années, l'idée que le développement à tout prix est dangereux,  fait son chemin. Les idées rousseauistes continuent à trouver leurs défenseurs sur ce terrain du développement. L'hostilité de Rousseau à l'esprit d'entreprise, qu'il perçoit comme une captation des forces d'autrui, sa méfiance vis-à-vis de l'introduction de nouveaux besoins et d'une émulation toujours accrue trouvent toujours des échos dans une mouvance politique et sociale qui tente d'évaluer les coûts sociaux de la logique économique de croissance… Bref, les idées de Rousseau exercent encore une influence posthume dont la modernité n'est, semble-t-il pas prête de s'affranchir.

 

 

 

   

 

 

 

  

  

    

 

         

 

 



15/06/2008
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