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Dissertation : "A quoi reconnaît-on l'humanité en chaque homme ?"

Type de corrigé : plan détaillé.

« A quoi reconnaît-on l'humanité en chaque homme ? »

 

 

Éléments d'introduction :

 

   À quels signes et par quelles médiations identifie-t-on - que ce soit par le jugement, l'affectivité ou telle autre fonction spirituelle - un en­semble universel considéré dans son unité, le genre humain, et ce chez tout individu quel qu'il soit ? Par quelles manifestations, par quels marques ou indices repère-t-on ce genre humain en tout individu ? Tel est le sens de l'intitulé de sujet.

   Voici un énoncé énigmatique : chaque individu appartenant à l'espèce animale la plus évoluée de la Terre signifie l'universalité de l'homme et de la condition humaine. Or, comment articuler ici l'individuel et l'uni­versel? Comment opérer le passage de l'un à l'autre? Si nous sentons im­médiatement que l'homme du paléolithique (première période de l'ère quaternaire, où apparurent les premières civilisations humaines) nous si­gnifie, sans nul doute, son humanité, comment juger à partir d'un cri­tère sûr ? Est-il d'ailleurs légitime d'opérer, en chaque individu, cette liai­son ? N'est-elle pas contingente, voire illégitime ou repoussée hors du champ réflexif ? D'où le problème essentiel inhérent à la problématique: faut-il voir en l'homme une réalité purement individuelle ou bien le représen­tant d'une espèce universelle, ce qui impliquerait une condition humaine universelle ? D'où l'enjeu de l'intitulé, qui nous renvoie au sens même de notre humaine condition.

 

Discussion :

 

  1. Signes objectifs de l'humanité de l'homme: de la sépulture à l'art :

 

   Ne faut-il pas, ici, tenter d'aller graduellement de ce qui est manifeste, du point de vue quasi empirique à ce qui témoigne beaucoup plus énigma­tiquement de la transcendance humaine, en son universalité?-'

   Or, le premier signe nous permettant de dire que cet homme parti­culier manifeste la généralité ou l'universalité de l'espèce humaine, n'est-ce pas la sépulture? Je reconnais l'humanité en chaque homme parce que chaque individu, quel qu'il soit, enterre ses morts : l'homme n'est-il pas le seul animal qui mette en terre ses morts, par respect de ce cadavre irréductible à de la «viande », et ce même si les artistes contemporains (cf : le peintre Bacon) assimilent, en leurs tableaux, l'homme à une bête de boucherie ? À toutes les époques, dans toutes les civilisations la présence de la sépulture permet d'identifier, en chacun, l'universalité d'un genre spirituel unitaire. En rendant les honneurs funéraires, je témoigne de mon universalité et de mon humaine condition.

   Mais je puis reconnaître aussi, d'un point de vue objectif, l'humanité en chaque homme à travers la présence d'outils. Homo faber : tout homme - chaque homme individuel - donne à voir une essence humaine uni­verselle, et ce à travers un outillage, à travers un savoir-faire technique exprimant un genre universel.

   Enfin, pour s'en tenir à des critères ou manifestations de l'ordre ob­jectif, nous reconnaissons l'espèce humaine universelle présente en cha­cun à travers l'ordre esthétique: l'homme n'est-il pas cet animal qui pare son corps et le décore, témoignant universellement de sa volonté d'in­troduire des valeurs esthétiques au sein du naturel ? Le passage de la na­ture à la culture s'opère ici par la médiation esthétique. À l'époque la plus reculée de la préhistoire, le sujet humain individuel s'efforça de tracer des formes sur les parois des grottes et de les colorer, donnant ainsi à voir l'uni­versalité du genre humain.

 

Transition :

 

Toutefois, ne nous faut-il pas aller de l'objectif à l'expressif? Je puis re­connaître l'humanité à des critères «empiriques ». Ne puis-je aller au-delà de l'empirique?

 

  1. Les signes expressifs de l'humanité: le langage :

 

   Chaque individu donne à voir l'espèce humaine universelle parce qu'il parle et échange des mots. Quand je suis devant un individu particulier, je l'écoute et, à travers cette écoute, je saisis une espèce. Alors que l'ani­mal livre des informations (ainsi en est-il de l'abeille), l'homme opère un échange codé de signes et ces derniers signifient une adhésion entre par­tenaires (adhésion qui est parfois ou même souvent masquée par la vio­lence, mais qui n'en signifie pas moins l' humaine condition car elle est le fond de la réalité humaine). L'homme donne ainsi à voir immédiatement une intersubjectivité, un dialogue et une essence humaine universelle: s'il parle, ne se dirige-t-il pas vers l'humanité en général, qu'il symbolise et exprime ? Je ne suis pas une particularité ni une individualité simple, et ce parce que je parle. L'échange linguistique est ce par quoi je recon­nais l'humanité en chaque homme, car le langage dit d'emblée l'univer­sel. Il donne à voir une communauté sociale qui s'identifie immédiatement. Ainsi l'homme et sa subjectivité, loin de représenter une présence sim­plement individuelle et isolée, expriment une figure spirituelle, un ensemble (implicite) embrassant hommes et peuples. « je » ou « Tu » font apparaître l'humanité: le genre humain considéré dans son unité. J'identifie immé­diatement ce genre humain en chaque homme discourant avec moi.

 

Transition :

 

   Toutefois, ne nous faut-il pas aller à un décryptage de plus en plus im­médiat et transparent de l'humanité présente en chaque homme? C'est le signe expressif de cette humanité qui semble ici nous convenir et nous éclairer.

 

  1. L'infini du visage de chaque homme donne à voir son humanité :

 

   En chaque homme, en définitive, comment reconnaître l'humanité tout entière? En chaque subjectivité, je rencontre un ordre de signification trans­cendant où s'incarne l'humanité: n'est-ce point, ici, le visage qui signifie, simultanément, subjectivité et humanité universelle? Le visage est manifestation de l'infini : il donne à voir une réalité transcendante, ce qui  dépasse le monde empirique, un ordre d'existence supérieur: à la fois le sacré et l'humanité comme champ éthique. Le visage signifie autre chose que la simple subjectivité. Sinon, il ne m'inviterait pas au respect. À quoi reconnaît-on l'humanité en chaque homme ? Par la médiation d'un visage signifiant l'universel. Je reconnais l'humanité par la médiation du visage, qui est d'emblée éthique et, dès lors, présence axiologique      universelle. « On peut dire que le visage n'est pas « vu ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que notre pensée embrasserait ; il est l'incontenable , il vous mène au-delà. C'est en cela que la signification du visage le fait sortir de l'être en tant que corrélatif d'un savoir. Au contraire, la vision est recherche d'une adéquation ; elle est ce qui par excellence absorbe l'être. Mais la relation au visage est d'emblée éthique. Le visage est ce qu'on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire: «Tu ne tueras point ». Le meurtre, il est vrai, est un fait banal: on peut tuer autrui ; l'exigence éthique n'est pas une nécessité ontologique. L'interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l'autorité de l'interdit se maintient dans la malignité du mal accompli [...]. Le «Tu ne tueras point» est la première parole du visage. » Emmanuel Lévinas, Éthique et infini.

   En bref, devant le visage humain, je puis identifier une réalité univer­selle. Je reconnais l'humanité en chaque homme à travers l'expérience du visage manifestant l'infini.

 

Conclusion :

 

   Faut-il voir dans l'homme une réalité purement individuelle ou le re­présentant d'une espèce universelle? C'est l'universalité d'un genre qui qualifie l'homme, cet accès à l'humanité se manifestant par le discours, l'exigence esthétique et la précarité du visage exigeant l'ordre éthique.

En affirmant que le privilège d'humanité est inscrit en l'homme, on laisse ouverte, dans son caractère énigmatique, la question de l'inhumain. Que faire de ce qu'il y a d'inhumain en nous et comment le comprendre, si l'humanité est au fond de chaque individu ? Comment l'être humain (individuel) peut-il être dépossédé de son humanité profonde et univer­selle ? Ainsi, la question posée dans l'intitulé nous ouvre-t-elle à un champ de questionnement indéfini.

 



13/06/2008
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