Dissertation : "La morale a-t-elle un rôle à jouer dans les sciences ?"
Correction de DISSERTATION
« La morale a-t-elle un rôle à jouer dans les sciences ? »
Type de corrigé : orientation dans le sujet.
Examen de l’énoncé :
La morale : ensemble des exigences qu’impose le respect de certaines valeurs. Ces exigences, qui peuvent se traduire par des interdits, doivent régler la pratique, et imposent des choix sur les moyens comme sur les fins d’une action.
Jouer un rôle : intervenir dans, s’imposer dans un processus.
Avoir un rôle à jouer : devoir intervenir par obligation.
Les sciences : les différents domaines de la recherche visant à connaître les lois des phénomènes ou la structure des êtres.
Mise en problème :
L’idéal aristotélicien d’une science libérale, intrinsèquement morale, tout entière tendue vers l’universel (« theoria ») , et n’ayant de cesse de libérer la raison des contingences de la matière semble bien n’avoir guère survécu à la révolution positiviste et scientiste, brandissant l’expérimentation en principe de légitimité des sciences modernes et contemporaines et préparant ainsi la venue des « techno-sciences », sciences tout entières dévolues à la « praxis ». Aussi se pose désormais le problème d’un retour de la morale sur la scène scientifique.
Définissant provisoirement les sciences, comme effort pour connaître le réel, et ce, dans leurs domaines respectifs, on se demandera si elles doivent bien se soumettre à des exigences morales qui s’imposent à la pratique des hommes ? Dans la démarche des sciences, des valeurs comme le bien ou le juste ont-elles à imposer des limites ou des interdits ? En est-il de même pour la finalité de leur démarche ? Quelle finalité, celle de la connaissance ou celle des usages qu’on peut en faire ? Cela dépend-il du savant ?
Démarche possible :
Partir de l’indépendance apparente des deux notions-clés et justifier qu’on ne peut s’y tenir.
Dans un premier moment, on peut s’interroger sur la pertinence de la question du fait que les sciences visent la connaissance tandis que la morale règle l’action. On voit mal comment l’idéal de connaissance pourrait contredire les idéaux de la morale. Bien au contraire, la sagesse du philosophe ne doit-elle pas se fonder sur la connaissance ? Et Descartes, quand il s’agit pour lui de prolonger son entreprise du doute (méthodique, radical et hyperbolique, cf. Méditations métaphysiques), ne distingue-t-il pas les deux domaines pour assurer qu’il n’y a là aucun danger, « puisqu’il n’est pas maintenant question d’agir, mais seulement de méditer et de connaître ».
Pourtant cette indépendance ne résiste pas à l’examen. D’une part, en effet, la connaissance du philosophe n’est pas la connaissance scientifique. L’une vise à connaître ce qui est bon pour l’homme ; l’autre cherche à déceler les mécanismes des choses et des faits. Le « connais-toi toi-même » de Socrate n’est pas la consigne des sciences, pas même des sciences humaines.
D’autre part, les sciences modernes et contemporaines ne sont plus guère de l’ordre de la pure contemplation passive (theoria… elles ne sont plus « théorétiques ») , comme le souhaitait Aristote. Désormais l’homme est appelé à se rendre « comme maître et possesseur de la nature », Descartes, Discours de la Méthode, VI. Si leur finalité est encore de connaître, leurs moyens sont pratiques ; le scientifique engage des actions dans sa démarche : actes intellectuels ou initiatives expérimentales, quand il ne met pas le fruit de ses travaux aux services d’intérêts proprement technologiques (basculement de la « recherche fondamentale » vers la « recherche appliquée »).
Examiner les raisons qui justifient le rapprochement des deux notions.
Comme pratique, les sciences exigent qu’on se soumette à des règles morales. Les unes portent sur l’honnêteté intellectuelle. En effet, la démarche scientifique consiste le plus souvent à vérifier une hypothèse, et qui ne serait tenté de voir ses travaux couronnés de succès ? C’est pourquoi des qualités comme l’impartialité, la patience, l’humilité sont exigées du savant. A ce niveau, on peut avancer quelques exemples. Les autres … règles s’imposent comme des limites ou des interdits. En effet, la démarche scientifique consiste à « interroger la nature » par l’expérimentation. Il s’agit d’intervenir dans les phénomènes pour les modifier, les provoquer artificiellement, en fonction d’une hypothèse, afin d’observer la réponse de la nature. Tout est-il moralement permis dans une expérimentation (usage de l’homme comme cobaye, manipuler son génome, doter la technologie militaire d’une puissance illimitée …) ? La réponse à une telle question doit tenir compte de l’évolution des mentalités et des interdits au cours des âges et dans les différentes cultures. Il n’empêche que cela relève de la morale. Aujourd’hui par exemple, si la nature physique n’est plus considérée comme secrètement habitée par une dimension sacrée dont il serait sacrilège de percer à jour le profond mystère et, qu’à ce titre on n’a plus de scrupules à la « désenchanter » (Max Weber), à la mettre à nue, en revanche, on continue de s’indigner devant certaines expériences réalisées sur des êtres vivants. A plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’homme, soit dans la connaissance médicale, soit dans l’étude des comportements individuels ou collectifs. La réflexion sur les fondements de tels interdits n’est toutefois pas ici notre objet.
Conclure.
Parce que les sciences usent de moyens intellectuels et pratiques, la morale doit y jouer un rôle.
Composer une transition s’appuyant sur le rapport moyen/ fin.
La réflexion morale intervient, outre dans le choix des moyens, également dans le choix des fins que l’on se donne. A cet égard, doit-elle jouer un rôle dans les sciences?
Chercher les conditions d’une réponse négative et s’interroger.
La réponse serait négative si la finalité des sciences était la pure connaissance désintéressée et si l’activité scientifique était indépendante de la vie sociale. En est-il ainsi ? On peut soutenir l’idée que la science n’est pas une activité purement spéculative, mais qu’elle s’exerce dans des conditions historiques, sociales et économiques déterminées. Ainsi la réponse demande qu’on distingue la fin que se donne le savant à titre individuel, qui peut être motivé par le plaisir de la recherche et de la découverte, et la fin sociale qui se manifeste par l’utilisation qui est faite des découvertes. La fin subjective du premier devient le moyen de la fin objective de la société. Or, il s’avère de ce point de vue que les résultats des sciences sont utilisés, à travers les techniques qu’on peut en tirer, comme moyens de puissance par le pouvoir politique et comme moyen de profit par le pouvoir économique. La recherche n’est donc pas gratuite, mais intéressée. Par voie de conséquence, la puissance de production accrue que donnent les techniques scientifiques ne fait que renforcer les défauts propres à un régime social : l’injuste répartition des biens et l’exploitation dans le travail, par exemple.
Par ailleurs, enfin, les sciences ne sont pas indépendantes des pouvoirs dans la mesure où les recherches entraînent des investissements considérables et sont subventionnées, soit par l’Etat, soit par des entreprises privées, qui tendent à imposer des priorités en fonction de leurs intérêts.
Conclure.
Les sciences n’ont qu’une relative autonomie par rapport à la société et le problème moral se pose à propos des usages qu’on en fait et des conséquences qu’elles peuvent avoir.
Tirer les conséquences de l’analyse précédente sur le terrain de la responsabilité du savant.
La réflexion morale implique des choix. Par qui seront-ils faits ? Puisque la question porte sur le rôle de la morale dans les sciences, c’est le savant qui serait responsable de ses choix. Dans la manière dont il exerce son métier, nous l’avons vu, sa responsabilité est engagée. Mais l’utilisation qui est faite ou peut être faite de ses découvertes relève-t-elle de sa responsabilité ? La réponse ne peut être simple. En tant que spécialiste de la recherche scientifique, sa fin étant la découverte, on peut l’estimer désengagé de toute responsabilité morale. Après tout, ce n’est pas lui qui choisit les usages qu’on fera de la science. D’un autre côté, n’est-il pas objectivement compromis, même indirectement dans ces choix ? Sans lui, qui les rend possibles par l’existence même de ses recherches, les dérives les plus malfaisantes observées des travaux scientifiques (récupération des recherches en physique atomique par les ingénieurs de Los Alamos, mettant au point la bombe …) n’auraient pu avoir lieu. N’est-ce pas une manière de lâcheté que de se réfugier dans la pureté de ses intentions?
Il apparaît alors que c’est comme citoyen plus que comme spécialiste que sa responsabilité est engagée, au même titre que tout autre citoyen, d’ailleurs. L’activité scientifique s’inscrivant nécessairement dans un contexte politique et économique, le citoyen-savant a une responsabilité morale au-delà du strict exercice de son métier.
Ce qui était en jeu.
L’indépendance seulement relative des sciences par rapport aux besoins d’une société, et par conséquent la responsabilité morale du savant en tant que citoyen.
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