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Dissertation : "Peut-on prouver l'existence de Dieu ?"

 

Peut-on prouver l'existence de Dieu ?

 

   Par opposition au savoir, la croyance est frappée d'incertitude : celui qui affirmerait « je crois que la Terre tourne » au lieu de dire « je sais que la Terre tourne » avouerait par là le défaut de son savoir. Or la croyance religieuse ne peut pas se concilier avec le doute : elle est de l'ordre de la conviction. Il y a d'ailleurs en français plus qu'une nuance entre « je crois que Dieu existe » (énoncé qui laisse entière la possibilité de sa non-existence) et « je crois en Dieu » (le Credo), expression d'une conviction qui écarte le doute.

 

   L'introduction d'une dissertation a pour fonction de déterminer le champ dans lequel la question posée trouve et prend place. Là apparaît comme essentielle la confrontation de la croyance et de la certitude.

 

   Lorsqu'elle se rapporte à Dieu, la croyance se nomme foi. Comment donner à la foi l'objectivité du savoir, en d'autres termes comment faire pour que la conviction (subjective) corresponde à la certitude (objective) ? Tel est le problème que tenta de résoudre l'étonnante aventure de l'esprit qu'on appelle « preuves de l'existence de Dieu ». La question posée induit la mise en critique de cette entreprise: le projet  de prouver l'existence de Dieu est-il légitime ? Est-il seule­ment possible ?

 

   Pouvoir. en français, renvoie à une question de fait (la possibilité matérielle », I can, en anglais) et à une question de droit (la possi­bilité morale, la légitimité, I may en anglais). Une dissertation doit toujours prendre une question dans la totalité de son extension.

 

   Commençons par le fait : on a, effectivement, prouvé l'existence de Dieu, à plusieurs reprises, dans l'histoire de la philosophie.

   Tertullien, l'un des premiers Pères de l'Église, disait que l'absurdité des dogmes chrétiens était pour lui une raison suffisante pour y croire. C'était opposer radicalement la foi et  la raison, la croyance et le savoir, la religion et la philosophie. La plupart des penseurs du Moyen Âge adoptèrent un point de vue tout à fait opposé. Ainsi naquit la théologie - discours rationnel sur Dieu -, que le Moyen Age n'hésita pas à concevoir comme science. La philosophie antique avait forgé une logique, tout un tra­vail de la pensée dont les théologiens, dans leur quête de Dieu, tireront le plus grand profit. Tel était le sens du « Fides quaerens intellectum » (la foi à la recherche de l'intelligence) qui fut comme la devise de la plupart des théologiens et phi­losophes du Moyen Age. Platon et Aristote avaient donné l'intellect, l'Évangile avait donné la foi, il s'agissait désormais de marier les deux.

   Il existe en effet plusieurs preuves de l'existence de Dieu. La plus ancienne (on la trouve déjà chez Aristote, sous une forme légèrement différente) et aussi la plus populaire (elle est celle qui vient spontanément à l'esprit des croyants) a été appelée preuve cosmologique.

   Aristote, dans sa Métaphysique, pose la nécessité d'un « premier moteur » , cause originelle des mouvements observables dans la nature. Tout corps mû, dit Aristote, reçoit son mouvement d'un autre corps lui-même mû par un autre corps, etc. Ces causes forment une chaîne, mais il doit y avoir une cause première, elle-même immobile : Dieu, premier moteur non mû. Cosmologique (du grec cosmos, univers) signifie relatif à l'univers considéré dans son ensemble.        Celle-ci applique l'idée (rationnelle) de causalité à l'uni­vers dans son ensemble : tout ce qui existe a une cause . (Leibniz appellera « principe de raison suffisante » ce principe) ; or l'univers existe, il a donc une cause (rien ne vient de rien) et cette cause est Dieu.

   Une autre preuve prend appui sur les idées d'harmonie et de finalité. L'univers n'est pas un chaos : il est et contient un ensemble d'ordres qui supposent un principe créateur. De même qu'une suite de pierres jetées au hasard ne pourra jamais donner qu'un tas de pierres (et non un bâtiment), de même le jeu aveugle de la matière abandonnée à elle-même l'aurait jamais pu produire un oeil, muni de ses cônes et de les bâtonnets pour la vision des formes et des couleurs.

   Une autre preuve de l'existence de Dieu, la preuve dite ontologique, est plus abstraite. On la doit à Saint Anselme, un philosophe du Moyen Âge : elle énonce que puisque Dieu est l'Être tel que nous ne pouvons en concevoir de plus parfait, il existe nécessairement, parce que l'existence est une perfection, et l'inexistence une imperfection.

 

   « Ontologique » signifie relatif à l'ontologie, à l'être en tant qu'être. L'ontologie - en grec « discours sur l'être » -équivaut parfois à la métaphysique (ainsi, chez Aristote).

 

   La preuve ontologique conclut l'existence à partir de l'es­sence puisque Dieu est l'Être parfait, il existe de toute néces­sité en tant que parfait. On peut également évoquer la preuve que Descartes énonce dans ses Méditations métaphysiques, elle est connue sous le nom de  « preuve par l'idée de parfait » : l'être humain a dans sa pensée l'idée d'un être parfait ; or puisque lui-même est imparfait, cette idée n'a pu provenir de lui ; elle n'a pu être produite que par un être parfait, qui est Dieu.

 

   Ainsi, par différents raisonnements, a-t-on pu prouver l’existence de Dieu. Seulement s'agit-il réellement de preuves ?

 

   En effet, ce sont les moyens mêmes destinés à ôter tout doute de l'esprit qui ont été mis à l'épreuve de la critique. Quel est le pouvoir d'une preuve ? Celui de gagner l'adhé­sion de celui-là même qui au départ avait un point de vue éloi­gné ou opposé à celui que la preuve légitime.        La preuve énonce un devoir penser, que seuls l'ignorance, l'entêtement ou la mauvaise foi se refusent à reconnaître comme tel. Elle donne du même coup à la palinodie tendance à changer ses lettres de noblesse, en mon­trant qu'il est parfois plus courageux de se ranger à un avis contraire au sien plutôt que de s'enferrer dans le sien propre.

 

   Palinodie : rétractation, désaveu de ce que l'on a dit auparavant.

 

   Or a-t-on jamais vu un athée devenir croyant après avoir entendu énoncer une preuve de l'existence de Dieu ? Il y eut dans l'histoire de nombreux cas de conversion, mais les raisonnements philosophiques n'y eurent aucune part : les Africains qui devinrent chrétiens ne lurent pas Descartes ni Saint Anselme.

   En outre s'il y avait réellement preuves de l'existence de  Dieu, les incroyants ne seraient plus que des imbéciles ou des ignorants, à moins qu'ils ne fussent, comme les négation­nistes indifférents aux milliers de preuves des chambres à gaz nazies, des espèces de pervers de l'esprit, position que les croyants mêmes n'oseraient plus soutenir aujourd'hui.

   Le travail de la preuve présuppose des données indis­cutables - axiomes dans les sciences abstraites, observations et mesures dans les sciences expérimentales. Or toutes les prétendues preuves de l'existence de Dieu partent de présupposés discutables : pourquoi, par exemple, seul un Etre parfait pourra-t-il induire en nous l'idée de perfection. Ne voit-on pas, chaque jour, que la pensée n'est pas seulement  l'image adéquate du réel mais aussi son envers ? Ce n'est pas  parce qu'il est heureux mais bien parce qu'il est malheureux que l'être humain conçoit l'idée de bonheur ; dès lors, il n'est plus extravagant d'imaginer une idée de perfection  produite justement par l'être le plus imparfait qui soit.

   Saint Anselme prétend tirer l'existence de l'Être parfait de son essence (sa perfection) : mais à quoi cette essence corres­pond-elle ? Partir de l'idée d'Être parfait, n'est-ce pas partir de ce Dieu où l'on feint d'aboutir ?

   De fait, seuls les convaincus d'avance ont énoncé ces preuves de l'existence de Dieu, et ce n'est pas par le biais de ces preuves qu'ils sont arrivés jusqu'à Dieu.

   Dans la partie de La Critique de la raison pure intitulée « Dialectique transcendantale », Kant fait l'analyse critique des illusions par lesquelles la raison, toujours avide d'absolu, s'empare des concepts de l'entendement pour construire une prétendue connaissance des noumènes.

 

   La dialectique transcendantale est, chez Kant, l'analyse critique des illusions de la raison. L'entendement est avec la sensibilité le seul moyen de connaissance - laquelle, aux yeux de Kant, ne peut porter que sur les phénomènes, objets d'expérience. Les noumènes, objets de pensée, sont inconnaissables car situés hors du champ de l'expérience.

 

    Dieu est avec le moi et l'univers l'un de ces noumènes. La métaphysique n'est qu'une science illusoire (on dirait aujourd'hui une pseudo-science), car elle applique à un domaine hors d'atteinte de l'expérience des outils (les concepts de cause ou de finalité, par exemple) qui ne valent que pour l’expérience. Nous disons : Dieu est cause de l'uni­vers comme nous disons que le nuage est cause de la pluie, mais s'agit-il d'une même relation ?

   Il n'y a donc de preuve que dans le double champ de la raison logique et de la raison expérimentale. Or l'existence de Dieu échappe en tant que phénomène inouï, propre­ment, à l'une et à l'autre.

 

   Ce paragraphe qui conclut la deuxième partie annonce la troisième partie et la conclusion.

 

   Croire, en effet, n'est pas la même chose que savoir, et la réalité à laquelle la croyance conduit n'est, par définition, pas celle de la vie quotidienne et empirique.

 

  Empirique = relatif à l'expérience commune, l’expérience issue des sens.

 

   Il n'y a pas de religion sans mystère ni secret. Or la volonté, de savoir, qui est impériale sinon impérialiste, n'admet juste­ment ni mystère ni secret. C'est pourquoi cette volonté dans toutes les religions est conçue comme fautive.

 

   Le péché originel, tel que l'illustre la Genèse, est un péché de connaissance puisque le fruit interdit, que mangèrent Adam et Eve, fut celui de l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

 

   Qu'est-ce que peut signifier une volonté de preuve sinon le doute, donc un défaut de croyance ? Demande-t-on une  preuve d'amour à celui dont on est sûr qu'il nous aime ?

   La foi est le nom donné à la croyance religieuse lorsque celle-ci porte sur la réalité d'une personne suprême dont on attend amour et grâce (le Grec croyait en Zeus mais le chré­tien fait plus que croire en Dieu : il a foi en Lui). Une foi qui réclamerait des preuves (sous forme, par exemple, de miracles) ne serait plus la foi.

 

    Le miracle est un acte surnaturel qui contrevient aux lois de la phy­sique. Les miracles de Jésus sont des dons et non des preuves : ils suivent la foi et ne la suscitent pas. Ce n'est pas parce que Jésus fait des miracles que les gens ont foi en lui mais, à l'inverse, c'est parce qu'ils ont foi en lui qu'il fait des miracles.

 

  Job, l'homme de la foi absolue dans la Bible, garde sa confiance en Dieu malgré tous les malheurs qui s'abattent sur lui. Comme ce n'est pas sa splendeur passée qui faisait sa foi, elle n'a pas été défaite par ses misères présentes.

   Les preuves de l'existence de Dieu ne se sont pas relevées des objections que Kant leur a portées. Le travail de la preuve est de nature rationnelle et expérimentale. Or l'existence de Dieu comme réalité possible et comme objet de croyance n'est ni rationnelle ni expérimentale. L'expérience de Dieu, chez les croyants - plus encore chez les mystiques - est d'un autre ordre. L'existence de Dieu s'éprouve, elle ne se prouve pas. Mais cela signifie aussi que son inexistence est à jamais hors d'atteinte de ce travail : rien, en effet, ne prouve comme impossible, logiquement ou physiquement, l'inexistence de Dieu. C'est une certitude que les croyants, à défaut de l'autre, auront gagnée.

 

 

 

 

 

 

 

 



18/06/2008
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