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"Don Quichotte" de Miguel de Cervantès.(1547-1616)

 

Don Quichotte

(El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha)

Miguel de Cervantès (1547-1616)

Roman, Espagne, 1606 à 1615

 

 

Résumé :

 

   Parce qu'il se passionne trop pour les romans de chevalerie, qu'il a tous lus, Don Quichotte prétend à ses amis, le curé et le barbier, que ces récits rapportent des faits réels. Faisant siens les idéaux chevaleresques, il empoigne les armes de ses aïeux, se fabrique une visière en carton, baptise sa vieille rosse Rossinante et se choisit le nom de Don Quichotte de la Manche. Enfin, comme tout chevalier errant qui se respecte a le cœur prisonnier d'une belle dame, il baptise une paysanne Dulcinée du Toboso et prend la route, avide d'exploits qui feront sa renommée auprès du monde et de sa bien-aimée.

   Après une journée de marche, il arrive à une auberge qu'il voit comme un château. Prenant les filles de joie pour des princesses et l'aubergiste pour le châtelain, il leur demande de l'armer chevalier.

   La première tâche de notre chevalier sera de délivrer un jeune berger des coups que lui donne son patron mais, sitôt Don Quichotte disparu, le paysan récupère son valet et le bat comme plâtre. Il rencontre ensuite des marchands qu'il prend pour des chevaliers et leur ordonne de déclarer Dulcinée la plus belle des femmes. Hélas, il est reçu à coups de bâtons et un de ses concitoyens l'ayant vu dans cet état le ramène au logis. Sa nièce, sa gouvernante et ses amis le croient fou et brûlent sa bibliothèque afin de le guérir. Cela n'empêche pas notre héros de trouver en Sancho Pança l'écuyer qui lui manquait et de lui promettre une île en guise de récompense pour ses services futurs. Ils prennent secrètement la route, Don Quichotte sur Rossinante, Sancho sur son âne.

   Ayant aperçu des moulins à vent, Don Quichotte voit en eux des géants qui hantent la contrée. Malgré les protestations de Sancho, il s'élance et est emporté dans les airs par les ailes du moulin. Ils rencontrent ensuite des moines qui précèdent un carrosse. Pour Don Quichotte, il s'agit d'enchanteurs qui, emmènent une princesse en captivité. Il charge, en assomme un que son écuyer s'empresse de dépouiller et, après s'être battu en duel avec l'un des valets de la dame au carrosse, s'en tire à son honneur. Le jour suivant, ils parviennent à un château où, pendant la nuit, ils sont roués de coups par ce qu'ils croient être des fantômes. Au matin, refusant de payer la nuit sous prétexte des règles de chevalerie, Sancho paye de sa personne les folies de son maître. Le chevalier refuse d'intervenir, se croyant enchanté par les fantômes du château. Repartis, ils croisent un troupeau de brebis qu'ils prennent pour deux armées en bataille auxquelles Don Quichotte s'empresse de prêter main forte, avant d'attaquer un convoi funéraire qu'il imagine être le ravisseur d'un chevalier blessé. Mais notre homme ne s'en tient pas là et, croisant un barbier affublé de sa bassine en cuivre, il croit reconnaître le heaume rutilant de Mandrin. Il charge, s'empare du trophée tandis que Sancho, toujours pratique, récupère le harnais du baudet. Mais la journée est loin d'être finie et, croisant des bagnards enchaînés, il les délivre au nom de Dulcinée. Il envoie Sancho, muni d'une lettre, auprès d'elle en lui demandant de faire cesser ce tourment. En chemin, Sancho rencontre le curé et le barbier. Ceux-ci décident d'aller chercher le chevalier que Sancho a baptisé «à la triste figure », afin de tenter de le guérir. Au milieu de la forêt, la rencontre providentielle de Dorothée, jeune fiancée abandonnée, leur fait imaginer un stratagème qui convient à la folie de Don Quichotte. Elle l'incitera à venir délivrer son royaume d'un géant et lui fera promettre de ne tenter aucun autre exploit avant d'avoir rempli sa mission. Don Quichotte promet. Sancho le voit déjà épouser celle qu'il croit être une princesse, et lui, recevoir son île en guise de récompense. Mais à l'auberge, le curé et le barbier se faisant passer pour des enchanteurs enferment le chevalier dans une cage et le ramènent au village.

   Ici s'arrête le premier livre de Don Quichotte, sans, toutefois, que l'auteur ait promis de raconter la troisième et dernière sortie de Don Quichotte. Cet autre ouvrage paraîtra en 1615, soit dix ans plus tard.

 

Pistes de lecture :

 

Des prisons turques aux plaines de Tarragone.

 

   Miguel de Cervantès y Saavédra est né à Alcala de Henares en 1547. Second fils d'un médecin peu fortuné, il fréquente cependant les universités d'Alcala et de Salamanque. Cherchant fortune dans le métier des armes, il devient le camérier du cardinal Acquaviva. Cette vie militaire lui fait parcourir toutes les grandes villes d'Italie et, en 1571, lors de la bataille de Lépante qui réunit sous le pavillon de Don Juan d'Autriche les forces navales du pape, de Venise et de l'Espagne contre les Turcs, il perd son bras gauche. Capturé par les Turcs en 1575, il ne sera libéré que cinq ans plus tard après de vaines tentatives d'évasion. Durant sa captivité, il rédige Galatée qui ne sera achevé qu'en 1583. De retour au pays, il fréquente les poètes, se marie et fait ses premiers essais au théâtre. Mais, accablé par les nécessités de la vie, il accepte un emploi de percepteur des impôts. Emprisonné à Séville en 1597 et en 1602, c'est là qu'il rédige probablement le plan de Don Quichotte.

   L'ouvrage paraît en 1605 et est accueilli avec ferveur par le public. Cette même année, le récit du chevalier à la triste figure est réimprimé six fois et Cervantès trouve enfin des protecteurs qui le mettront à l'abri du besoin. En 1612 paraissent Les Nouvelles exemplaires qui regroupent plusieurs récits plus anciens dont L'Espagnole-Anglaise qui relate sa capture par les pirates turcs.

   Mais en 1614, alors qu'il travaille d'arrache-pied à la seconde partie de Don Quichotte, paraît à Tarragone un Don Quichotte apocryphe. Le faussaire s'étant dissimulé sous un pseudonyme, personne ne sut jamais son identité véritable. Dans la seconde partie de Cervantès parue en 1616, l'auteur s'attaque subtilement au plagiaire en faisant se rencontrer des personnages de ce dernier et ses propres héros. La confrontation est un coup de maître et le plagiaire ne s'en remettra pas.

   A la différence du premier ouvrage, Don Quichotte quitte les plaines de la Manche pour Saragosse et achèvera sa course à Barcelone où, vaincu par le chevalier de la Blanche Lune, il regagnera son village pour y mourir.

   Le 23 avril 1616, après avoir prononcé ses vœux comme tertiaire de saint François, Cervantès s'éteint, sa femme à son chevet.

 

La modernité de Cervantès.

 

   Dès le prologue du Quichotte, Cervantès se démarque des récits de la chevalerie et des ouvrages de son époque en affirmant qu'il ne parvient pas à écrire le prologue et éprouve une vive contrariété à n'avoir pas de citations latines ou d'extraits de philosophes à citer en bas de page. Qu'importe, lui répond un ami, afin de donner plus de crédibilité au récit auprès des érudits, il suffit de l'émailler de citations inventées de toutes pièces qu'il attribuera aux auteurs fameux. Personne ne vérifiera et, puisque le propos de l'ouvrage est de ruiner l'autorité des écrits de chevalerie, tout ce fatras pseudo-philosophique s'avère inutile. Le ton est donné et l'ouvrage est, à ce titre, le premier roman moderne. L'auteur intervient fréquemment dans son récit, joue à cache-cache avec le lecteur, prétendant rapporter la traduction d'un original-arabe dû à l'historien Cid Hamet Benengeli et, surtout, met en lumière des procédés narratifs.

 

Parodie et réflexion sur l'écriture.

 

   Deux plans d'interprétation se dégagent de la lecture de cette première partie. D'une part, la parodie du roman de chevalerie représentée par le premier niveau du récit, c'est-à-dire les situations cocasses dans lesquelles l'auteur place et fait agir ses héros. D'autre part, une réflexion sur l'écriture qui tient aussi bien dans le postulat de départ (les livres sont-ils la réalité, comme le croit Don Quichotte?) que dans l'écriture même (Cervantès se met constamment en dehors du récit, fait intervenir des discours sur les récits; par exemple, le discours du chanoine et du curé). En ce sens, l'ouvrage ne peut être ramené à une simple parodie. Fréquemment, le chevalier à la triste figure passe à l'arrière-plan du récit pour laisser la place à une multitude de récits imbriqués, racontés par les personnages croisés en chemin (Chrisostome, le curieux extravagant, le pauvre Cardenio, le captif...). Tous ces récits introduisent en contrepoint de l'idéal de chevalerie (générosité, grandeur morale) et du réalisme pratique de Sancho Pança d'autres idéaux de vie tels qu'ils sont rapportés par les ouvrages en vogue à l'époque (pastorale, récit picaresque). L'ensemble donne une vision du monde constituée par le jeu des points de vue et née de la confrontation des différentes opinions.

 

 

La folie de deux héros.

 

   Si, tout au long du récit, Don Quichotte est considéré comme fou par ses contemporains parce qu'il prétend croire le monde soumis à son propre point de vue, Sancho n'échappe pas au même jugement, mais pour une raison opposée. Homme éminemment pratique, il base son mode de vie sur la tradition orale, usant et abusant de proverbes pleins de ce bons sens populaire qu'il représente; il est lui-même atteint d'une folie proche de celle de son maître. Lui aussi veut réaliser ses rêves quoi qu'il lui en coûte et sa volonté de gouverner une île est telle qu'il accepte et prend pour sienne la vision du monde de son maître.

   Au niveau de l'écriture elle-même, Cervantès prend le contre-pied du point de vue de ses personnages et rapporte leur histoire comme véridique. Ce qui lui permettra d'introduire dans la seconde partie les lecteurs de la première. Quichotte et Sancho sont accueillis non pas comme des figures de roman mais comme des héros dont le récit véridique aurait circulé. L'astuce mérite d'être soulignée parce que, prétendant démontrer la non-correspondance des romans de chevalerie avec la réalité, Cervantès utilise ses lecteurs pour souligner la véracité de son récit et donc se parodie lui-même.

 



11/07/2008
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