Foi et raison
Philosopher : croire et/ou savoir ?
Croire dispense-t-il de savoir ?
Savoir exclut-il de croire ?
La foi est-elle incompatible avec la raison ?
Philosophie et science(s) exigent-elles une critique de la religion ou, plus encore, une négation de la religion ?
Pour introduire une réflexion sur les rapports de la raison et de la foi, j’aime assez l’image de Saint Paul sur l’Agora d’Athènes prêchant devant des philosophes incrédules.
Au chapitre 17 des « Actes des Apôtres », Saint Paul, le 13° apôtre, celui qui ouvre l’Eglise aux « Gentils », aux incirconcis, aux non-juifs, qui, pour cela voyagera beaucoup et mourra à Rome décapité comme tout citoyen romain (civis romanus sum) accusé de faute envers Rome, se trouve à Athènes. Il parcourt la ville et est questionné par des philosophes épicuriens et stoïciens. Ceux-ci le prennent pour un « spermologos », i.e. un discoureur dont les paroles s’éparpillent en tous sens.
« Il y avait même des philosophes épicuriens et stoïciens qui l’abordaient. Les uns disaient : « Que peut bien vouloir dire ce perroquet ? « D’autres : « On dirait un prêcheur de divinités étrangères », parce qu’il annonçait Jésus et la Résurrection. Ils le prirent alors avec eux et le menèrent devant l’Aréopage en disant : « Pourrions-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes ?
Car ce sont d’étranges propos que tu nous fais entendre. Nous voudrions donc savoir ce que cela veut dire. »
Tous les Athéniens en effet et les étrangers qui résidaient parmi eux n’avaient d’autre passe-temps que de dire ou écouter les dernières nouveautés. Debout au milieu de l’Aréopage, Paul dit alors : « Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes.
Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu’à un autel avec l’inscription : “Au dieu inconnu”. Eh bien ! Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer. »...
A ces mots, par exemple, de « résurrection des morts », les uns se moquaient, les autres disaient : « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois ». C’est ainsi que Paul se retira du milieu d’eux.
Quelques hommes cependant s’attachèrent à lui et embrassèrent la foi. Denys l’Aréopagite fut du nombre. Il y eut aussi une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux. »
Les philosophes athéniens emmènent donc Paul à l’Aréopage, un conseil qui se réunissait autrefois sur la colline de l’Aréopage, non loin de l’Acropole, mais qui se réunit désormais sous un portique, une colonnade, en bordure de l’Agora.
Paul prêche la venue de Jésus, fils de Dieu, la résurrection d’entre les morts ... et, à ce titre convainc peu, sauf Denys l’Aréopagite qui deviendra le premier évêque d’Athènes.
Les philosophes sont effarés par ce discours enflammé, venant de quelqu’un qui a d’abord persécuté des chrétiens et qui a rencontré la foi sur le chemin de Damas.
Si l’on écoute le discours de Paul d’une oreille critique, philosophique, on peut n’y voir qu’une somme d’absurdités sans fondement rationnel qui n’engagent que son auteur.
Si on lui prête une oreille bienveillante, on peut se dire qu’il ne s’agit que d’une affaire privée entre Paul et son Dieu et que cela, finalement, ne regarde que lui.
Bref, la foi apparaît d’abord comme une affaire privée, une adhésion subjective sans fondement rationnel solide.
C’est à ce titre qu’elle fera les frais de l’athéisme critique du XIX° siècle, notamment, des maîtres du soupçon : Nietzsche, Marx et Freud, et aujourd’hui d’une tolérance molle, relativiste : chacun pense ce qu’il veut, croit en ce qu’il veut, pour autant qu’il ne prétende pas détenir la vérité universelle.
La foi, privée et irrationnelle, semble donc bien peu compatible avec la raison, le « logos », qui tend vers l’objectivité et l’universel. Et cette incompatibilité a d’ailleurs souvent pris la forme d’un conflit dans lequel les deux protagonistes ont souvent eu leurs torts respectifs : lorsque la foi humilie la raison en la déclarant inapte à toucher aux vérités essentielles, métaphysiques, ce que l’on nomme le « fidéisme », elle attise le conflit et la rancœur. Lorsque la raison s’enferme dans un « rationalisme » intransigeant, dénonçant de manière méprisante l’inconsistance logique de la foi, elle ne joue guère, non plus le jeu de l’apaisement.
Foi et raison se repoussent-elles nécessairement ?
La recherche d’une conciliation vient sans doute davantage d’une remise en question de la foi elle-même, qu’une remise en cause de la raison, et cela, avec Saint Thomas, au XIII° siècle : la foi ne peut se fortifier qu’en cherchant à comprendre. En effet, une foi laissée à elle-même, se confond souvent avec une pieuse adhésion sentimentale à son objet. Elle s’abandonne à l’affectivité et donc à l’immédiateté de la subjectivité et du sentiment.
Penser sérieusement la foi consiste plutôt à la rechercher du côté de la décision, du volontarisme, comme on pourrait dire aujourd’hui. Davantage qu’un état inerte, la foi, c’est d’abord un acte de foi, un acte inséparable d’un risque, d’un pari qui engage personnellement celui qui affirme : « je crois », son « credo ». Qui dit « risque », dit aussi passion, engagement passionné, mais aussi « mesure ». Il s’agit moins de se nuire inutilement que de tenter d’excéder, de dépasser ses limites mais sans négliger une certaine prudence calculée et de viser un gain qui soit à la hauteur du risque encouru.
« Sans risque, pas de foi, écrit Kierkegaard. La foi est justement la contradiction entre la passion infinie de l’intériorité et l’incertitude objective », Post-Scriptum aux Miettes philosophiques.
Par rapport à la vérité objective rationnelle, qui paraît certaine parce que démontrable et communicable, la certitude intérieure et subjective du croyant semble bien fragile, dans son incapacité à se justifier objectivement devant la raison.
Mais c’est précisément cette incertitude objective qui maintient le croyant tendu avec passion, avec conviction, avec fermeté vers son objet, qui l’amène à prendre position courageusement, car il sait que la décision qu’il prend dans l’obscurité de ce « je crois », engage son existence.
Il y a donc dans l’acte de foi, un pari, un acte de confiance envers celui en qui l’on croit et que la raison ne peut assurer et garantir. Mais cette confiance n’est pas pour autant aveugle. En effet, la raison peut s’attacher à vérifier et à garantir la crédibilité de celui en qui on met sa foi. Par ex., s’il est davantage crédible de faire confiance à un ami plutôt qu’à un inconnu, c’est parce que ma raison a pu éprouver par le passé, a pu s’assurer que cet ami était digne de confiance. L’acte de foi, le saut qu’il suppose ne dispense pas de raisons de croire, de raisons d’engager sa foi, afin que celle-ci ne se transforme pas en simple superstition.
En philosophie, on trouve une tentative rationnelle pour établir des « preuves » de l’existence de Dieu. Mais les philosophes ne sont pas dupes : si l’on parvient à démontrer avec certitude l’existence de Dieu, alors quid de la libre décision de chacun de s’engager dans un acte de foi ? Plus de décision, plus de liberté, plus de réel engagement. Ces tentatives de preuves ne sont pas autre chose qu’une façon de fortifier la foi, de rappeler qu’un véritable engagement a tout à gagner à se renforcer d’une armature rationnelle, que croire ne dispense pas de disposer de raisons de croire, de s’assurer de la cohérence du contenu de la foi. Si la foi est une vertu théologale, un don de Dieu, pour autant il est naturel pour le croyant de vouloir s’assurer intelligemment et objectivement de la vérité de ce en quoi il croit.
Saint-Augustin disait en ce sens : « Je crois pour comprendre et je comprends pour mieux croire ». Il s’agit de rendre raison de l’objet de la foi. Crédibilité et intelligibilité.
Rendre raison de l’objet de la foi, Dieu, ce n’est toutefois pas démontrer qu’il est intrinsèquement rationnel, mais c’est plutôt justifier rationnellement sa crédibilité. A défaut de pouvoir être intégralement compris et démontré, Dieu est peut-être crédible, et c’est certainement une tâche de la raison que de justifier cette crédibilité, de renforcer les motifs qui me poussent à croire en Lui et à engager mon existence en ce sens.
Si l’on veut, on peut dire que la foi n’a pas à être rationnelle, mais au moins à être raisonnable. Une croyance raisonnable ne peut être contraire ni à la liberté, ni à l’intelligence de l’homme.
« Croire est un acte de l’intelligence adhérant à la vérité divine sous le commandement de la volonté mue par Dieu au moyen de la grâce ». Saint Thomas d’Aquin.
Si la foi est première, la raison n’en est pas moins requise, afin de discerner à l’intérieur de nos croyances ce qui relève de l’authentique engagement ou de la simple superstition.
L’objet de la foi reste, certes mystérieux, mais n’est néanmoins pas absurde. L’absurde est un défaut d’intelligibilité, tandis que l’objet de la foi se caractérise par un excès d’intelligibilité. Si je ne peux totalement le comprendre, je peux l’approcher par analogie, en procédant à un rapprochement de l’inconnu vers le connu, tout en concédant néanmoins une incommensurabilité et une transcendance de l’inconnu par rapport au connu que j’envisage. Quand je dis par ex. que Dieu est le Père, je dis quelque-chose de la nature de Dieu, la source, l’origine, la paternité, tout en sachant que la génération divine n’est pas entièrement réductible à la génération humaine, à la paternité humaine.
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