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Français, littérature et Humanités. Quelques définitions.

    1/ Différence  : littérature/français :

   « Littérature », pourquoi mettre en avant la littérature, alors que l’on parle plutôt d’enseignement du « français »  dans notre système scolaire, en insistant sur la maîtrise de la langue, davantage que sur le patrimoine des œuvres produites par la langue française. Cette appellation du « français » est issue d’une tradition normative : être un bon citoyen supposait une maîtrise parfaite de la langue française, i.e. qu’il s’agissait d’abord pour les élèves d’oublier leur langue régional, leur patois (le breton, le normand, le gallo, l’occitan …), afin de parler et d’écrire la langue nationale (la tradition est aujourd’hui, plutôt réflexive, on réfléchit, on relativise, on excuse …) qui faisait de l’apprentissage de la langue un devoir national, patriotique, républicain : on parle d’ailleurs encore de « faute » d’orthographe, avec une connotation morale et juridique. Quand on commet une « faute » d’orthographe, on est puni. Lorsqu’un élève parlait patois, il était clairement puni.

 

« On peut uniformiser le langage d’une grande nation… Cette entreprise qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté. »

« Rapport Grégoire », 1794.

 

   Donc, en HLP, non pas du français, mais de la « littérature », notre héritage livresque : le mot « littérature » apparaît au XII° siècle, forgé sur « littera », lettre, les lettres : le terme va désigner, la connaissance, l’art, la culture … véhiculés par les lettres, les Belles Lettres. Dans l’enseignement supérieur, exit le « français » et bonjour la littérature … française, comparée … L’accent est mis sur le fond, davantage que la forme et non plus sur l’usage immédiat de la langue, mais l’enrichissement intellectuel, le développement de la sensibilité esthétique : [Entendez que c’est cela qui va vous distinguer des autres élèves : le goût, l’appétence, comme on dit pour les belles œuvres, l’accroissement de votre sensibilité]

 

 

 

    2/ « Humanités »

   Le mot "Humanités- au plurielest un terme qui a été utilisé pendant longtemps, à l’époque de vos, nos arrière-grands-parents, du moins ceux qui ont pu accéder au baccalauréat « ès lettres » : on faisait ses humanités (faire ses Humanités) … je me rappelle de cette expression dans ma famille qui a été abandonnée, surtout depuis Mai 68, et qui revient à la mode (en Grande-Bretagne, existe le mot « Humanities », mais il désigne les Sciences humaines : psychologie, sociologie …). Il ne faut pas se cacher que derrière tout cela il y a des enjeux politiques : la mondialisation, l’érosion de la culture, de l’identité française et européenne est en jeu. Il s’agit de renouer autant qu’il est possible avec une tradition, des valeurs occidentales en faillite.

 

   Le terme d’ « humanités » (au pluriel) provient des Litterae humaniores, des Lettres humaines qui étaient à distinguer, à la Renaissance, des Litterae divinae et sacrae. Les premières désignaient les enseignements profanes, dont l’héritage de l’Antiquité : la science et la philosophie antiques gréco-latines, enseignement d’une culture non-chrétienne fondée sur l’exercice de la raison humaine. Par la suite, les Humanités vont désigner l’enseignement des cultures grecque et latine et surtout de leurs langues respectives. Pourquoi, parce que cette pratique favorisait un relativisme culturel, mais encore contenu dans l’espace de l’Occident -la Grèce est considérée comme le berceau de la culture occidentale, grâce à l’invention de la « raison »), une mise à distance de sa culture, de sa langue et donc permettait l’accès à une autonomie intellectuelle, il est vrai, réservée à une élite. Regardons les auteurs du XVII° siècle, de l’Ancien Régime, la plupart traduisent et imitent les auteurs antiques (on les nomme les couples canoniques) : Racine réécrit les tragédies de Sophocle ou d’Euripide : Phèdre, Andromaque …, La Fontaine réécrit les fables d’Esope, Bossuet le prédicateur s’inspire de Démosthène, Mme de Sévigné, plus proche de nous, s’inspire de la correspondance de Pline le Jeune (1° siècle après J.C., Pompéi ensevelie en 79 ap.J.C.)

 

   Puis au tout début du XX° siècle, les Humanités classiques vont être relativisées avec la diversification des disciplines : sciences modernes qui se libèrent de l’héritage d’Aristote, par ex., histoire de France …, enseignement des langues étrangères vivantes … Jusqu’alors les études étaient fondamentalement théoriques et visaient à enrichir l’intelligence et la personne toute entière des étudiants, avec l’affirmation de l’esprit républicain (l’école républicaine : Jules Ferry …) au XIX° et surtout au XX° siècle, les études vont viser un objectif davantage utilitaire, une mise en pratique au service des diverses professions. Les « Humanités » vont être alors reléguées au rang de la culture désintéressée, celle qui ne vise pas une utilité immédiate, et vont donc concerner une élite.

   Alors pourquoi le retour de ce terme aujourd’hui ? On peut revenir sur certaines idées évoquées : reprendre le relais de notre patrimoine, de notre héritage occidental, des grands auteurs, des grandes pensées, des valeurs… qui structurent l’Europe, cultiver un certain désintéressement : aimer la connaissance pour elle-même, le savoir (issu du radical : saveur, d’ailleurs), pratiquer les humanités c’est entretenir une certaine connivence, voir une relation affective avec les grands auteurs disparus : aimer Platon, Cicéron, Montaigne …, relativiser, mettre à distance notre culture immédiate pour mieux l’apprécier avec un regard critique, voire pour l’enrichir… Pratiquer les Humanités, c’est aimer l’homme d’aujourd’hui, sans doute, mais aussi celui d’hier, pour peut-être mieux aimer celui de demain, mesurer en lui, ce qu’il y a de pleinement humain, pour avoir une pleine conscience de sa valeur humaine.



14/09/2023
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