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Idéal, réel ?

                                     PHILOSOPHIE : approche des REPÈRES                                                               

 

                                                            IDÉAL / RÉEL

 

 

La signification du repère :

 

Si l'on en croit l'étymologie, idéal et réel devraient être des termes complémentai­res plutôt qu'opposés. L' « idéa » grecque est en effet l'aspect extérieur d'une chose, son apparence ou sa forme visible ; et notre mot réel vient du latin « res », qui désigne la chose matérielle concrète. Le plus souvent, néanmoins, on oppose l'idéal au réel comme l'abstrait au concret: c'est que l'idée est ordinairement réduite à une « représentation » psychique, objet mental au statut improbable, auquel on oppose la matérialité sensible du « réel », c'est‑à‑dire des choses. « Mon paletot aussi deve­nait idéal », chante Rimbaud dans « Ma bohème » : manière de dire que le manteau du poète errant, usé jusqu'à la corde, s'effilochait, et qu'il était sur le point de ne plus exister qu'en idée, c'est‑à‑dire dans l'esprit du promeneur frigorifié. Comme si l'idéal était l'ultime chatoiement de l'apparence, ou la trace que laisse dans nos mémoires un réel qui achève de se décomposer. Substantivé, « l'idéal » désigne pourtant aussi une forme de réalité supérieure et préférable au réel tel qu'il est: comme par exem­ple lorsqu'on oppose « l'idéal communiste » (la justice et la paix) aux imperfections décevantes du « socialisme réel » (la pénurie et le goulag). L'idéal, en ce sens, est plus que le réel : il est pur et sans tâche, irréprochable et intemporel. Alors que le réel est contingent, imparfait et changeant. Reste à savoir, à ce compte, en quel sens l'idéal peut valoir comme un modèle digne d'être imité : s'agit‑il d'un prototype sus­ceptible d'être reproduit tel quel dans le monde réel, ou demeure‑t‑il, du fait même de sa perfection, un rêve à jamais irréalisable ? Réfléchir sur la distinction de l'idéal et du réel, c'est donc se demander lequel des deux « est » véritablement. Et renouer ainsi avec la question directrice de la philosophie, depuis son aurore grecque: que veut dire « être » ?

 

Comment s’en servir ? :

 

À rebours du sens commun, la philosophie peut avoir de bonnes raisons d'accor­der un primat à l'intelligible par rapport au sensible. La forme intelligible (l'idée pla­tonicienne) n'est‑elle pas, contrairement aux choses sensibles, soustraite au temps et au devenir ? À ce compte, on pourrait aller jusqu'à considérer l'idée seule comme vraiment réelle, et caractériser en revanche le sensible changeant et corruptible par son peu de réalité. Dans Le Banquet (21 Oe‑21 1 b), Platon oppose ainsi l'Idée de beau, réalité éternelle, parfaite et incorporelle, aux choses belles, exposées à la génération et à la corruption. Néanmoins il faut bien, pour être belles, que ces choses participent de la beauté en soi. Or s'il paraît éclairant de définir l'idée comme l'unité (intelligible) d'une multiplicité (de choses sensibles), la manière dont les choses sensibles individuelles participent de la réalité intelligible semble beaucoup plus dif­ficile à élucider. La tentation peut donc se faire jour de ne considérer comme réelle que la chose individuelle, et d'expliquer la connaissance, comme le font les stoï­ciens, à partir de l'impression laissée dans l'âme, sous forme de représentation par­ticulière, par les objets perçus. On appellera alors idées les notions générales pro­duites par l'âme à partir de ces représentations particulières, et à la ressemblance des réalités individuelles qui les ont causées. La science moderne semble cependant contredire cette conception psychologisante de l'idée : ce qui rend la nature objec­tivable pour la physique est bien plutôt l'opération d'idéalisation consistant, pour Galilée, à postuler que « le livre de la nature est écrit en langue mathématique », et donc à projeter sur le réel tout l'appareil de la géométrie euclidienne. Moyennant quoi le sens de la nature se laisse formuler sous forme de formules mathématiques. Un « vêtement d'idées »  se substitue ainsi, en tant que nature « objectivement réelle et vraie » (Husserl), au réel sensible perçu. Pour la morale, enfin, l'idéal ne s'oppose ni ne se superpose au réel. Si éloigné qu'il paraisse de la réalité objective, il n'est pas pour autant dépourvu d'utilité pratique. Ainsi la figure stoïcienne du Sage est‑elle un idéal, au sens où elle n'existe que dans la pensée, mais en y réalisant parfaitement l'idée même de sagesse. C'est du reste cette adéquation de l'idéal à une  « idée de la raison » (Kant) qui distingue l'idéal d'un produit arbitraire de l'imagination. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas besoin d'espérer pouvoir atteindre réellement à une telle perfection pour faire de l'idéal du Sage l'étalon à l'aune duquel nous mesurons la valeur morale de notre propre conduite, pour essayer de l'améliorer. Irréalisable, l'idéal n'en sert donc pas moins de règle pour le jugement de valeur, de modèle pour l'action, d'instrument du progrès moral.

 

   « La raison humaine ne contient pas seulement des idées, mais des idéaux (…), qui ont (comme principes régulateurs) une vertu pratique et servent de fondement à la possibilité de la perfection de certaines actions (…) Bien qu’on ne pusse attribuer à ces idéaux une réalité objective (une existence), on ne doit pas pour autant les regarder comme de pures chimères. »

                                                                                       KANT , Critique de la Raison Pure.



03/08/2008
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