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"L'écume des jours" de Boris Vian (1920-1959)

L'Écume des jours de Boris Vian (1920-1959)

Roman, France, 1946

 

 

Résumé :

 

   Dans un pays régi par des lois physiques étranges, où le maître-mot est « fantaisie », Colin s'ennuie. Ce jeune homme mince et blond, au visage poupin, semble pourtant ne manquer de rien : les cent mille doublezons qui dorment dans son coffre lui assurent une vie tranquille et oisive; son « pianocktail » lui combine, sur les plus beaux airs de jazz, des cocktails aux parfums raffinés tandis que Nicolas, son cuisinier, met tout son art à réaliser les meilleures recettes de Gouffé. Colin partage ces succulents déjeuners avec son ami Chick, tout en discutant de Jean-Sol Partre, le grand écrivain prolifique dont Chick collectionne toutes les œuvres. S'il est sans le sou, il possède cependant une richesse que Colin lui envie : il aime et est aimé de l'adorable Alise.

   Comme Colin veut aimer, l'occasion se présente rapidement; lorsqu'il rencontre la perle rare qui répond au joli nom de Chloé, son bonheur est à son comble. Aux premiers rendez-vous succèdent les fiançailles et aux fiançailles, de superbes noces.

   Colin, Chloé, Alise et Chick se rendent régulièrement à la patinoire où ils passent de folles après-midis. Pour que ses amis soient aussi heureux que lui, Colin a donné à Chick une partie de sa fortune; mais au lieu de chérir son Alise, Chick dépense tout en se procurant les œuvres, vieux vêtements et pipes uses de son idole Partre.

   Au cours de la lune de miel, Chloé prend froid et se met à tousser. Au retour, elle doit s'aliter. Heureusement, les petites souris de la maison lui tiennent compagnie. Il est vrai qu'elle a bien besoin de distraction car le diagnostic du médecin est préoccupant : un nénuphar se développe en elle, rongeant un de ses poumons. Un seul remède est efficace : respirer des brassées de fleurs pour combattre le fléau. Mais elles s'étiolent vite et Colin se ruine en gerbes plus imposantes les unes que les aunes.

   Colin et Chloé observent un étrange phénomène : à mesure que les doublezons, fondent dans le coffre, l'appartement se rétrécit, le soleil pâlit sur le carrelage, Nicolas, vieilli de plusieurs années, il peine à cuire la moindre saucisse et Colin l'enjoint de quitter les lieux pour retrouver sa jeunesse et son talent.

   Pour pouvoir acheter des fleurs, Colin se met en quête d'un travail. La chose est difficile et il croit avoir réussi à gagner assez en couvant des fusils. Mais sa production s'avère inutilisable car au bout de chacun de ses fusils pousse, à l'image de son obsession, une fleur d'acier. De plus, il éprouve une solitude nouvelle : son ami Chick, après avoir tout dépensé dans l'achat d'œuvres de Partre, meurt pour s'être violemment opposé à la saisie de sa collection. Colin retrouve enfin un emploi, des plus sinistres : il consiste à annoncer aux gens les mauvaises nouvelles et le jeune homme est reçu à coups de pieds. Le jour où il voit son propre nom sur la funeste liste, il sait que Chloé est morte. Au même moment, le plafond de l'appartement a rejoint le plancher...

   Si le mariage fut somptueux, l'enterrement de Chloé, faute de moyens financiers, est sordide. Près de la tombe de la jeune femme, Colin passe ses jours à contempler, fasciné, un étang de splendides nénuphars. Inlassablement, il attend que l'un d'eux vienne le prendre. La souris le regarde tristement. Elle sait qu'un jour, il va tomber dans l'eau...

 

Pistes de lecture :

 

L'écriture et la musique.

 

   Boris Vian est né à Ville-d'Avray en 1920. En 1939, il obtient son diplôme d'ingénieur. Après la guerre, il s'insère dans les milieux existentialistes de Saint-Germain-des-Prés et mène de front deux activités principales: l'écriture et la musique. Il devient trompettiste dans des orchestres de jazz amateurs. Il écrira au total plus de quatre cents chansons dont Le Déserteur.

   En 1945-46, il fait plusieurs rencontres importantes dont Raymond Queneau, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui le soutiendront vainement lorsqu'il se présentera comme candidat au Prix de la Pléiade pour L'Écume des jours (1946).

   Musicien, chanteur, acteur (il fera quelques expériences cinématographiques), romancier et poète, il touche à tous les genres et ce également au sein de son œuvre romanesque.

   En 1950, il fait scandale avec J'irai cracher sur vos tombes, parodie des romans noirs américains signée Vernon Sullivan, le plus célèbre de ses pseudonymes. Les Morts ont tous la même peau ajouté à ce titre lui vaudra d'être condamné pour outrage aux mœurs.

   Journaliste, il collabore à diverses revues dont « Jazz Hot », « Combat », « Les Temps modernes ».

   Son talent d'écrivain donna également naissance à des nouvelles dont Les Fourmis (recueil, 1949), des poésies dont Je voudrais pas crever (recueil publié en 1962), des pièces de théâtre dont Le Goûter des généraux. Il s'essaye même à l'opéra et écrit Fiesta,  pour Darius Milhaud.

   Ses romans saisissants complètent et couronnent l'éventail de ses activités littéraires : L'Arrache-cœur (1953) est dominé par le personnage tyrannique d'une mère possessive, L'Automne à Pékin, L'Herbe rouge...

   Par son génie d'inventeur, Boris Vian, méconnu de son vivant, devint rapidement un mythe après sa mort précoce (1959), fascinant le public par ses passions, son œuvre dense et éclectique et ses idées antimilitaristes.

 

«L'histoire d'amour la plus poignante de notre temps».

 

   De L'Écume des jours, Raymond Queneau a dit qu'il s'agit de «l'histoire d'amour la plus poignante de notre temps». Attachante, elle l'est par la simplicité de son déroulement, et par la fraîcheur de son style qui lui confère une valeur littéraire indéniable : Vian, inventeur des mots, a traduit une histoire simple-dans un langage nouveau. Sa plume étonnante a mêlé au paradoxe la fantaisie, à l'absurde l'émotion, à la comédie la tragédie. Il a créé un monde fascinant car entièrement fondé sur le langage : un «langage-univers » où les mots sont pris au pied de la lettre (par exemple : on exécute une ordonnance au moyen d'une guillotine), où les mots sont des créations (par exemple : la sacristoche, l'antiquitaire, le pianocktail...)

   Si le langage vit, les objets sont dignes de réactions : ils se modifient comme en écho à l'intrigue. Par exemple, lorsque la maladie transforme l'histoire en tragédie, l'appartement s'étrique et s'éteint progressivement. Quant au mal qui dévore la vie de Chloé (sans doute la tuberculose), il est concrétisé par un nénuphar, tandis que son « remède» a l'exquis parfum des fleurs, à l'image de la fragile épouse.

   Toujours par le biais de la fantaisie, Vian aborde de grands thèmes comme le travail, dans ce qu'il a d'absurde et d'abrutissant pour l'homme (la suprématie de la machine), l'horreur de la guerre, auxquels sont confrontés ses héros aux âmes pures d'adolescents. Rappelons le superbe passage où Colin, bien malgré lui, transforme sa production de fusils en tiges fleuries.

En un mot, Boris Vian a créé un espace poétique émaillé de symboles dont la richesse et la complexité sont inscrites en filigrane, tout au long du roman.



07/07/2008
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