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"L'Education sentimentale" de Gustave Flaubert (1821-1880)

L'Éducation sentimentale de Gustave Flaubert (1821-1880)

Roman, France, 1864 à 1869

 

 

Résumé :

 

   Frédéric Moreau, jeune bachelier de 18 ans, nourrit le projet velléitaire de faire son droit à Paris. Sur le bateau qui le ramène pour deux mois à sa terre natale (Nogent-sur-Seine) par le chemin des écoliers, il rencontre Jacques Arnoux, éditeur de L'Art industriel et marchand de tableaux, très attiré par la compagnie des dames. Mais ce qui déterminera les années à venir est l'apparition de madame Arnoux à qui le jeune homme vouera, dès cette première entrevue, tel les grands romantiques, un amour éternel.

   A Nogent, Frédéric retrouve sa mère, Deslauriers l'ami d'enfance et la petite Louise Roque qui lui porte une admiration sans bornes. Mais il se languit vite de la capitale.

   De retour à Paris, il commence une morne existence faite d'errances et d'études avortées. Son âme langoureuse entretient le souvenir de madame Arnoux et un heureux hasard (une visite chez monsieur Dambreuse, industriel et député influent) lui permet de retrouver la trace de L'Art industriel. Frédéric parvient à nouer des relations épisodiques avec Jacques Arnoux et à entrevoir régulièrement sa femme. Bientôt, le marchand l'entraîne dans la société parisienne où le jeune homme découvre les joies de la vie mondaine par l'intermédiaire de Rosanette, jeune et belle dame entretenue tantôt par l'un, tantôt par l'autre des compères qui gravitent autour d'elle. Et Frédéric se met peu à peu à hanter les deux maisons : celle de la frivole Rosanette où il se divertit, et celle de la fidèle et délaissée Marie Arnoux. Durant ces années, il croise également bon nombre de relations plus ou moins intéressées: Martinon, Hussonnet, et parmi elles Dussardier qui lui restera fidèle. Frédéric se rapproche également de madame Dambreuse, susceptible de lui fournir des appuis politiques et sociaux. Si bien qu'il en arrive, sans en avoir l'air, à mener de front des relations privilégiées avec Rosanette et madame Dambreuse, séduisant ces deux femmes par sa jeunesse et son romantisme.

   De plus, cette vie sans but est régulièrement interrompue par les visites à Nogent où Louise Roque, devenue femme, l'attend avec dévotion. On parle même de mariage mais l'indécis Frédéric tarde à se prononcer. Ne sachant jamais saisir le bonheur qu'on lui offre, il passera à côté de la jeune fille et c'est Deslauriers qui, au terme des années de jeunesse, finira par épouser la riche provinciale.

   Tout en papillonnant autour de l'une et de l'autre, Frédéric demeure fidèle en pensée à madame Arnoux, la femme idéalisée dont il devient, peu à peu, le confident. Lorsqu'il obtient enfin d'elle un rendez-vous galant dans un meublé qu'il a loué pour l'occasion, il l'attend en vain tandis que retentissent dans les rues avoisinantes les premiers coups de feu de la révolution de 1848; mais Frédéric, tout à ses passions, ne se sentira jamais concerné par les événements politiques qui auront jalonné sa jeunesse. Madame Arnoux ne viendra pas au rendez-vous, retenue au chevet de son fils malade et c'est Rosanette que Frédéric entraînera, par dépit, dans le petit appartement. Mais leur relation mouvementée ne fera que mettre en évidence leurs différences. Rosanette mettra au monde un petit garçon qu'elle perdra aussi vite tandis que Frédéric n'aura à aucun moment assumé les responsabilités d'une paternité qui l'ennuie.

   En fin de compte, aucune des tentatives professionnelles et sentimentales du jeune homme ne seront menées à bien. Et les années passent tandis que les amours se succèdent, sans pour autant éclipser la grande passion. Suite à une faillite, madame Arnoux et sa famille sont parties vivre au Havre et Frédéric n'en a plus que le souvenir.

   Pourtant, seize ans plus tard, alors que Frédéric est seul chez lui, il reçoit la visite d'une femme qu'il reconnaît : c'est madame Arnoux, venue faire «sa dernière démarche de femme». Ils s'avoueront leur amour mutuel tout en sachant que celui-ci appartient au passé et que le temps des adieux est venu. Madame Arnoux lui donne une mèche de ses longs cheveux devenus blancs, et disparaît pour toujours.

   C'est avec Deslauriers, l'ami de toujours, que Frédéric fera le bilan, assez pessimiste, des années écoulées; ils se rappellent une visite qu'ils firent, adolescents chez «la Turque», tenancière d'un lieu peu recommandable d'où, pris de panique devant toutes ces femmes, ils s'étaient enfuis; l'un et l'autre s'accordent à dire que cet épisode fut, en définitive, «ce qu'ils eurent de meilleur ».

 

Pistes de lecture :

 

Le génie du siècle.

 

   Gustave Flaubert, considéré comme le père de la littérature moderne, est né en 1821 à Rouen. Son goût pour l'écriture se dessine extrêmement tôt puisqu'un résumé du règne de Louis XIII date de 1831. C'est le début d'une carrière littéraire dont le génie étonnera même ses plus chers amis. Dès l'époque du collège, thèmes de pièces de théâtre et de romans se bousculent dans la tête du jeune Gustave, fasciné par les œuvres de Corneille et par le Don Quichotte. C'est dans le cadre du collège qu'il lance un journal intitulé Art et Progrès.

   C'est en 1843 qu'il commence la rédaction de la première Éducation sentimentale, achevée en 1845. Entre-temps, Flaubert est sujet aux, premières crises d'épilepsie. En 1846, il rencontre Louise Colet avec qui il aura une liaison orageuse. La correspondance qu'il échange avec elle éclairera sur plus d'un point l'œuvre et l'homme Flaubert.

   En 1849, Flaubert termine La Tentation de saint Antoine qu'il lit à ses amis Maxime Du Camp et Bouilhet, durant trente-deux heures! Mais le verdict tombe comme un couperet : ceux-ci, déroutés par l'œuvre, conseillent à l'écrivain de jeter le manuscrit au feu et de s'exercer sur un sujet terre-à-terre, genre fait divers. La proposition donne naissance au projet de Madame Bovary, commencé en 1851 et terminé en 1856. Flaubert est alors poursuivi en justice pour «atteinte aux bonnes mœurs et à la religion ».

   Flaubert décide ensuite de ressusciter toute une civilisation sur base d'une documentation prodigieuse en rédigeant « un roman carthaginois ». L'Egypte et l'Asie mineure avaient fait l'objet d'un long voyage en 1850 et, en 1858, Flaubert part pour Carthage. Salammbô est en route. George Sand sera une des premières à rendre hommage au roman.

   En 1864, Flaubert s'attèle à la seconde Éducation sentimentale. Pour lui, c'est un livre de «passion inactive ».

 

Une documentation impressionnante.

 

   Comme pour la rédaction de Salammbô, Flaubert se documente longuement, va sur le terrain, revoit Nogent et Montereau, visite des faïenceries, se renseigne sur la bourse, sur les courses, etc. afin d'accréditer chaque détail donné.

   Il attache également beaucoup d'importance au contexte politique qu'il étudie minutieusement. C'est notamment la raison pour laquelle le roman sera terminé en 1869, après un travail acharné. Lorsque la critique accueille mal la parution du livre, Flaubert en conçoit une profonde amertume.

   En 1872, il rédige Bouvard et Pécuchet, où il aborde le thème`de la bêtise bourgeoise. L'œuvre est d'une telle envergure que l'écrivain mourra sans avoir terminé le second volume. Sa consolation sera de lire, avant de mourir, Boule-de-­Suif, premier grand succès de Maupassant dont il fut le père spirituel.

 

Frédéric Moreau : héros moderne, anti-héros.

 

   Dans L'Éducation sentimentale, Flaubert a choisi de raconter une vie où il ne se passe rien, de détailler les menus faits qui la constituent, les petits incidents, les dialogues et les silences... Il fait le récit de tout ce qui n'est pas dit, que l'on n'a pas osé dire. Il analyse longuement les sentiments, sans qu'un coup de théâtre vienne à aucun moment relancer l'action.

   L'auteur développe le caractère d'un jeune homme qui, malgré son charme et son romantisme, fait figure d'anti-héros par son inertie, ses attitudes irrésolues, ses lâchetés... Ce personnage à la psychologie très fouillée est dépeint de manière réaliste et, par cet aspect, annonce les héros modernes.

 

Passion, amours, autobiographie et contexte politique.

 

   Au cours de l'été 1836, Flaubert alors âgé de 15 ans rencontre celle qui restera son grand amour, sans doute platonique, le coup de foudre de son adolescence : Elisa Schlesinger, dont l'image traversera plus d'un de ses romans. Inspiratrice du personnage de Marie Arnoux, elle donna également certains de ses traits physiques à Madame Bovary ainsi que certains détails à Salammbô. Sans parler des œuvres de jeunesse... Si L'Éducation sentimentale contient une part d'autobiographie, c'est bien dans le récit de cet amour idéalisé et insaisissable...

   Des événements politiques de taille jalonnent le récit: la fin de la monarchie de juillet, la révolution de 1848, la Seconde république. Mais si le roman est doté d'un fond historique touffu, l'auteur n'y implique nullement son personnage principal, totalement détaché de ce qui ne le concerne pas directement. On ne peut donc pas parler de roman historique dans la mesure où le héros, passif, ne se laisse pas changer par les événements. Ceux-ci n'influencent donc pas de manière déterminante le cours du récit.

 

Le rêve de Flaubert: écrire «un livre sur rien».

 

   La modernité de Flaubert réside dans le fait qu'il a privilégié la forme, le style au détriment de l'anecdote... Il déclara que «les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière (...), le style étant à lui seul une manière absolue de voir les choses. » Ses intentions formelles seront reprises par de grands auteurs comme James Joyce.


13/07/2008
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