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"L'Etranger" d'Albert Camus (1913-1960)

L'Étranger

Albert Camus (1913-1960)

Roman, France, 1942

 

 

Résumé :

 

   Le jeune Meursault, employé de bureau à Alger, se rend à l'asile ou sa mère vient de décéder. Durant la veillée interminable, il réalise qu'il n'éprouve pas de peine, plutôt une certaine indifférence ainsi que de l'ennui lorsque, le lendemain, il suit le cortège funèbre.    Enfin de retour à Alger, il va se baigner et rencontre Marie, une ancienne collègue. Ils passent l'après-midi à rire et à plaisanter et lorsqu'ils se rhabillent, Marie s'aperçoit, non sans surprise, que Meursault est en deuil. Mais il n'a pas l'air affecté. Le soir, ils couchent ensemble, simplement parce qu'elle est là. Le lundi, le jeune homme retourne au bureau... Rien d'extraordinaire, la vie a repris son cours, simplement interrompue par un long week-end durant lequel sa mère a été enterrée. Le soir, alors qu'il rentre chez lui, un de ses voisins, Raymond Sintès, l'invite à dîner. Au cours du repas, Meursault se laisse aller à écrire une lettre de menaces à l'attention de la fille qui a quitté Sintès, simplement parce que ce dernier le lui demande, sans plus. Le dimanche suivant, Raymond Sintès invite Meursault et Marie à passer une après-midi à la plage. Marie et Meursault vont se marier, parce, que Marie le lui a demandé et que, dans le fond, cela lui est égal; il n'y oppose aucune résistance, ça le laisse indifférent; alors, pourquoi pas? Les jeunes gens se baignent, s'allongent au soleil, se promènent.

   Lors de leur balade, ils rencontrent des Arabes et, parmi eux, le « type » de la fille qui a manqué de respect à Raymond. Les deux hommes se battent devant Meursault impassible qui ne réagit que lorsque son ami prend son revolver pour se venger. Les Arabes se retirent. Plus tard, la chaleur est telle que Meursault retourne à l'endroit de la bagarre. L'Arabe est toujours là et, pris de peur, tire son couteau. Meursault prend le revolver et tire, une fois, deux fois, quatre fois, sans qu'il n'y paraisse.

   C'est l'arrestation, ensuite les interrogatoires face auxquels Meursault demeure inerte, comme étranger au monde qui l'entoure. Il n'éprouve aucun regret. Lors des séances, il découvre la salle et l'observe comme s'il assistait à son procès en tant que spectateur. Le défilé des témoins qui l'accusent d'être sans cœur, d'avoir enterré sa mère sans aucun chagrin. Il fréquentait un souteneur, Raymond, et a écrit la lettre qui a déclenché le drame... Seul l'avocat réagit aux accusations du procureur qui déclare que Meursault a enterré sa mère avec un cœur de criminel. Son insensibilité est prise, à témoin de la préméditation du crime. Il a commencé une liaison amoureuse le lendemain de la mort de sa mère. Meursault est jugé coupable plus parce qu'il n'est pas comme les autres, plus pour son indifférence, que pour le crime de l'Arabe. Quand, enfin, la sentence est prononcée, c'est la condamnation à mort.

   Dans sa cellule, Meursault est préoccupé par sa mort prochaine; il essaye, en concentrant son esprit sur sa propre fin, d'échapper à la peur. Mourir maintenant ou à cinquante ans, c'est la même chose : tel est son argument. Le seul espoir d'échapper à l'échafaud est son pourvoi, qu'il s'exerce à rejeter mentalement pour ne pas être déçu, pour ne pas être pris par surprise, un matin, par le bourreau, L'aumônier lui fait de fréquentes visites, essayant par tous les moyens de convertir cet homme qui se dit indifférent à sa propre mort. Les paroles de consolation de l'aumônier l'exaspèrent : «Aucune de ces certitudes ne valait un cheveu de femme », dit-il en pensant à Marie. Et cet unique moment de révolte lui fait entrevoir qu'il est resté pareil à lui-même, indifférent, innocent parce que pur, ouvert. Son dernier acte, son seul souhait est qu'il y ait beaucoup de monde le jour de l'exécution et qu'ils le haïssent tous.

 

Pistes de lecture :

 

Étranger à soi-même et au monde.

 

   Albert Camus est né à Mondovie, en Algérie, le 7 novembre 1913. A la mort de son père, en 1914, sa mère et lui emménagent à Alger, qu'il ne quittera qu'en 1940 pour s'installer à Paris. Son œuvre peut se subdiviser schématiquement en deux cycles : celui de l'absurde, auquel se rattachent L'Etranger, Caligula, Le Mythe de Sisyphe, et celui de la révolte qui comprend, entre autres, La Peste, L'État de siège, Les Justes. Restent les inclassables - dont La Chute - qui regroupent des œuvres antérieures à 1942 et postérieures à 1950.

   C'est en juillet 1942 que paraît L'Étranger. Cette œuvre est sans doute la première étape importante de la pensée de Camus. Le Mythe de Sisyphe, L'Homme révolté et La Chute ne se comprennent pleinement qu'à la lueur de L'Étranger. Pour Camus, l'absurde est la conjonction de deux principes: le désaccord de l'homme avec lui-même et la non-concordance de ce même homme avec le monde extérieur. Ces principes n'impliquent pas nécessairement la prise de conscience de cette discordance d'avec le monde. C'est ainsi que durant toute la première partie de L'Étranger (avant le procès), Meursault ne se sent pas autre, différent de son entourage. Il est en parfait accord avec lui-même et des faits qui, pour le lecteur, impliquent une indifférence du personnage - mort de la mère, acceptation du mariage avec Marie, « amitié » avec Raymond... - parce qu'additionnés, n'ont pour Meursault aucune signification particulière. Jamais il ne met en doute ses attitudes, simplement, il «est» comme ça et ne se pose pas de questions. Ce n'est qu'une fois le procès entamé qu'il perçoit une différence. Et ce n'est pas tant l'interprétation de ses actes par la justice qui le dérange (il est considéré comme froid, sans cœur...) que le fait que, son sort se décide sans qu'on lui demande son avis. Notons que la justice ne lui reproche jamais un quelconque vice; ce qu'elle lui reproche, c'est de ne pas manifester un intérêt particulier au monde. Les événements arrivent simplement.

 

Indifférent... ou différent?

 

   Meursault est étranger au monde constitué des règles et des conventions sociales. Il est caractéristique de le voir souhaiter la haine des hommes lorsqu'il montera sur l'échafaud. Ce n'est pas un rejet qu'il espère, mais bien la reconnaissance par les autres de son individualité. Individualité particulière qu'il découvrira au long du procès pour arriver à l'ultime position : le rejet du prêtre et de la religion. Ce sont les autres qui ont révélé à Meursault qu'il était étranger, ce sont eux qui devront, par leur haine, le conforter dans sa position d'individu.

 

La révolte comme conséquence de l'absurde.

 

   A la lueur de ces considérations, on peut tenter de définir l'absurde de Camus. Au contraire de Sartre (La Nausée), l'absurde ne découle pas d'une découverte progressive que ferait Meursault, comme Roquentin, et qui dépouillerait le monde des illusions humanistes; l'absurde naît de la confrontation du monde et de l'homme. Lorsque Meursault prend conscience de son étrangeté, il n'éprouve aucune nausée parce qu'il a toujours agi naturellement, en conformité avec lui-même; c'est-à-dire sans justifier ses actes autrement que par une attitude qui lui est naturelle. Somme toute, Meursault est animé, tacitement, par un désir de vérité vis-à-vis de lui-même. Ses actes ne sont pas maquillés par les convenances, et donc se heurtent au cours ordinaire de la vie. Une vie ordinaire vaut-elle la peine d'être vécue? En ce sens, Meursault incarne l'homme désarmé face à l'absurde quotidien. Si le monde n'a pas de sens, il faut oser croire que l'homme en a un. II faut donc se démarquer du monde et la révolte en est le premier moyen. La Peste (1947), entre autres lectures, offre la vision de l'homme engagé dans la communauté humaine par sa révolte.

 

   Limiter la pensée de Camus à ces seules considérations serait schématiser une œuvre centrée sur l'homme, et qui aborde des thèmes aussi divers que la responsabilité de l'individu (Les Justes), la culpabilité de l'homme face au mal (La Chute), la force de l'histoire (L'Homme révolté), thèmes qui, tous, s'attachent à percevoir l'être et le monde.

 



30/06/2008
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