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"L'insoutenable légèreté de l'être" de Milan Kundera (1929-)

L'Insoutenable légèreté de l'être

Milan Kundera (1929- )

Roman, Tchécoslovaquie, 1984

 

 

Résumé :

 

   Le principe selon lequel la vie ne se répète jamais libère toute action du poids de la gravité et lui donne la circonstance atténuante de la fugacité. Au contraire, si nous vivions dans un monde d'éternel recommencement, chaque action pèserait sur nos épaules d'un poids insoutenable. Chaque décision serait alors porteuse du fardeau de la responsabilité. Au vu de ces considérations, notre vie apparaît dans toute sa légèreté car, puisqu'elle ne se répète jamais, quel que soit l'acte que nous posions, la décision que nous prenions, nous n'avons aucun moyen d'en contrôler l'exactitude et donc aucune expérience valable et répétable sur laquelle baser nos décisions. « Einmal ist keinmal », une fois c'est jamais.

   Tout en se faisant ces réflexions, Kundera songe au personnage de Thomas. Chirurgien divorcé, collectionnant les maîtresses sans jamais les installer dans sa vie de peur d'en favoriser une au détriment des autres et de rompre l'équilibre des passions qu'il a réussi à instaurer, Thomas se trouve un jour confronté à une décision qui pourrait détruire son mode de vie. Ayant fait la rencontre de Tereza à plus de deux cents kilomètres de Prague, il lui propose, histoire de parler, de venir un jour lui rendre visite. Peu après, elle débarque chez lui et, clouée au lit par une grippe, ne le quitte qu'une semaine plus tard. Cela n'était jamais arrivé à Thomas qui ne recevait pas ses maîtresses chez lui ni ne passait la nuit entière auprès de celles-ci. Ce simple accroc au règlement qu'il s'était fixé l'entraîne à se demander : « Vaut-il- mieux être avec Tereza ou rester seul ? »

   Tereza revient deux semaines plus tard avec ses valises et Anna Karénine sous le bras. C'est là le point de départ de leur vie en commun. Si, pour Thomas, la décision de vivre avec Tereza sans pour autant abandonner ses maîtresses fut impulsive et immédiate, pour Tereza, c'est un ensemble de hasards qui les a rapprochés. Le livre que Tereza lisait lors de leur première rencontre (signe de reconnaissance que Tereza interprète comme une opposition au monde de grossièreté dans lequel elle vit), Beethoven à la radio (image du monde de «l'autre côté »), le numéro de la chambre d'hôtel de Thomas (identique à celui de l'appartement qu'elle occupait quand elle était heureuse)... Six improbables hasards ont réuni Thomas et Tereza et sont à la base d'un tournant de leur vie.

   Parmi les maîtresses de Thomas, celle qu'il sent la plus proche et la plus complice, Sabina, est peintre. Profondément attachée à Thomas parce que son mode de vie est contraire à toute image sociale, elle illustre, elle aussi, la théorie de la légèreté. Sabina considère toute société comme parée d'un kitsch écrasant : le masque de beauté dont se pare tout idéal de société, qu'il soit capitaliste ou communiste.

   Lorsque les chars communistes envahissent Prague, Sabina, Thomas et Tereza gagnent la Suisse. Sabina rencontre Franz, un professeur d'université, qui, une fois que la jeune femme aura quitté la Suisse pour l'Amérique, tâchera de vivre en conformité avec l'image qu'il s'est faite de Sabina. C'est ainsi que, d'incompréhensions en incompréhensions, il orientera sa vie en fonction d'une perception totalement fausse. Il partira pour la frontière cambodgienne, persuadé que, par cette action, il se rapproche de Sabina. Or, son action fait partie de celles que Sabina exècre le plus : une manifestation de masse, essence même du kitsch.

   Tereza, après quelques semaines, regagne Prague et, alors qu'il ne l'aime plus vraiment, Thomas va la rejoindre, prenant sa décision sans vraiment réfléchir (comment savoir si c'est la bonne ?...). Tous les choix des personnages, comme des aiguillages, orientent leur vie sans qu'ils puissent baser leurs décisions sur des certitudes.

   Rentrés à Prague, Thomas et Tereza sont discrédités par le régime et se retrouvent, en fin de parcours, fermiers dans un kolkhoze. Simplement parce que Thomas écrivit un jour une lettre dans laquelle il compare les communistes à Œdipe : ne pas savoir n'est pas une excuse; dès lors que les conséquences d'un acte sont mauvaises, il faut en prendre la responsabilité. Cette même lettre conduira le fils de Thomas, né d'un premier mariage, à calquer sa vie sur celle de son père, par idéal politique, parce qu'il est persuadé que Thomas combat le régime. En fait, en dehors des femmes, il ne s'intéresse pas à grand-chose; mais une lettre, un acte en entraînent une suite d'autres que l'on n'avait pas soupçonnés.

   « Un jour, on prend une décision, on le sait même pas comment, et cette décision a sa propre force d'inertie. A chaque année qui passe, il est un peu plus difficile de la changer. »

 

Pistes de lecture :

 

La vie est ailleurs.

 

   Né en Tchécoslovaquie en 1929, Milan Kundera est initié très tôt à la musique ainsi qu'à l'art moderne, par un père musicologue. Jusqu'à ses vingt-cinq ans, il considère la composition musicale comme son activité préférée. En 1948, il quitte sa ville natale, Brno, et s'installe à Prague. Il commence des études universitaires, publie en 1955 Le Dernier Mai, long poème à la gloire d'un journaliste communiste martyrisé par les Nazis. Il rédige un essai, L'Art du roman (1960), écrit une pièce de théâtre, Détenteurs des clés, mais n'entre véritablement en littérature qu'en 1959 lorsqu'il rédige l'une des nouvelles de Risibles Amours (1970).

   En 1967 paraît son premier roman, La Plaisanterie, qui dénonce la corruption morale du pays, bientôt suivi de Risibles Amours, un recueil de nouvelles dont le ton général fait d'ironie aigre-douce dénonce la tricherie à tous les niveaux. Il participe à l'intelligentsia tchèque dont il devient un des porte-parole avec, comme conséquence, qu'il est mis à l'index au lendemain de l'invasion de 1968 et il se retire durant une période de sept ans. Fruits de cette époque, La Vie est ailleurs (1973), La Valse aux adieux (1976), qui sont tous deux publiés en France.

   En été 1975, il gagne la France et estime recommencer sa vie à zéro. Quatre ans plus tard, il publie Le Livre du rire et de l'oubli qui, à l'intérieur d'un même récit, raconte, plusieurs histoires ayant chacune un genre littéraire différent, l'unité étant produite par les thèmes récurrents. Se considérant avant tout comme un romancier bien plus que comme un écrivain, il estime le roman irremplaçable.

 

Le paradoxe.

 

   L'homme décrit par Kundera n'est que paradoxe, contradiction, ambiguïté. En 1984, lorsque paraît L'Insoutenable légèreté de L'être, l'auteur s'est cette fois basé sur ce qui fait, selon lui, l'essence de la vie humaine : les événements qui la composent n'ont lieu qu'une fois. Le personnage de Thomas et de sa maîtresse Sabina sont entièrement construits sur ce principe. En somme, le destin n'est que la combinaison de hasards et de décisions sur lesquels on ne peut revenir. A l'opposé de Thomas et sa maîtresse, il y a Franz et Tereza qui, soit par hasards incompris ou mal interprétés, soit parce qu'ils ne parlent pas le même langage, vont, à l'instant même où ils croyaient rejoindre l'autre, s'en éloigner le plus.

   La fonction métaphysique du romancier ou, plus simplement, la volonté de montrer le monde tel qu'il le perçoit par le biais de son œuvre, apparaît le plus clairement lorsque mythe et réalité se rejoignent. Face au paradoxe de la vie individuelle, le conformisme esthétique : le kitsch. Ce style qui s'enracine dans la volonté de plaire, qui pose la beauté indépendamment de la connaissance et qui «exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable » fonde la politique qui refuse les sources de conflit. C'est l'image de Franz bloqué à la frontière khmère, ou des autorités tchèques qui interdisent à Thomas l'exercice de la médecine pour un article incompris. Ce même article que son fils Simon interprétera à sa manière, en dégageant de son père une vision tronquée. Somme toute, semble dire Kundera par la voix du narrateur, qu'est-ce que l'homme et comment construit-il sa vie? Les hasards du destin...

 

 



27/06/2008
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