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"L'Oeuvre au noir" de Marguerite Yourcenar.

 

 

L'Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar

(1903-1987)

Roman, France, 1968

 

 

Résumé :

 

   Zénon, philosophe et médecin, est né des amours d'un jeune prélat italien et de la sœur cadette du banquier Henri-Juste Ligre. Un riche marchand zeelandais ayant épousé sa mère, Zénon eut une enfance heureuse, partageant ses jeux avec son cousin Henri-Maximilien; c'est avec lui qu'il s'échappera plus tard pour fréquenter les tavernes et les bois.

   Lorsqu'il quitte Bruges, gagné par la foi nouvelle, ses parents le confient au chanoine Bartholomé Campanus afin qu'il le prépare à la prêtrise. Mais Zénon préfère l'enseignement du barbier Jean Myers, soupçonné de pratiquer des autopsies. Il s'inscrit à la faculté de théologie de Louvain mais, très vite, s'éloigne de ses professeurs et condisciples qu'il vient à mépriser.

   En juin 1530, Zénon et son cousin Henri-Maximilien se rencontrent sur une route à la croisée des Flandres et de Paris. Henri-Maximilien veut devenir un grand soldat et part proposer ses services en Italie; Zénon prend la route des Pyrénées.

   Après une soirée mouvementée à Dranoutre, on perd la trace de Zénon, alors que le chanoine le cherche pour lui annoncer que Marguerite d'Autriche lui offre une place de secrétaire. La rumeur publique prétend l'avoir vu à Montpellier, en Turquie, à Bâle... A Bruges, n'étaient ses écrits considérés comme hérétiques, aucune nouvelle.

   Pendant ce temps, sa demi-soeur Martha a été confiée à la maison Fugger à Genève. En 1549, lors de la peste, elle fait appel à un médecin qui dit connaître les Ligre. C'est effectivement Zénon, mais il ne se fait pas reconnaître. Il est en fuite et se cache du fait de la renommée de ses écrits. Quant à son cousin, il meurt durant le siège de Sienne et sans avoir revu Zénon dont on brûle les écrits en place publique.

   En 1565, Zénon arrive à Bruges, caché dans le coche du prieur des Cordeliers auprès duquel il se fait passer pour Sébastien Théus. Il se réfugie chez son ancien professeur Jean Myers et reprend sa pratique, soigne le prieur atteint d'une tumeur à la gorge. Certains soirs, il accueille la servante Catherine dans son lit et celle-ci, croyant bien faire, assassine Jean Myers. Mais Zénon refuse l'héritage et en fait don à l'hôpital Saint-Cosme, dépendance du cloître des Cordeliers. Il se charge de la direction du dispensaire mais se fait bientôt reconnaître.

   Dans une auberge, une maquerelle se fait rouer de coups par les gardes sans qu'il intervienne. C'est le début d'une longue réflexion sur les maux de l'époque et sur la lâcheté.

   Appelé au chevet d'un jeune gueux, il le soigne et l'aide à fuir vers Anvers. Les pouvoirs, spirituel et temporel, s'affrontent, par hérésie interposée. C'est l'impuissance de Dieu, devant les fléaux qui s'abattent sur l'Europe.

   Ayant appris que son assistant ne se contente pas de soigner les pauvres mais fait de fréquentes fugues pour retrouver la nuit une secte où hommes et femmes s'unissent, Zénon tente de le dissuader de poursuivre ses pratiques avec l'une d'entre elles : Idelette.

   Le prieur mourant appelle Zénon à son chevet et, pour la première fois, l'appelle de son véritable nom. Il l'enjoint à fuir Bruges, mais Zénon reste.

   Noël 1568, il décide enfin d'émigrer en Allemagne luthérienne où ses écrits sont favorablement accueillis. Mais il est trop tard : Cyprien lui révèle qu'Idelette a étranglé l'enfant qu'elle eut de leurs nuits de «prière ». Torturée, elle dénonce la secte et Cyprien qui, à son tour, dénonce Zénon que tous croient encore être Sébastien Théus.

   Lors de son arrestation, Zénon révèle sa véritable identité. On le traite avec égards; l'évêque de Bruges mènera l'instruction, assisté des théologiens de la faculté de Louvain. On lui reproche ses écrits, Les Prognostications, et ses liens avec la «secte des anges». Le procureur s'acharne mais l'évêque tente de distinguer l'essentiel (les points de doctrine, ses écrits, son faux nom) de l'accessoire (les mœurs). La défense de Zénon est brillante mais Catherine vient l'accuser du meurtre de Jean Myers et le procès tourne mal.

   Le chanoine de Louvain vient lui rendre visite dans son cachot, lui propose de se rétracter afin de commuer la peine de mort en réclusion. Zénon refuse. Resté seul, il retire une petite lame d'une cache et s'ouvre les veines...

 

Pistes de lecture :

 

Une femme à l'Académie française.

 

   Marguerite Yourcenar est née à Bruxelles en 1903. Elle est la première femme à avoir été reçue au sein de l'Académie française (janvier 1981).

   Orpheline de mère, elle est élevée par son père qui, très tôt, l'encourage dans la voie de l'étude des langues anciennes et de la littérature. Il lui donne également le goût des voyages et, toute sa vie, elle parcourt le monde, moins par passion du tourisme que par désir de connaissance des hommes et de leurs civilisations, telles qu'elles apparaissent au travers de l'architecture et des arts.

   Passionnée d'histoire, plus particulièrement de la Grèce antique, des Romains et, bien sûr, de la Renaissance, Marguerite Yourcenar inscrit nombre de ses œuvres dans ces contextes historiques, quand elle ne traduit pas les poètes grecs ou les negro spirituals. En 1929, Alexis ou le traité du vain combat ouvre sa carrière littéraire. Mais il lui faudra attendre la publication des Mémoires d'Hadrien pour connaître le succès (1951). Le public découvre une œuvre d'une grande culture, fortement marquée de l'humanisme de l'écrivain. Les écrits de Marguerite Yourcenar, s'ils ne sont pas le creuset d'une philosophie neuve, comme le sont les ouvrages de Sartre ou de Camus, n'en véhiculent pas moins l'idée du relativisme des opinions et des civilisations. Rien ne dure sans changer.

   Aussi à l'aise dans l'histoire contemporaine (Dernier Rêve, 1934) que dans la prose poétique (Feux), elle déroute ses lecteurs par l'éclectisme de ses écrits.

   Si ses deux chefs-d’œuvre restent sans conteste L'Œuvre au noir,(1968) et Les Mémoires d'Hadrien, on ne peut passer sous silence ses pièces de théâtre (Rendre à César, Le Dialogue dans le mariage, Electre ou la Chute des masques) ou ses essais (Le Temps, ce grand sculpteur, 1983).

 

La recherche de la vérité.

 

   L'Œuvre au noir, vie imaginaire d'un médecin alchimiste du XVI° siècle, est à bien des points de vue, un contrepoint d'Hadrien tout en étant son double. Tous deux représentent la recherche de vérité, menée par l'un, empereur, au centre du monde, et par l'autre, alchimiste hérétique, à ses frontières.

   Zénon focalise en un seul homme la palette des esprits renaissants de son temps. Humaniste, il écrit des ouvrages qui interpellent l'Eglise en place et les savants plus attirés par les spéculations que par l'expérience. Médecin, il, fréquente un barbier soupçonné de pratiquer des autopsies, invente des machines à tisser...

   Eternel fugueur ou, plus exactement, perpétuellement en quête de nouvelles connaissances, Zénon parcourt l'Europe tant par goût de la liberté que par besoin de vérité. Le mystère de l'homme, du monde qui l'entoure et qui se complaît dans l'ombre et la violence, fascine Zénon sans qu'il l'accepte pour autant. Ce n'est pas la peur de la mort qui l'incite toujours à fuir, mais l'attrait du nouveau. Zénon est l'errant, le dissident. Lorsqu'il change d'identité à son retour à Bruges, il ébauche une partie de cache-cache qu'il ne peut mener bien longtemps. Son ancienne gouvernante le reconnaît, l'abbé connaît son identité, etc. Seule l'autorité semble vouloir l'ignorer et préférerait mille fois brûler un Sébastien Théus plutôt que d'avoir à juger Zénon.

   Dans le risque, sa mort est l'aboutissement logique de sa recherche d'absolu. Croisant la mort (Henri-Maximilien, la peste, la guerre, les bûchers, l'abbé) sans jamais la rechercher, il finit par s'en servir pour affirmer son être : il s'ouvre les veines, exprimant par là sa connaissance médicale et sa maîtrise de l'âme. Mais cet aboutissement ne pourra se réaliser qu'après qu'il ait révélé, à lui-même et aux autres, sa différence. Sa mort est alors un témoignage et il ne peut accepter, comme le souhaiterait son vieux professeur Campanus, de déguiser la vérité pour se sauver.

 



17/07/2008
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