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La notion d'"âme"

La notion d’ « âme »

 

 

 

   « Passons aux attributs de l'âme… Les premiers sont de me nourrir et de marcher... Un autre est de sentir... Un autre est de penser. » Cette formule de Descartes, issue de la Seconde méditation des Méditations métaphysiques, rassemble les divers aspects que prit et conserve le concept d'âme. De l'inanimé à l'animal, la réflexion chercha un principe qui rendit compte de la différence. Or, celle-ci est d'abord visible dans la respiration. Le dernier souffle, le dernier soupir, rendre l'âme, c'est la même chose : pour le vivant, revenir à l'inerte. Principe du vivant, souffle, exhalaison (sens premier de « psychè »), l'âme est chose matérielle : l'haleine qui sort de la bouche et embue le miroir utilisé jadis pour reconnaitre la mort. Âme animante, sensitive, animale en un mot, elle ne fut pas d'abord conçue comme de nature spirituelle, mais élément matériel, subtil, qui, à la mort, retournait au cosmos vivant dont elle était une partie.

   Dans la Grèce classique, la philosophie de Platon, héritière en cela de traditions orientales et égyptiennes développa une notion plus complexe de l'âme. Sans doute celle-ci prit-elle naissance dans le progrès de celle de « personne » : le « culte » des morts, l'effort pour maintenir vivant le souvenir des membres disparus du groupe, dont la mort apparaissait comme une amputation, fut le premier pas vers ce qui allait devenir la croyance en l'immortalité de l'âme. Elle fut d'abord immortalisation dans la mémoire collective ou familiale. Et c'est du soin de la communauté que naitra l'idée d'une permanence de l’âme individuelle parallèlement à la découverte de l'individualité existentielle.

   C'est à ce moment que se situe le platonisme qui élabore une philosophie de l'âme en liaison avec sa théorie générale du rapport sensible-intelligible. Platon concevra d'abord l'âme comme triple : appétitive ou désirante, courage et générosité, intelligence (épithyméticon épithymia thymos, Noûs). A cette dernière appartient la fonction pensée et revient l'immortalité. Quant aux deux autres, elles procèdent de l'incarnation de l'âme dans le sensible et s'éteignent avec la vie du corps. Ici, la tripartition n'est pas essentielle. Plus tard, dans le Phèdre, il en viendra à affirmer l'immortalité de l'âme conçue désormais comme essentiellement tripartite. Elle a un rôle médiatisant entre le sensible et l'intelligible, et est pensée comme se mouvant elle-même, donc impérissable et principe. Inengendrée et immortelle, elle traverse le cycle éternel du temps en une série infinie d'existences plus ou moins conformes à l'Idée de la Justice, harmonie réglée de ses trois parties.

   La philosophie moderne, dans la tradition chrétienne, retiendra l’hétérogénéité de l'âme, substance spirituelle et du corps, substance étendue.

   Singulièrement, la théorie cartésienne refusera une « anima » aux bêtes, dont la vie s'analyse en termes de mécanique (animaux machines), et c'est à l'homme seul que revient la dignité d'être une âme dans un corps. L'immortalité de l'âme est alors liée à sa simplicité : seul le composé peut être détruit. L'indivisibilité de l'esprit, du Cogito, présence simple et immédiate de la conscience à elle-même garantit pour Descartes son immortalité. La mort est décomposition. Leibniz ira plus loin avec la théorie de la monade : substance simple, indivisible, elle est âme et activité, principe ultime de toute réalité. En ce sens, tout est âme, et Leibniz établit une hiérarchie des monades au sommet de laquelle se trouve Dieu, leur créateur et organisateur dirigé par le principe du meilleur.

   Cette thèse sera attaquée par Kant. Elle tend, en effet, à supprimer la différence ontologique entre le sensible et l'intelligible, essentielle au point de vue théologique (et chrétien) qui est le sien. Cette critique est redoublée par celle des attitudes platoniciennes et chrétiennes. Prouver l'immortalité de l'âme, serait produire un discours vérifiable sur une « chose » qui ne peut être exhibée dans l'expérience spatio- temporelle. Or, ce projet est contradictoire pour Kant qui limite à l'objet d'une expérience spatio-temporelle possible toute connaissance objectivement vérifiable. En effet, si le Cogito est bien l'unique expérience originaire, commencement de toute théorie de l'âme, il ne présente aucun des caractères d'objectivité empirique me permettant de lui assigner une réalité indépendante de ma conscience actuelle, ce que requiert la preuve de l'immortalité de l'âme. De l'âme, je ne puis rien dire, ni qu'elle est une substance, ni qu'elle est simple, identique et en rapport avec des objets dans l'espace, car mes concepts n'ont de valeur que dans le champ de l'expérience sensible auquel, par définition, échappe l'âme. C'est par une autre voie que Kant découvre l'immortalité. A l'homme s'impose comme une tache absolue la réalisation de la vertu, comme pure détermination du vouloir par la loi de la Raison (Impératif catégorique). Cette tâche revenant pour l'être fini à s'égaler à l'Infini, exige une durée indéfinie, existence qui s'étend quantitativement à l'indéfini. Sauf à admettre (postulat) une telle durée illimitée de la personne-âme, le fait de l'impératif moral devient simplement contradictoire. C'est donc du seul point de vue pratique (i.e. moral) que doit être reconnue l'immortalité, avec une certitude et une nécessité égales à celles de la loi morale effectivement présente à la conscience de tout être raisonnable mais fini.

 



16/06/2009
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