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La notion d'"avenir".

Quelques remarques autour de la phrase de Bernanos extraite du recueil posthume de 1953, La liberté, pour quoi faire ?

 

« L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait. »

 

   Il est assez remarquable de noter que cette notion d’ « avenir » si répandue ordinairement dans le discours, titrant des ouvrages, animant des conversations, conceptualisant des politiques, est en même temps relativement boudée par les grands dictionnaires, peu prolixes à son égard, par les traités de philosophie intarissables sur les notions de temps, de progrès, mais très discrets quand il s’agit de prendre en charge le terme proprement dit.

   Peut-être est-ce le signe de sa relative absence de substance, de sa maigreur « ontologique ». Contraction de la préposition : « à » et du verbe « venir », « advenire » en latin, « à-venir » en français, ellipse de la locution : « le temps à venir », la notion d’avenir se donne d’une certaine consistance du fait même de se trouver logée dans un substantif. Bénéficiant en outre d’une proximité avec le verbe « advenir », arriver, qui servira à forger le vocable théologique : l’Avent, la préparation de la venue imminente du Christ, l’avenir se solidifie. Plutôt que de se perdre dans l’inconsistance d’un « ce qui n’est pas encore et ne sera peut-être jamais », il semble forcer la main du temps, écrire par avance, en caractères, certes encore modérément contrastés, la page du futur. Quand on dit de quelqu’un qu’il a de l’avenir, cela ne signifie-t-il pas qu’il est parvenu à en gommer l’angoissante dimension d’inconnu, qu’il est parvenu à domestiquer le cours du temps, qu’il a déjà écrit sur la page du présent les prémices de l’avenir comme l’ensemencement d’un jardin prépare la récolte prochaine.

   Mais alors peut-être l’avenir n’a-t-il aucune existence autonome, peut-être n’est-il finalement qu’une modalité du présent, qu’une autre façon de parler d’un présent prolongé. Saint Augustin disait un peu en ce sens : « Il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir ... Le présent du passé c’est la mémoire, le présent du présent c’est l’attention immédiate, le présent de l’avenir c’est l’imagination ». Avenir, notion peut-être peu substantielle, mais « avenue » ouverte par l’imagination vers l’inconnu du temps.

 

   L’avenir traditionnellement confié au Destin, « raison par laquelle les choses passées ont été, les choses présentes sont, et les choses futures seront », Plutarque (stoïcisme et l’Ordre du monde) est, à l’époque contemporaine, repris en mains par les sciences expérimentales et en particulier la prévision scientifique : « Nous devons envisager l’état présent de l’Univers, comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée... connaîtrait l’avenir et le passé comme s’ils étaient présents à ses yeux. » Le déterminisme scientifique amenuise considérablement l’altérité de l’avenir, lequel n’est finalement angoissant que pour une intelligence faible ignorante des causes qui se joue dans cette globalité de la nature.

   Marx, dans ce sillage, soutient l’idée que l’histoire doit être comprise comme un « enchaînement naturel de phénomènes historiques, enchaînement soumis à des lois... indépendantes des desseins de l’homme, mais qui, au contraire déterminent des desseins. » Capital.

 

   L’idée classique de déterminisme implique qu’on puisse prévoir dans le présent et à partir du passé, les paragraphes d’un avenir qui n’est pas exactement une page blanche. Ainsi dira-t-on avec Freud que l’enfant explique l’adulte, avec les sociologues, que les données sociologiques dessinent l’itinéraire futur des êtres, que les sociétés préparent, à leur insu parfois, des lendemains qu’une étude adaptée qualifierait de probables. S’applique ici la formule de Leibniz - in Principes de la nature et de la grâce – « Le présent est gros de l’avenir ; le futur se pourrait lire dans le passé ».

 

   S’il existe une manière d’être dans le temps spécifiquement humaine, elle consiste peut-être en ce travail de l’avenir dans le présent qu’on peut nommer projet. Sartre écrit : « L’homme est d’abord ce qui se jette vers un avenir ... L’homme est condamné à chaque instant à inventer l’homme. Le poète Francis Ponge a d’ailleurs dit : « L’homme est l’avenir de l’homme », à moins que ce ne soit « la femme, l’avenir de l’homme », comme le chante Ferrat, en reprenant Aragon.

   « Si l’on entend que l’avenir est inscrit au Ciel, que Dieu le voit, alors c’est faux, car ce ne serait plus un avenir. Si l’on entend que quelque soit l’homme qui apparaît, il y a un avenir à faire, un avenir vierge qui l’attend, alors ce mot est juste. Mais alors on est délaissé. » Sartre, L’existentialisme est un humanisme.

   L’avenir est le « lieu » où ma liberté peut y inscrire ses choix. Je prépare aujourd’hui mes lendemains. Et si l’avenir n’est pas toujours conforme à nos projets, c’est qu’il est aussi une aventure. Au risque de casser le charme de cette conclusion, on notera que les mots d’avenir, Avent, aventure, advenir ... sont issus d’une racine à peu près semblable.

 

Citations de Bernanos intéressantes :

« L’espérance est une vertu, virtus, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté. »

« On n’attend pas l’avenir comme on attend un train : on le fait ».

« Pour moi, le passé ne compte pas. Le présent non plus d’ailleurs, ou comme une petite frange d’ombre, à la lisière de l’avenir. »

 

Citation de Hugo :

« Le présent est l’enclume où se fait l’avenir ».

 

Citation de Saint-Exupéry :

« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ».

 

Propos de Chimène dans le Cid de Corneille :

« Le passé me tourmente et je crains l’avenir. »

 

 



25/06/2008
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