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La philosophie en Terminale analyse et réflexion autour des "Instructions officielles"

La philosophie en terminale

Les instructions officielles 

 

I/ Une double finalité

 

"L’enseignement de la philosophie en classes terminales a pour objectif de favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice réfléchi du jugement, et de lui offrir une culture philosophique initiale. Ces deux finalités sont substantiellement unies." (Référence. : Arrêté du 27 mai 2003, JO du 6 juin 2003 Cf. BO n°25 du 19 juin 2003)

 

1/ "L’exercice réfléchi du jugement"

 « Voici le point de départ de la philosophie : la conscience du conflit qui met aux prises les hommes entre eux, la recherche de l'origine de ce conflit, la condamnation de la simple opinion et la défiance à son égard, une sorte de critique de l'opinion pour déterminer si on a raison de la tenir, l'invention d'une norme, de même que nous avons inventé la balance pour la détermination du poids, ou le cordeau pour distinguer ce qui est droit et ce qui est tordu. » 

 Épictète.

 « Une opinion est une représentation subjective, une idée quelconque, fantaisiste, que je conçois ainsi et qu’un autre peut concevoir autrement. Une opinion est mienne ; ce n’est pas une idée en soi générale, existant en soi et pour soi. Or la philosophie ne renferme pas d’opinions, il n’existe pas d’opinions philosophiques. »

Hegel.

   Le premier objectif affiché contient un sous-entendu : les jugements que nous portons, nos jugements "de valeur", nos "opinions" sur les choses et les gens ne seraient pas toujours réfléchis… Or, une opinion réfléchie n’est déjà plus une simple opinion, elle devient une Idée philosophique. Pourquoi faut-il dépasser les simples opinions ? Pourquoi faut-il dépasser les simples opinions ? Parce qu’elles s’assimilent à des préjugés ou à des croyances et qu’elles génèrent, comme telles, de vaines disputes sans vraies solutions.

 

2/ "Une culture philosophique initiale"

 « En lisant chaque auteur, je me fis une loi d'adopter et de suivre toutes ses idées sans y mêler les miennes et celles d'un autre, et sans jamais disputer avec lui. Je me dis : "commençons par me faire un magasin d'idées, vraies ou fausses, mais nettes, en attendant que ma tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir". Cette méthode n'est pas sans inconvénient, je le sais, mais elle m'a réussi dans l'objet de m'instruire. Au bout de quelques années passées à ne penser exactement que d'après autrui, sans réfléchir pour ainsi dire et sans raisonner, je me suis trouvé un assez grand fonds d'acquis pour me suffire à moi-même, et penser sans le secours d'autrui.»

Rousseau.

Le second objectif concerne l'acquisition d'une "culture", c'est-à-dire un savoir fondé sur un ensemble de textes et donc d'auteurs, une tradition multiséculaire. De ce point de vue, la culture philosophique constitue une sous-partie des "Lettres", de la "Littérature", ou même des « Sciences », sauf qu’elle ne se confond ni avec la littérature ni avec les sciences… Dans le créneau limité d'une année scolaire, il ne peut s'agir que d'un premier contact avec cette culture. C'est aussi, et de loin, l'aspect le plus rebutant de la matière pour les élèves, car les textes même courts ne se laissent pas approprier facilement, et cela pour deux raisons. D'abord ils n'ont pas été écrits spécialement dans un souci de clarté et de pédagogie pour des élèves de terminale du XXIe siècle ! S'ajoute à cela la difficulté de déchiffrer une langue parfois ancienne (XVIIe, XVIIIe siècle par ex.). Néanmoins, il faudra s'atteler à cette lecture difficile, tout simplement parce qu'on ne peut penser et réfléchir sérieusement sans culture, sans références sur lesquelles s'appuyer. Paradoxalement, c’est la condition pour parvenir à penser par soi-même (cf. texte de Rousseau). D'une façon générale, il faut se convaincre que la lecture nous fait gagner un temps précieux, en nous permettant d'assimiler la pensée des autres et en nous évitant bien des égarements.

 

3/ "Deux finalités substantiellement unies"

 

   "Deux finalités substantiellement unies." D'un côté l'exercice réfléchi du jugement, qui est une faculté et une vertu personnelle, de l'autre un minimum de lectures et de connaissances apprises, qui est l'aspect impersonnel de la philosophie. On voit que dans les deux cas (apprendre à réfléchir par soi-même, mais en passant par la pensée des autres) la philosophie s'apprend comme n'importe quelle autre matière, avec l'aide d'un professeur. Sauf que la présence d'une double finalité est particulièrement marquée en philosophie, au point que l'on demande à l'élève non seulement d'apprendre la philosophie mais aussi d'apprendre à philosopher, donc d'une certaine manière on attend de lui qu'il devienne philosophe ! On ne demande pas à l'élève, par exemple en géographie, de devenir géographe, ou à l'étudiant en littérature, de devenir écrivain…

 

II/ Pourquoi la philosophie en terminale ?

 

"La culture philosophique à acquérir durant l’année de terminale repose elle-même sur la formation scolaire antérieure, dont l’enseignement de la philosophie mobilise de nombreux éléments, notamment pour la maîtrise de l’expression et de l’argumentation, la culture littéraire et artistique, les savoirs scientifiques et la connaissance de l’histoire."

1/  A partir de quand philosopher ? (un vieux débat...)

« Il est beau d'étudier la philosophie dans la mesure où elle sert à l'instruction et il n'y a pas de honte pour un jeune garçon à philosopher; mais, lorsqu'on continue à philosopher dans un âge avancé, la chose devient ridicule, Socrate, et, pour ma part, j'éprouve à l'égard de ceux qui cultivent la philosophie un sentiment très voisin de celui que m'inspirent les gens qui balbutient et font les enfants. »

Gorgias.

2/ Gorgias était un « sophiste » : un « faiseur de beaux discours qui se préoccupait davantage de persuader plutôt que de dire le Vrai. Socrate, au contraire, est un philosophe qui ne se préoccupe que du vrai. Pour Gorgias, la recherche de la vérité est « puérile », inutile ; en fait il considère qu’il n’y a pas de vérité. A chacun sa vérité ! – Mais alors, au nom de quoi rechercher la paix entre les hommes, la conciliation entre les esprits ?

 « La philosophie n'est véritablement qu'une occupation pour l'adulte, il n'est pas étonnant que des difficultés se présentent lorsqu'on veut la conformer à l'aptitude moins exercée de la jeunesse. L'étudiant qui sort de l'enseignement scolaire était habitué à apprendre. Il pense maintenant qu'il va apprendre la Philosophie, ce qui est pourtant impossible car il doit désormais apprendre à philosopher. (...) Qu'il me soit permis de dire qu'on abuse de la confiance du public lorsque, au lieu d'étendre l'aptitude intellectuelle de la jeunesse qui nous est confiée, et de la former en vue d'une connaissance personnelle future, dans sa maturité, on la dupe avec une Philosophie prétendument déjà achevée, qui a été imaginée pour elle par d'autres, et dont découle une illusion de science... »

Kant.

3/ A l’inverse Kant prend très au sérieux l’apprentissage de la philosophie, ou plutôt de l’acte de philosopher. Pour lui, il vaut mieux en dispenser les jeunes gens plutôt que de leur apprendre une philosophie toute faite qui serait la négation même de l’acte de philosopher.

 « Quand on est jeune, il ne faut pas hésiter à philosopher, et quand on est vieux, il ne faut pas se lasser de philosopher. Il n'est jamais ni trop tôt, ni trop tard pour prendre soin de son âme. Celui qui dit qu'il n'est pas encore ou qu'il n'est plus temps de philosopher, ressemble à celui qui dit qu'il n'est pas encore ou qu'il n'est plus temps d'atteindre le bonheur. . »

Épicure.

4/ De son côté, Epicure ne prévoit aucune restriction dans la pratique de la philosophie, justement parce que pour lui il s’agit avant tout d’une pratique, une réflexion concrète qui doit apporter le bonheur. Or il n’y a pas d’âge pour être heureux.

 

5/ De son côté, la pédagogie contemporaine considère qu'il n'est jamais trop tôt pour apprendre à questionner, réfléchir, discuter… Des expériences sont menées dans ce sens dans les collèges, dans les classes primaires… et même en maternelle. Ces expériences s'avèrent concluantes même si ce n'est qu'un début. Il suffit simplement d'adapter le niveau de réflexion et d'expression, et bien sûr la "culture" (contes, etc.), en fonction de l'âge.

 

6/ "Une formation scolaire antérieure", la place de la philosophie dans le cursus

 

   On nous dit clairement que la philosophie s'appuie sur l'ensemble de la culture acquise par l'élève. Pourquoi alors aborder la philosophie seulement en terminale ? Justement parce que chez l'élève de terminale la culture d'une part, la maturité personnelle d'autre part semblent fournir une base suffisante.

   On croit souvent à tort que la philosophie est une matière littéraire qui prolongerait en quelque sorte le français, en devenant simplement un peu plus compliquée. En réalité, la philosophie se trouve au carrefour de l'ensemble des matières et des savoirs appris à l'école, au milieu d'une croix formée par les mathématiques (le calcul, la logique pure, l'abstraction), les lettres (lecture-écriture, expression, sensibilité artistique, etc.), les sciences de la nature (physique, biologie…), et enfin les "sciences humaines" (à commencer par l'histoire-géographie, mais aussi le droit, l'économie, etc.). Simplement ce "milieu" ne peut émerger à la conscience de l'élève tant que le savoir qui l'entoure et le supporte n'atteint pas lui-même un certain niveau homogène. De sorte que, pour parler de "niveau", il n'y a pas de raisons pour qu'un élève excellent dans toutes les matières ne devienne pas également excellent en philosophie : l'expérience montre que ceci est vrai neuf fois sur dix (la jeunesse, le manque de maturité, ou des problèmes personnels pouvant toujours provoquer une exception à la règle).

   Mieux que de longs discours, ce graphe vous montre quelle place centrale occupe la philosophie au croisement des compétences et des savoirs, de toutes les autres disciplines qu’elle utilise comme supports ou matériaux, dans le but de former l’être humain à la réflexion et à un certain usage de la liberté que l’on continuer à appeler « sagesse »… 

 

7/ Le jugement du professeur est-il arbitraire ?

 

   Ne dit-on pas que, en philosophie, l'évaluation est "arbitraire" et que si "l'on n'est pas d'accord avec le prof", tout est fichu ?! Tout ceci est faux évidemment, pour une raison fondamentale, c’est que la philosophie n'est pas une affaire d'opinions. En philosophie il s’agit de développer et de défendre des Idées, des thèses, en argumentant : soit l'on est capable d’argumenter et l'idée sera intéressante, soit l'on n’en est pas capable, il n’y a pas d’idée du tout.

 

III/ Conscience critique et autonomie

 

"Cet enseignement (….) contribue ainsi à former des esprits autonomes, avertis de la complexité du réel et capables de mettre en œuvre une conscience critique du monde contemporain."

1/ "La complexité du réel" et la "conscience critique"

"La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain même. Celui qui n'a aucune teinture de philosophie traverse l'existence, prisonnier de préjugés dérivés du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison." Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons, comme il a été dit dans nos premiers chapitres, que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu'elle ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la tyrannie de l'habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance d'une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n'ont jamais parcouru la région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment d'émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.»

Russell.

2/ Il s'agit donc d'aider le jeune à devenir un homme libre et un citoyen responsable. Qu'est-ce que la "conscience critique" ? C'est développer la capacité de douter positivement, de remettre en question et donc de questionner, parfois de protester, mais toujours en ayant soin d'analyser la situation ou le discours, toujours en prenant le temps d'argumenter (expliquer, justifier, discuter).

 

3/ "La complexité du réel"… autant dire que le philosophe est l'ennemi des idées simplistes, surtout des préjugés et des dogmes (vérités "révélées", soi-disant incontestables). Le philosophe n'est pas l'homme d'une seule Idée, aussi "grande" soit-elle. Les idées aussi sont dangereuses, il faut les manier avec précaution, c'est-à-dire les construire (parfois les déconstruire) patiemment. Prendre le temps de penser le réel dans toute sa complexité. On reproche souvent aux philosophes de "compliquer inutilement les choses". Ce ne sont pas les idées, mais les choses, qui sont complexes ! Préfère-t-on celui qui est compliqué ou celui qui est borné ? Lequel est le plus dangereux finalement ?

 

4/ Autonomie et "liberté de penser"

 

   Qu'est-ce que l'"autonomie", surtout intellectuelle ? Pas seulement la liberté, la liberté de penser ou de dire n'importe quoi. Mais savoir justifier ses opinions, pour ne pas croire et suivre les flatteurs, les fanatiques ou les démagogues ; savoir et donc pouvoir les affronter (au lieu de les fuir, ou d'être indifférent), bref penser par soi-même. On pourrait presque définir la philosophie, en raccourci, comme l'apprentissage de la liberté de penser, voire de la liberté tout court, au moyen de la réflexion - mais en soulignant d'une part l'aspect apprentissage, pour ne pas laisser croire que les bonnes idées et la sagesse viennent naturellement, et d'autre part l'aspect réflexion qui implique un certain niveau de concentration et d'abstraction… Surtout ne pas laisser croire, ou laisser dire, que l'on "naît" doué en philosophie, ou au contraire "pas doué". Cet argument sert seulement à cacher la paresse intellectuelle et la mauvaise foi. Le "don" naturel n'a rien à voir avec la réflexion, qui pour l'essentiel reste construite, volontaire et personnelle.

 

5/ Le philosophe est-il l'homme d'aujourd'hui ou l'"homme de demain" ?

 

« Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement l'homme de demain ou d'après-demain, s'est de tout temps trouvé en contradiction avec le présent; il a toujours eu pour ennemi l'idéal du jour. »

Nietzsche.

   Le "monde contemporain" est notre monde, c'est aussi ce qu'on appelle l'"actualité". On ne peut pas traverser son année de philo sans se demander enfin sérieusement "ce qui se passe" dans le monde et dans la société, qu'est-ce qui est juste et injuste, acceptable et inacceptable, comment articuler la réflexion (philosophique) avec l'action (politique) ?

 

   En même temps, le philosophe ou l’apprenti-philosophe est celui qui se détache de l’actualité pour regarder au-devant, réfléchir pour tenter de prévoir. Il se peut aussi que ses idées soient « en avance » sur son temps ! Le philosophe serait-il toujours plus ou moins une utopiste ?

 

 

 

 



23/09/2023
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