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"Le ciel étoilé au-dessus de moi, la loi morale en moi." Kant

   

« Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi »

Emmanuel KANT

 

   C’est dans la Critique de la raison pratique (1788) que Kant (1724-1804) écrit : « Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes [...] le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. » Ainsi l’homme appartient-il à deux mondes ; le monde naturel et le monde moral, le monde du déterminisme et le monde la liberté.

   Dans la phrase : « Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi », le ciel étoilé représente la légalité et la nécessité du monde extérieur, du monde offert aux sens, et la loi morale en moi « commence au moi invisible », « et élève infiniment ma valeur ». L’homme est ainsi soumis à une double légalité, naturelle d’une part, morale de l’autre.

   La philosophie kantienne, en un sens rend compte des acquis de la physique de Newton. Newton réalise le premier système rendant compte de la totalité du monde réel et dans lequel les lois de la physique astronomique et de la physique terrestre peuvent se déduire à partir de la loi mère qu’est la gravitation universelle. La totalité du monde des phénomènes se trouve apparaît régie par la légalité et soumise au déterminisme. Kant, dans la Critique de la Raison pure (1781) établit les fondements de cette connaissance scientifique du monde naturel, aussi bien contre les prétentions de la métaphysique traditionnelle qui croit connaître l’âme et Dieu, que contre les assauts sceptiques, qui tentaient de détruire nos exigences d’un savoir fondé.

   Mais l’homme s’inscrit alors lui-même dans le monde des phénomènes et apparaît soumis au déterminisme naturel : « Le premier spectacle d’une multitude innombrable de mondes, anéantit pour ainsi dire mon importance, en tant que je suis une créature animale qui doit rendre la matière dont elle est formée à la planète, après avoir été pendant un court espace de temps (on ne sait comment), douée de la force vitale. »

   Si l’homme s’inscrivait uniquement dans le monde naturel, où tout acte est soumis à la causalité et se comprend comme l’effet d’une cause antérieure, toute prétention à la liberté serait ruinée. Je ne serais qu’une « créature animale ». Je ne pourrais jamais penser une de mes actions comme libre ; je ne pourrais jamais me penser comme capable de commencer une action par moi-même (mon acte étant le résultat d’une cause naturelle antérieure).

   Ainsi étudiant les fondements de la morale dans la Critique de la raison pratique, Kant parvient-il à saisir l’homme comme libre, i.e. s’élevant au-dessus du déterminisme naturel. La loi morale en moi « élève infiniment ma valeur, comme celle d’une intelligence par ma personnalité dans laquelle la loi morale me manifeste une vie indépendante de l’animalité et même de tout le monde sensible ».

   Trois questions dit Kant, dans la Critique de la raison pure, résument l’ensemble des intérêts humains : « Que puis-je connaître ? », « Que dois-je faire ? », « Que m’est-il permis d’espérer ? ».

   Ces trois questions fusionnent dans cette dernière : « Qu’est-ce que l’homme ? ».

   Or, la réponse kantienne prétend sauver à la fois les droits de la connaissance scientifique, i.e. légale et nécessaire du monde naturel, d’une part et les droits de la morale, i.e. de la liberté humaine, d’autre part. L’homme doit se penser à la fois comme être naturel et soumis à la nécessité, à la causalité qui régit le monde physique et à la fois comme être moral, responsable de ses actes, i.e. libre de les poser ou non, et échappant par là au déterminisme naturel.

   Cependant, en tant qu’homme libre et dépassant le déterminisme naturel, il est inconnaissable. L’articulation entre ce que je peux connaître de moi-même comme être naturel d’une part, et la possibilité de me penser comme sujet moral d’autre part, se délivre dans cette phrase : « J’ai dû abolir le savoir afin d’obtenir une place pour la croyance ». Ce qui ne signifie pas que Kant aurait volontairement posé des limites au savoir. Bien au contraire, les limites du savoir, du connaître, ont une contrepartie positive : la possibilité de me penser comme sujet moral.

   La métaphysique traditionnelle prétend fournir des connaissances réelles sur la liberté, Dieu et l’âme. Elle prétend prouver que l’âme est immortelle, que Dieu existe, etc. Or, Kant montre que ces prétentions sont absurdes, dans la mesure où il n’y a pas de connaissance réelle en dehors des limites d’une expérience possible. Quand la métaphysique entend fournir des connaissances sur Dieu ou l’âme, elle s’engage dans des antinomies, i.e. que l’on peut tout aussi bien « prouver » une thèse que son contraire : on sort des limites de la connaissance.

   Nous ne pouvons connaître que des phénomènes, i.e. les choses en tant qu’elles sont perçues et pensées par nous. Pour qu’une connaissance soit réelle, il faut, d’une part qu’une matière soit donnée, nous soit fournie, affecte le sujet. Mais il faut, d’autre part, que cette matière soit organisée par la structure sensible du sujet et pensée au travers de cadres conceptuels subjectifs. Or, notre sensibilité est d’abord spatiale et temporelle. Toute chose est appréhendée par nous dans l’espace et dans le temps. Quand donc la métaphysique entend traiter de l’immortalité, de Dieu, de l’origine du monde etc., elle sort des limites d’une expérience possible, et tient des discours contradictoires.

   Autrement dit, sur notre liberté, notre destination, la raison ne peut rien prouver. Tout ce que nous pouvons connaître, ce sont des phénomènes naturels, le monde extérieur ou nous-mêmes comme objets. Or, tout ceci ne confère au monde et à nous-mêmes aucune valeur.

   Mais il existe un usage non plus théorique, spéculatif, mais pratique de la raison. Il y a, dit Kant, un « fait de la raison » : la loi morale s’impose à chacun. Par exemple, dit Kant, si le pouvoir politique m’ordonne en me menaçant, de porter un faux témoignage contre un innocent, je sais que je ne dois pas le faire, qu’il est possible de ne pas le faire, même si, par ailleurs, je ne peux assurer que j’agirai comme je le dois. Autrement dit, chacun a conscience du devoir. C’est un fait.

   Or, cette conscience ne peut s’expliquer parce que je suis libre. Si la raison théorique ne peut jamais prouver que l’homme est libre, qu’il a le pouvoir d’exécuter par lui-même une action sans céder au déterminisme naturel, si elle sombre, face à ce problème, dans la contradiction, la loi morale, elle, ne s’explique que par la liberté.

   Autrement dit, il y a un usage pratique de la raison qui dépasse l’usage théorique, qui me révèle à moi-même non plus comme un phénomène soumis à la série des causes et des effets, mais comme libre, i.e. capable de déterminer par moi-même mes actions. C’est pourquoi Kant affirme que la loi morale « élève infiniment ma valeur comme celle d’une intelligence, par ma personnalité dans laquelle la loi morale me manifeste une vie indépendante de l’animalité et même de tout le monde sensible ». Ici, je me découvre non plus comme simple phénomène offert à la connaissance, mais comme personne capable d’action et de responsabilité, dépassant infiniment le statut de chose ou d’animal.

   Si Kant sauvegarde les droits d’une connaissance réelle et fondée du monde naturel, il a su dire que « le fait d’être connu ne confère au monde aucune valeur ». Si « le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi » me remplissent d’admiration et de vénération, c’est que le ciel étoilé m’indique un ordre des phénomènes et la loi morale me découvre comme être de valeur et posant des valeurs. Comme être libre et responsable.

   



16/12/2014
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