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"Le voyage au bout de la nuit" de Louis-Ferdinand Céline. (1894-1961)

Le Voyage au bout de la nuit

Louis-Ferdinand Céline (1894-1961)

Roman, France, 1932.

 

 

 

 

Résumé :

 

   1914. Ferdinand Bardamu a vingt ans. Suite à une discussion animée avec un camarade étudiant en médecine et, un peu par hasard, parce qu'un régiment passe devant la terrasse du bistrot où il discute, il court s'engager. Mais au front, sur une route de campagne qu'arpente nerveusement son colonel sans prendre garde aux Allemands qui tiraillent, Ferdinand réalise qu'il ne veut pas mourir, qu'il préfère fuir mais rester vivant.

   Envoyé en reconnaissance, Bardamu rencontre Léon Robinson, un déserteur qui souhaite se constituer prisonnier. Ils n'y arrivent pas et Bardamu, blessé, est envoyé à Paris où il rencontre Lola, une Américaine bien en chair et peu avare de sa personne. Afin d'aider les pauvres soldats, elle façonne puis goûte les beignets des hôpitaux.

   Une fin d'après-midi, alors qu'il contemple les restes d'une baraque foraine, le tir des Nations, Bardamu est subitement frappé de terreur, « voit » des soldats ennemis embusqués partout et est embarqué vers l'hôpital psychiatrique le plus proche. Il se lie avec une violoniste, Musyne, qui lui préfère les Argentins.

   Enfin réformé, il s'embarque pour l'Afrique à bord de l'Amiral Bragueton. Passé le Portugal, la chaleur et l'alcool aidant, les passagers non payants (fonctionnaires et autres militaires) à force d'ennui, conçoivent les plus noirs soupçons vis-à-vis de ce «payant». A moins de fuir quelque horrible passé, quelle autre raison aurait pu pousser ce passager à quitter l'Europe? Peu à cheval sur l'amour-propre dont il n'a pas l'usage, Ferdinand se tire du mauvais pas in extremis en invoquant l'esprit patriotique et la grandeur de la France.

   Débarqué précipitamment à Bombola-Fort-Gono, il est embauché par une compagnie coloniale qui l'envoie en brousse via Topo. C'est la rencontre du lieutenant Grappa et de sa justice à coups de triques; du sergent Alcide et du petit commerce de tabac qu'il entretient avec les douze miliciens nudistes, avant la remontée du fleuve à la recherche du comptoir avancé. En fait d'installations, il n'y a qu'une vieille case délabrée et son prédécesseur, en qui Bardamu reconnaîtra plus tard Robinson, s'enfuit après avoir tout volé.

   Atteint de malaria, rongé par les fièvres, Ferdinand est vendu par les indigènes à une galère espagnole en partance pour New York. Embauché au port pour l'incroyable capacité qu'il développe à dénombrer les puces, il retrouve Lola et, après lui avoir soutiré quelque argent, il gagne Detroit et les usines Ford. Il se lie avec Molly, une prostituée proche de la sainteté tant son désintérêt est grand et charitable.

   Un soir, Ferdinand croise Robinson, à présent nettoyeur de nuit. Il repart pour l'Europe et après avoir achevé ses études de médecine, s'établit en banlieue à Garenne-Rancy. Trop compatissant, gêné d'avoir à réclamer des honoraires, il vivote. De Bébert, le neveu de la concierge, à la fille du cinquième qui mourra des suites d'un avortement, Ferdinand se traîne au milieu de ses malades qu'il décrit sans complaisance. Chez les Henrouille, on lui propose de l'acheter pour autant qu'il fasse enfermer la vieille mère qui empêche de faire des économies. Il refuse mais les visite régulièrement. Robinson reparaît, accepte d'assassiner la vieille Henrouille mais prend la dose de chevrotines qu'il lui destinait en pleine figure. Drame sans précédent, la famille se retrouve avec la mère et son assassin, devenu aveugle, sur les bras. L'abbé Protiste moyennant finance trouve le moyen d'envoyer Robinson et la vieille à Toulouse.

   Une fois cette épine hors du pied, Bardamu attrape un rhume tenace qui précipite sa décision d'abandonner Rancy. Il gagne l'hôtel, est figurant au théâtre Tarapout jusqu'au jour où, une fois de plus, il part. Il rejoint Robinson à Toulouse. Ce dernier va se marier avec Madelon, la fille de la vendeuse de cierges... Au moment où Ferdinand va prendre le train pour Paris, il apprend que la mère Henrouille «s'est tuée » dans un escalier. Re-fuite en avant, rencontre de Parafine qui a perdu son emploi de chercheur et travaille à présent dans l'hôpital psychiatrique du docteur Baryton.

   La vie à l'asile s'écoule tranquillement jusqu'au soir où le professeur se targue d'apprendre l'anglais. Ferdinand joue au professeur, les progrès de l'élève sont tels qu'après trois mois, le docteur Baryton se décide à tout plaquer pour courir l'aventure au nord !

   Nommé directeur de l'asile par intérim, Ferdinand s'accommode de la situation jusqu'au retour de Robinson qui ne veut plus épouser sa Madelon. Celle-ci arrive et le poursuit de ses assiduités. Robinson lui avoue sa lassitude des hommes et des sentiments, la vie le dégoûte... Et Madelon le tue de trois balles de revolver. La police emporte le corps, Bardamu finit dans un bistrot, près d'une écluse; un remorqueur passe, emportant les péniches, le fleuve, la ville entière et tous les personnages du voyage.

 

Pistes de lecture :

 

Un style privilégié : la vie et le langage parlé.

 

   Louis-Ferdinand-Auguste Destouches est né à Courbevoie le 27 mai 1894. Fils de petits commerçants, il est envoyé dès 1905 en Allemagne d'abord, en Angleterre ensuite, afin d'apprendre les langues. En 1912, devançant l'appel, il s'engage pour trois ans au 12°cuirassier. 1914: volontaire pour une mission périlleuse, le maréchal des logis Destouches est blessé au bras et après avoir reçu la médaille militaire, il est réaffecté à Londres avant d'être définitivement réformé le 7 décembre 1915. Il décide alors de se faire embaucher comme agent d'une compagnie forestière en Afrique, et gagne le Cameroun. Une année ne s'est pas écoulée qu'il regagne la France, reprend ses études secondaires et, en 1918, entame des études de médecine qu'il clôturera en 1924 avec une thèse sur «la vie et l'œuvre de Philippe-Ignace Senmelweis ». Ferdinand Destouches part ensuite pour les Etats-Unis au service de la Société des Nations et rencontre la danseuse Elisabeth Craig. Deux ans plus tard, en 1928, il s'installe à Clichy où il ouvre un cabinet privé avant de travailler au sein d'un dispensaire dès 1931. C'est à cette époque qu'il rédige Le Voyage au bout de la nuit et, un an plus tard, les éditions Denoël publient le premier roman de Louis-Ferdinand Céline. Le succès est immédiat, l'ouvrage déchaîne les passions; encensé ou détesté, il ne laisse pas indifférent.

   Ecrit à la première personne, parsemé de points de suspension et noyé sous les constructions grammaticales populaires, Le Voyage au bout de la nuit est le premier roman à avoir introduit de manière systématique l'illusion du langage parlé. Contrairement à ce que pourrait laisser croire le résumé, le roman n'est pas tant une suite d'événements qu'une suite de phrases, la pensée de Bardamu se déroulant devant nos yeux de manière continuelle, sans retours en arrière ni bonds en avant, avec, comme résultat, toute l'émotion de la parole en gestation.

 

 

Le quotidien selon Céline et le rejet d'un espace donné.

 

   Le monde mis en scène par Céline n'est pas la société française bien établie des années trente. Robinson et Bardamu vivent en marge du monde qui jusqu'alors s'était reflété dans les œuvres littéraires. Le récit du Voyage est constitué d'une sorte d'enfilade d'événements dont le seul lien est Bardamu. Ces événements ne tendent pas dans une direction déterminée, par un destin, par exemple, mais surviennent comme la vie s'écoule. C'est pourquoi le roman évolue à l'intérieur d'un présent continuel.

   L'espace dans lequel s'inscrivent les personnages est régulièrement remis en cause, non pas tant par condamnation de l'immobilité mais parce que se fixer, c'est donner aux autres la possibilité de vous connaître et donc, d'après Céline, de vous nuire. Là réside le principal mobile de la fuite en avant du Voyage. Le tragique résulte de ce raisonnement: il faut bien être quelque part et ce quelque part est forcément source d'ennuis. L'univers petit-bourgeois que dépeint Céline respire la mesquinerie, la tristesse; et l'homme vu par l'écrivain est nu, tel qu'il est, sans fioritures avec sa maladie de peau, ses entrailles et ses économies.

 

Un personnage fort controversé.

 

   Le second roman de Céline, Mort à crédit, paraît en 1936 et décrit un monde identique à celui du Voyage. La même année, Mea Culpa désillusionne ceux qui l'avaient pris pour un écrivain de gauche et en 1939, délaissant le roman, il rédige, deux pamphlets violemment antisémites qui lui vaudront d'être condamné après guerre à l'indignité nationale et à la confiscation de ses biens. Curieusement, Céline s'est toujours défendu de vouloir faire passer un message dans ses œuvres, prétendant écrire non pour l'art mais pour gagner sa vie «parce que la médecine... »

   Si l'on peut effectivement retrouver cette démarche dans la plupart de ses romans, même dans ceux qui furent écrits durant les années noires (Guignols band), il n'en demeure pas moins vrai que ses opinions politiques et ses pamphlets en font un personnage fort controversé.

 



27/06/2008
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