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Leçon 1 : rentrée du Week-end de Pâques. Fin de l'analyse du Banquet de Platon (Cliquez sur le lien !)

 

Bonjour à toutes et à tous,

 

   Après un week-end de Pâques qui, je l’espère, a été pour vous, un bon moment familial - même a minima -, voici une rentrée de petit format, mais néanmoins importante.

 

   Nous allons terminer la lecture suivie du Banquet de Platon en analysant l’éloge de Socrate-Diotime, sans doute le plus philosophique de tous. Puis nous nous attarderons sur les Sophistes,  dont Socrate trace un portrait parfois un peu sévère, mais dont il faut pas oublier qu’ils ont été les inventeurs de la profession d’intellectuel et donc, par extension, de celle de professeur.

 

   Rappel du plan :

 

IV/ Les pouvoirs de la parole : « La parole polyphonique face à l’amour »

Appui : analyse d’une œuvre : Le Banquet de Platon, coll. GF n°1327. Trad. Luc Brisson.

IV-1/ Repères autour de l’œuvre : un enchâssement de récits ; dates-clefs ; personnages-clefs ; l’institution du « banquet » dans la Grèce socratique du V° siècle av. J.C.

IV-2/ « Paiderastia » et « Paidagogia » dans l’Athènes classique du -V° siècle. Vers une érotisation de l’éducation.

IV-3/ Le genre de l’ « éloge », in Poétique d’Aristote.

IV-4/ L’éloge de Phèdre : le recours à l’autorité du mythe : Théogonie d’Hésiode (poésie didactique et non épique comme chez Homère). [178a-180b]

IV-5/ L’éloge de Pausanias : le plaidoyer. [180c-185c]

IV-6/ L’éloge d’Aristophane : entre rire et larmes : « L’Androgyne primitif ». [189c-193c]

IV-7/ L’éloge de Socrate : la parole-vérité : « L’Amour-philosophe ». [201d-204c]

 

V/ Les pouvoirs de la parole : « La parole sophistique : son triomphe sur la parole de vérité »

V-1/ Les Sophistes et l’invention du métier de professeur.

V-2/ Protagoras et la parole politique. Parole forte ou parole faible ?

V-3/ Gorgias et la parole poétique. Savons-nous encore « gorgianiser » ?

V-4/ Étude de l’Éloge d’Hélène (texte) par Gorgias. Comment défendre l’indéfendable ? La parole de l’avocat.

 

IV-7/ L’éloge de Socrate : la parole-vérité : « L’Amour-philosophe ». [201d-204c]

 

Texte :

 

Liens audio :                                    Discours de Socrate-Diotime

 

                                                         Discours de Diotime Texte long

 

Diotime : C’est une assez longue histoire. Je vais pourtant te la raconter. Il faut savoir que le jour où naquit Aphrodite, les dieux festoyaient ; parmi eux se trouvait le fils de Métis[1], Poros[2]. Or, quand le banquet fut terminé, arriva Pénia [3] qui était venue mendier comme cela est naturel un jour de fête, et elle se tenait sur le pas de la porte. Or Poros, qui s’était enivré de nectar[4], car le vin n’existait pas encore à cette époque, se traîna dans le jardin de Zeus [5] et, appesanti par l’ivresse s’y endormit. Alors, Pénia, dans sa pénurie, eut le projet de se faire faire un enfant par Poros ; elle s’étendit près de lui et devint grosse d’Eros. Si Éros est devenu le suivant d’Aphrodite et son servant, c’est bien parce qu’il a été engendré lors des fêtes données en l’honneur de la naissance de la déesse ; et si en même temps il est par nature amoureux du beau, c’est parce que Aphrodite est belle.

Puis donc qu’il est le fils de Poros et de Pénia, Éros se trouve dans la condition que voici. D’abord, il est toujours pauvre, et il s’en faut de beaucoup qu’il soit délicat et beau, comme le croient la plupart des gens. Au contraire, il est rude, malpropre, va-nu-pieds et il n’a pas de gîte, couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile sur le pas des portes et le bord des chemins, car puisqu’il tient de sa mère, c’est l’indigence qu’il a en partage. À l’exemple de son père en revanche, il est à l’affût de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril, résolu, ardent, c’est un chasseur redoutable ; il ne cesse de tramer des ruses, il est passionné de savoir et fertile en expédients, il passe tout son temps à philosopher, c’est un sorcier redoutable, un magicien et un expert. Il faut ajouter que par nature il n’est ni immortel, ni mortel [6]. En l’espace d’une même journée, tantôt il est fou et plein de vie, tantôt il est mourant ; puis il revient à la vie quand ses expédients réussissent en vertu de la nature qu’il tient de son père ; mais ce que lui procurent ces expédients sans cesse lui échappe ; aussi Eros n’est-il jamais ni dans l’indigence, ni dans l’opulence.

Par ailleurs, il se trouve à mi-chemin entre le savoir et l’ignorance. Voici en effet ce qui en est. Aucun dieu ne tend vers le savoir ni ne désire devenir savant, car il l’est ; or, si l’on est savant, on n’a pas besoin de tendre vers le savoir. Les ignorants ne tendent pas davantage vers le savoir ni ne désirent devenir savants. Mais c’est justement ce qu’il y a de fâcheux dans l’ignorance : alors que l’on n’est ni beau, ni bon, ni savant, on croit l’être suffisamment. Non, celui qui ne s’imagine pas en être dépourvu ne désire pas ce dont il ne croit pas devoir être pourvu.

Socrate : Qui donc, Diotime, sont ceux qui tendent vers le savoir, si ce ne sont ni les savants, ni les ignorants ?

Diotime : D’ores et déjà, il est parfaitement clair, même pour un enfant, que ce sont ceux qui se trouvent entre les deux, et qu’Eros doit être du nombre. Il va de soi en effet, que le savoir compte parmi les choses qui sont les plus belles ; or Éros est amour du beau. Par suite, Eros doit nécessairement tendre vers le savoir [7] et, puisqu’il tend vers le savoir, il doit tenir le milieu entre celui qui sait et l’ignorant. Et ce qui en lui explique ces traits, c’est son origine : car il est né d’un père doté de savoir et plein de ressources, et d’une mère dépourvue de savoir et de ressources. Telle est bien mon cher Socrate, la nature de ce daïmon.

 PLATON, Le Banquet

[1] Métis est la première épouse de Zeus. Elle incarne l’intelligence, la ruse.

[2] Poros est le dieu de l’abondance (poros signifie « plein de ressources en grec)

[3] Pénia est une personnification de la pauvreté.

[4] La boisson d’immortalité des dieux.

[5] le souverain des dieux dans la mythologie grecque

[6] Eros est un daïmon, un être intermédiaire entre les dieux et les hommes

[7] Celui qui tend (désire) le savoir est un philosophe.

 

Analyse :

 

Discours de Diotime 1.jpg

 Discours de Diotime 2.jpg

  

Le mythe d’Éros, rapporté indirectement par Socrate qui se prétend simple porte-parole de Diotime de Mantinée, cela, lors d’un banquet donné en l’honneur d’Agathon, narratif et peu philosophique au premier abord, n’affiche finalement pas en pleine lumière son véritable projet : à savoir celui d’établir une étroite corrélation entre le sentiment amoureux, conçu comme désir orienté vers le Bien et la philosophie, laquelle, rappelons-le, ne désigne pas autre chose que l’ « amour de la sagesse ».

 

   Il faut toutefois éviter de se hâter : avant d’entreprendre la conceptualisation de l’ « amour-philosophe », Platon, par la bouche de Socrate, éclaire d’abord l’amour tout court, l’amour au sens subjectif puisque incarné dans la chair même d’Éros. Héritier du patrimoine maternel, Éros, creusé par un manque fondamental, est constamment habité de la fièvre du désir, aspiration à combler ce manque, à éteindre cette soif perpétuelle, mais tout en même temps héritier du patrimoine paternel, ce désir sans cesse sollicité ne saurait pourtant se perdre dans les directions les plus anarchiques : il est, au contraire, aspiré par le Bien, le Beau, le Vrai (en un mot, le « Kalokagathon » ), horizons lumineux éclairant le chemin d’Éros. Il faut dire qu’Éros n’est pas seulement « désir », il est « amour », i.e. tension vers les valeurs sus-citées, constitutives d’un bonheur véritable.

 

   Mais Éros n’est pas seulement Éros, ici, il est aussi Socrate. De même que de nombreux portraitistes ont succombé à la tentation de glisser leurs propres traits sous le visage de leur modèle, tel Léonard de Vinci se peignant en filigrane à travers Mona Lisa, Socrate ne résiste pas à la tentation de se peindre lui-même à travers le portrait d’Éros. Ce clochard céleste, cet infatigable pèlerin de sagesse, indigent en apparence, déambulant sans cesse dans les rues d’Athènes, mais brûlant du feu de la Vérité, insatiable de Beau et de Bien, qui donc l’incarne mieux que Socrate lui-même ?

 

 



08/04/2021
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