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Leçon 1 : reprise. Le fait brut de l'inhumanité. Primo Levi. (Cliquez sur le lien !)

   Et c’est reparti pour notre Spé … Dans la bonne humeur, quoique le sujet que je m’apprête à traiter avec vous ne soit pas vraiment plaisant.

   Compte tenu de la situation, j’ai, en effet, décidé de modifier à la marge, le plan du cours autour de « L’humanité en question ». Plutôt que de mixer présentiel et distanciel sur la question des « enfants sauvages », je garde ce chapitre pour nos retrouvailles, si je puis dire, je vais prolonger les deux exposés de qualité (les trois ?, mais je n’ai pas entendu celui de Maëla autour de Primo Levi) traitant de l’entreprise de déshumanisation conduite par le régime politique nazi.

 

Voici le plan modifié :

 

Deuxième thème semestriel : « l’humanité en question ».

 

V/ « L ’homme et l’inhumain ». Le fait brut de l’inhumanité.

V-1/ Fiche de lecture autour de Si c’est un homme de Primo Levi, 1947.

V-2/ « Est-il vraiment sensé de qualifier d’inhumaines certaines actions des… hommes ? ». « L’homme peut-il produire de l’inhumain ? »

Réflexion organisée.

 

VI/ « Eros ou Thanatos ». La violence et l’inhumanité inscrites dans la nature humaine ou une perversion de sa culture ?

Support : Malaise dans la civilisation, Sigmund Freud, 1929

   « L’homme naturellement bon … » comme le dirait Rousseau ou « naturellement mauvais « ?  La pulsion d’agressivité, « thanatos » face au rempart civilisationnel.

 

VII/ « L’enfant sauvage : humain, infra-humain, animal ou monstre ? ». L’humain : « toujours-déjà-là » ou à construire ?

Support : Les enfants sauvages : mythe et réalité de Lucien Malson, 1964, Coll 10/18

VII-1/ Un autre visage de l’être humain… l’enfant sauvage … feral child.

   Une rapide histoire de la question des enfants sauvages… L’intérêt accru du Positivisme du XIX° siècle pour la question + courte émission.

VII-2/ Travaux dirigés : étude comparative de trois cas d’enfants sauvages : Victor de l’Aveyron, Kaspar Hauser et Amala et Kamala, les « sœurs-louves ». Le problème de l’éducation, la sensorialité, le langage, le miroir, l’intelligence, la morale. L’enfant sauvage : un animal, un petit Robinson, un fou ou … une figure inédite de l’humanité ?

VII-3/ Bilan : un peu d’anthropologie : « L’homme, un être culturel par nature », Edgar Morin. Les potentialités exogènes caractéristiques de l’espèce humaine : la liberté spatio-temporelle de la conscience, la pensée de la pure chose, l’exigence de règles, l’élan oblatif …

 

VIII/ « Réflexions sur l’éducation ».

Support : Emmanuel Kant, Réflexions sur l’éducation, 1855.

VIII-1/ « L’homme n’est éduqué que par des hommes ».

VIII-2/  « Comment cultiver la liberté par la contrainte ? »

 

IX/ Le Transhumanisme :

Émission : Luc Ferry et Raphaël Enthoven.

 

X/ Pour une victoire de l’humain sur les tentations de l’infra-humain et du supra-humain.

Supports : œuvres d’Emmanuel Kant : Anthropologie et l’article « Was ist Aufklärung ? »

X-1/ Le « Je », fonction de l’entendement permet la synthèse du sujet. La constitution du Moi comme « personne » douée d’auto-nomie (auto-nomos).

Appui : Anthropologie d’un point de vue pragmatique de Kant.

X-2/ « Sapere Aude ! », « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! », la devise des Lumières au service de l’affirmation du Moi.

Appui : « Réponse à la question : qu’est-ce que les lumières (« Was ist Aufklärung ? ») » de Kant.

 

V/ « L ’homme et l’inhumain ». Le fait brut de l’inhumanité.

 

V-1/ Fiche de lecture autour de Si c’est un homme de Primo Levi, 1947.

   Récit de rescapés des camps nazis, cette œuvre appartient au genre de la « littérature concentrationnaire ». Tous les faits qui y sont relatés sont véridiques. L’auteur y raconte son arrestation (il a alors 24 ans), sa déportation et sa vie dans le camp de Monowitz (Auschwitz III), à partie de décembre 1943 jusqu’en janvier 1945.

   Cependant, Si c’est un homme veut être avant tout un témoignage : ce n’est pas sa vie personnelle que raconte Primo Levi, c’est celle d’un déporté parmi d’autres déportés. Il est à la fois victime et observateur, aidé en cela, par sa formation scientifique de chimiste qui l’aide, à la fois, à jeter un regard aussi objectif possible sur la situation et à envisager le Lager (le camp de concentration) comme un lieu d’expérimentation de l’humanité et de ses limites.

 

Emission : Primo Levi raconte Auschwitz en 1972 : 

 

                                                                  Primo Levi et Auschwitz

 

I - Résumé :

 

 

   Après avoir donné le ton de son récit en Préface : « une étude dépassionnée de l’âme humaine », Primo Levi le fait débuter le 13 décembre 1943, date de son arrestation et de celle de ses amis qui s’étaient engagés dans la résistance contre le fascisme et le nazisme. D’abord envoyé au camp de Fossoli, le narrateur est déporté à Auschwitz, le 22 février 1944, avec 600 autres Juifs. Il relate alors la nuit du 21 au 22 février. Les Juifs qui vont être déportés se sentent condamnés à mort et les femmes célèbrent le deuil suivant le rituel traditionnel. Lui-même ressent pour la première fois son appartenance à un peuple sans patrie, toujours exilé. La déportation est vécue comme une nouvelle version de l’Exode des Hébreux raconté dan immédiatement engloutis par las la Bible.

   « Wieviel Stück ? », « Combien de pièces ? » : la question de l’officier allemand au moment de l’embarquement des prisonniers leur indique le sort qui les attend : ils ne sont déjà plus des personnes, mais des choses, des « pièces » que l’on transporte dans des wagons de marchandises. A l’arrivée au camp, femmes, enfants et vieillards sont immédiatement engloutis par la nuit, conduits vers les chambres à gaz. Ceux qui restent ne sont plus que des morts-vivants et l’univers concentrationnaire a tous les traits de l’Enfer. Toutefois la solennité tragique et presque mythologique de cette arrivée au camp est brisée par l’initiative d’un soldat nazi qui s’intéresse aux montres et à l’argent des arrivants, ce qui rappelle que cet enfer est, avant tout, purement humain.

   Le chapitre suivant est dédié au récit de la première journée passée à Auschwitz et de ce que subissent les détenus : le froid, la soif, l’humiliation. On  leur ôte leurs vêtements et leurs affaires personnelles, on les tond, on leur tatoue un numéro sur le bras. Le camp est un monde impitoyable dont la règle fondamentale est : « Ici, il n’y a pas de pourquoi ».

   Attardons-nous sur l’inscription du portique qui signale l’entrée du camp d’Auschwitz : « Arbeit macht frei », « Le travail rend libre ». Un parfait exemple de la perversion du langage opérée par le nazisme, puisque le travail, dans le Lager n’a d’autre but que la déshumanisation et l’épuisement des forces vitales … il n’est qu’une formule de l’une des plus terribles formes d’esclavage que l’on puisse concevoir. Le seul critère qui tient ici le détenu sur le seuil fragile de la vie est : peut-il encore travailler ? C’est alors la rencontre avec Schlome, un jeune Juif polonais. « Sur le seuil de la maison des morts » jaillit alors une lueur d’humanité. Le jeune Schlome manifeste sa compassion et le narrateur en éprouve « presque de la joie ».

   Dans le troisième chapitre, le récit revient en arrière et nous ramène quelques jours après l’arrivée des déportés. L’initiation dont il s’agit est double : c’est d’abord l’apprentissage de la vie au Lager, la première nuit dans le Block, le réveil, la distribution du pain. Mais c’est aussi la leçon qu’un détenu plus ancien donne au narrateur qui a tendance à se laisser aller : il faut se laver, lui dit Steinlauf, cirer ses souliers et se tenir droit, même si c’est en pure perte, pour résister à la déshumanisation ambiante et ne pas devenir une bête.

   Au Lager, la multiplicité des langues – les déportés viennent de tous les coins d’Europe – est telle que la communication est impossible. C’est ce que symbolise le motif biblique de la tour de Babel. Les véritables paroles disparaissent : il n’y a plus que des ordres, des menaces, comme dans le monde animal. De plus, ces mots hurlés sont incompréhensibles, surtout pour ceux qui ne connaissent pas l’allemand. Ainsi, le matricule du narrateur, 174517, se dit Hundert Vierundsiebzsig Fünf Hundert Siebzehn, et il doit le reconnaître immédiatement sous peine d’être frappé ou même tué.

   Steinlauf donne au narrateur une belle leçon d’humanité. Bien qu’étant un homme simple, il lui enseigne la façon de résister à cette machine à fabriquer des bêtes, qu’est le Lager. C’est un soldat, et pour lui, la discipline personnelle, l’hygiène, sont les seuls moyens de rester un homme. Il prouve qu’il est bien resté un homme puisqu’il est encore capable de se soucier d’un autre, ce qui n’est plus le cas de la grande majorité des détenus.

   Dans un nouveau chapitre, le narrateur, ayant été blessé au pied pendant le travail, est envoyé au K.B., au Krankenbau (l’infirmerie), où il subit des visites médicales aussi sommaires qu’humiliantes. Un infirmier polonais lui prédit une mort proche. Il se retrouve au Schonungblock (baraque de repos) où il reste vingt jours. C’est là que d’autres détenus lui parlent des chambres à gaz, des « sélections ». Le soir même, deux SS viennent trier les malades, et l’un des compagnons du narrateur est « sélectionné ». Chacun comprend qu’il ne reviendra pas. Au Block 23 (la baraque de repos), l’infirmier polonais montre à Primo Levi qu’il le considère ni plus ni moins que comme un corps à usage éventuel des étudiants en médecine. C’est « l’affront le plus atroce » que le narrateur ait subi dans sa vie : non seulement on lui refuse la qualité d’homme, mais il n’a même plus le statut de vivant. Il est totalement dépossédé de son propre corps.

   Primo Levi développe une première analyse du Lager : il ne s’agit pas d’autre chose que d’une « folie géométrique », i.e. un monde où tout est mathématiquement calculé pour faire mourir des hommes, un mixte de barbarie primaire et de sophistication. Pour preuve, cette habitude d’accompagner le départ au travail et le retour des détenus d’une musique d’orchestre. On peut être un tueur froid et sans scrupule et tout-à-la-fois un grand sentimental, comme Josef Kramer, le commandant de Birkenau, qui, après avoir consacré sa journée à l’extermination des Juifs, pleurait le soir en écoutant du Schuman.

   Dans le cinquième chapitre, le narrateur raconte comment, après son départ du K.B., il a la « chance » d’être envoyé dans le Block où se trouve son ami Alberto, dont il fait le portrait : un homme exceptionnel qui sait s’adapter pour survivre sans écraser les autres. Il est, aux yeux de Primo Levi, le symbole d’une humanité préservée dans un  monde où tout est fait pour la détruire.

   Suit dans un chapitre suivant, le récit d’une journée de travail parmi d’autres. Les détenus doivent décharger un cylindre de fonte pesant plusieurs tonnes. Pour pouvoir le faire, ils doivent déplacer des traverses de quatre-vingts kilos. Le narrateur a la chance de faire équipe avec Resnyk, son compagnon de lit, qui s’arrange pour le ménager le plus possible. Les tâches auxquelles les détenus sont employés sont à la fois absurdes et impossibles. À ces hommes déjà affaiblis par la malnutrition et les mauvais traitements, on ordonne de déplacer des charges qu’ils ne peuvent soulever, d’autant moins, d’ailleurs à l’aide d’instruments rudimentaires et inadaptés. Ils sont moins des esclaves que des bêtes de somme, car ils n’ont besoin d’aucun savoir-faire. Le but du travail n’est manifestement pas la rentabilité, mais bien la destruction du travailleur.

   Le chapitre sixième s’ouvre sur « une bonne journée », comme la baptise non sans ironie le narrateur : le soleil brille pour la première fois. Qu’est-ce qu’une bonne journée à Auschwitz ? C’est d’abord, en effet, le soleil qui brille pour la première fois. Comme les détenus n’ont plus froid, ils ressentent d’autant plus la faim, au point qu’ils sont fascinés par une benne actionnée par une drague et qui semble manger la terre. Elle leur apparaît comme une sorte d’animal préhistorique qui se nourrirait de la terre. Comme c’est « une bonne journée », ils ont droit à un supplément de soupe volé par l’un d’entre eux, et se sentent à peu près rassasiés. Alors ils peuvent être, non pas … heureux, mais « malheureux à la manière des hommes libres ».

   C’est ici aussi le lieu de la présentation de la Buna, cette usine de produits chimiques pour laquelle travaillent Primo Levi et les détenus choisis. Il s’agit d’une véritable ville, peuplée de machines et d’esclaves. Entreprise démente, la Buna témoigne à la fois de la folie des grandeurs et de l’absurdité du régime nazi : des milliers d’hommes sont sacrifiés à la construction d’une usine qui ne produira jamais rien.

   « En deçà du bien et du mal », allusion au livre de Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, ouvre ce huitième chapitre. Le narrateur décrit ici les vols et trafics auxquels se livrent les prisonniers pour tenter de survivre. Il existe dans le camp, une Bourse où tout s’échange, et certains vont jusqu’à donner leur chemise ou leurs dents en or en échange de rations de pain. D’autres, notamment les rares Juifs grecs qui ont survécu, sont devenus de véritables commerçants professionnels. Le trafic se fait aussi avec les « civils » (les non-détenus) qui travaillent à la Buna. L’auteur termine son chapitre en adressant une question au lecteur : les catégories du bien et du mal peuvent avoir encore un sens dans un tel univers ? Nous serions peut-être tentés de porter un jugement moral sévère sur ces prisonniers qui, loin de s’entraider, essaient de profiter de la faiblesse des autres. Mais l’auteur nous prend à parti et nous demande de nous interroger : peut-on appliquer à la vie au Lager des catégories morales telles que le « bien » et le « mal », le « juste » et l’ « injuste » ? Ont-elles encore un sens dans un tel univers.

   Nous arrivons au centre du livre, avec le chapitre neuvième, qui nous montre une humanité divisée en deux catégories selon une loi valable, certainement dans tout groupe humain, mais particulièrement visible dans l’univers du Lager : les « élus » (ou les « rescapés ») et les « damnés » (ou les « naufragés). Le narrateur décrit d’abord ceux qui ont été totalement engloutis, et que l’on appelait dans le jargon des camps les « musulmans » ; ils ne font pas l’objet d’histoires particulières, car ils forment une masse anonyme. Puis il trace le portrait de quelques privilégiés (les Prominenten) qui, chacun à sa manière ont su s’adapter pour survivre. Contrairement aux musulmans, ils ont une identité et une histoire individuelle, mais ils restent, néanmoins, un produit de l’univers concentrationnaire.

   Pour l’auteur, la vie à l’intérieur du Lager est comparable à une expérience qui permettrait de distinguer l’inné de l’acquis dans le comportement humain. Elle permet donc de mieux connaître la nature humaine, et de mettre en évidence des lois générales qui existent dans n’importe quelle société, mais de manière dissimulée. Ainsi, tout groupe humain tend à se diviser en deux catégories, les « élus » et les « damnés ». Mais au Lager, ces distinctions deviennent cruciales, puisque c’est de vie ou de mort dont il est question.

   Chapitre dix. Le narrateur et son ami Alberto sont recrutés pour faire partie d’un Kommando de chimie. Ils doivent cependant passer un examen. Le narrateur raconte alors son face-à-face avec le Doktor Ingénieur Pannwitz, l’Allemand qui l’interroge, et il analyse tout particulièrement la signification du regard que cet homme pose sur lui. Même si l’examen se réalise plutôt bien, la situation reste profondément humiliante. Encore une fois, Primo Levi ne se sent pas regardé comme un homme, mais comme un pur instrument de travail éventuel.

  Ce chapitre qui suit, évoque un moment lumineux dans l’univers sombre du camp. Jean, un jeune Juif alsacien, choisit le narrateur pour aller chercher la marmite de soupe avec lui. C’est l‘occasion d’une promenade et surtout d’une discussion amicale entre les deux hommes. Comme Jean a envie d’apprendre l’italien, le narrateur entreprend de lui réciter et de lui traduire en français un passage de l’Enfer de Dante (dans la Divine Comédie), dans lequel Ulysse raconte son dernier voyage et sa mort : « Le chant d’Ulysse ». Cette récitation est source de nombreuses émotions et de plusieurs révélations, dont celle du pouvoir de la poésie.  Le poème écrit par Dante au XVI°, semble évoquer directement la condition des déportés et parler de leur  souffrance. Le narrateur a tout  à coup le sentiment d’entendre la « voix de Dieu » et de comprendre le sens de leur présence au Lager. Mais il ne nous dit pas quel est ce sens.

   Le héros homérique (Ulysse) que l’on retrouve dans le poème de Dante est à la fois l’exilé puni par Dieu et l’homme audacieux, prêt à tout entreprendre pour satisfaire sa curiosité. Il apparaît comme le symbole du peuple juif et le Dieu qui l’a condamné est un Dieu injuste. Le narrateur semble s’identifier totalement à lui.

   Août 1944 : mois sur lequel s’ouvre ce douzième chapitre. Le narrateur et ses compagnons sont désormais des « anciens ». La situation est en train de changer : les détenus entendent parler du débarquement de Normandie, de l’offensive russe et de l’attentat contre Hitler ; le camp est bombardé, et les conditions de détention deviennent encore plus dures, si tant est qu’elles le puissent.

   C’est alors que le narrateur rencontre Lorenzo, un maçon italien travaillant à la Buna, qui l’aide à survivre pendant six mois en lui procurant du pai et de la soupe. Mais c’est surtout un réconfort moral que Lorenzo lui apporte, en lui laissant entrevoir d’autres possibilités que le monde la violence dans lequel ils vivent. Grâce à lui, l’auteur a pu préserver son humanité.

   Pour les détenus, l’Histoire s’est arrêtée : isolés, sans nouvelles du monde, le passé et l’avenir n’existent plus pour eux. Pourtant, au cours de l’été 1944, l’Histoire semble reprendre son cours, à travers les rumeurs concernant les évènements extérieurs et les bombardements annonciateurs de la fin de la guerre.

   Octobre 1944, c’est sur ce mois que s’ouvre le treizième chapitre. C’est d’abord l’annonce du retour de l’hiver, i.e. pour les détenus l’annonce de la souffrance et de la mort. C’est aussi l’époque où s’est déroulé l’un des épisodes les plus sombres de la vie au Lager : une « sélection » générale, où les SS trient tous ceux qui sont considérés comme trop faibles pour travailler, afin de les envoyer dans les chambres à gaz. Le récit reste très sobre, mais à la fin du chapitre, le narrateur exprime son indignation en entendant le « vieux Kuhn » remercier Dieu de ne pas avoir été sélectionné. Cette prière résume ce que sont devenues les relations humaines au Lager : chacun en vient à souhaiter que ce soit un autre qui meurt.

   Chapitre 14 : Novembre est arrivé, et les détenus peinent sous la pluie et dans la boue. Kraus, déporté hongrois nouvellement arrivé, n’a pas réussi à s’adapter et les autres le redoutent car il travaille trop. Un jour où les détenus en rang par trois, rentrent au camp, le narrateur croise « le regard de l’homme Kraus ». Son émotion est telle qu’il invente pour ce détenu qu’il ne connaît pas un rêve où il le retrouve après la guerre, sain et sauf, et le reçoit chez lui en Italie. Mais ce moment d’émotion dure peu : le chapitre se termine sur des considérations cyniques et amères. Dans ce « regard » de Kraus, ressurgit pour le narrateur toute l’humanité engloutie dans le Lager et il se sent obligé de répondre à cet appel.

   L’hiver est arrivé. Le quinzième chapitre s’ouvre sur le pseudo-privilège dont semble profiter le narrateur : lui et deux de ses compagnons ont eu la chance d’être choisis pour travailler au laboratoire de la Buna. Toutefois, alors que la souffrance physique recule, la souffrance morale s’éveille, et c’est à ce moment-là que le narrateur commence à écrire ce qui deviendra beaucoup plus tard le récit de Si c’est un homme. Cette souffrance est accrue par le regard méprisant des jeunes Allemandes et Polonaises qui travaillent au Laboratoire, et semblent n’avoir aucune conscience de la condition de ces hommes.

   Dans la première partie du chapitre seize, le narrateur raconte comment, avec son ami Alberto, il réussit à se débrouiller pour survivre. Il semble fier de leur habileté. Pourtant, dans la deuxième partie, c’est la honte qui domine : les détenus doivent assister à la pendaison d’un des leurs qui a tenté d’organiser une mutinerie dans le camp. Avant de mourir, le condamné crie à ses compagnons : « Camarades, je suis le dernier ! », mais aucun d’eux ne réagit. Cette passivité face à un homme qui a essayé de résister leur fait sentir plus que tout à quel point ils sont déshumanisés. La phrase que prononce le condamné avant de mourir signifie certes qu’il est le seul survivant du groupe qui s’est révolté, mais elle veut surtout dire qu’il est le dernier des hommes, face à une masse passive qui ne réagit plus. Seuls, après avoir mangé à leur faim, le narrateur et Alberto sont en mesure de souffrir comme des hommes libres, i.e. d’éprouver de la honte. Ce sentiment ne peut pas exister dans les conditions quotidiennes de l’existence concentrationnaire où la pensée est entièrement absorbée par la survie immédiate.

   Le dix-septième et dernier chapitre de Si c’est un homme raconte les évènements intervenus à partir du 11 janvier 1945. Le narrateur qui a attrapé la scarlatine, se trouve à nouveau à l’infirmerie où il fait la connaissance de deux détenus français arrivés quelques jours plus tôt, Charles et Arthur. Comme les Russes approchent, les SS organisent l’évacuation du camp. Ils y abandonnent ceux qui sont incapables de marcher. Le récit devient une sorte de journal daté du 18 au 27 janvier. Les malades meurent en grand nombre. Cependant, dans le chaos ambiant, l’auteur et ses deux compagnons réussissent à se procurer de la nourriture, un poêle, et l’amitié qui les unit leur permet de survivre. Le 27 janvier 1945, l’Armée rouge pénètre dans le camp. Parce qu’ils doivent lutter, prendre des initiatives et non plus seulement obéir, l’espoir réapparaît. Contre toute attente, ces derniers compagnons vivent une « histoire », comme l’indique le titre du chapitre.

 

Exercice : Primo Levi dit de l'organisation du Lager, du Camp, qu'elle était une "folie géométrique". Rédigez un texte d'une dizaine de lignes autour de cette expression intéressante.

A me renvoyer via Outlook d'ici la fin de la semaine.

 

 

 

 



07/04/2021
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