Leçon 12 : Victor, Kaspar, Amala et Kamala : des conditions d'isolement différentes (Cliquez sur le lien !)
1/ Victor, Kaspar et les sœurs Amala et Kamala ont en commun d’avoir vécu leur enfance hors de la société. Leur isolement, cependant, a-t-il été de même nature ?
Avant de s’attarder sur les nombreuses caractéristiques communes aux enfants sauvages, aux « homines feri », pour reprendre l’expression du grand naturaliste (biologiste) des Lumières, Buffon (Georges louis Leclerc de …) [1707-1788], on peut, préalablement relever quelques différences significatives les concernant et d’abord des conditions d’isolement distinctes. Ainsi, trois catégories se dégagent :
- Les enfants reclus (C’est le cas de Kaspar, enfermé dans la cave d’une vague maison de campagne, non loin de Nuremberg, privé de tout contexte social, certes, mais aussi naturel jusqu’à l’âge de seize ans, n’ayant qu’une botte de paille et un petit cheval de bois pour tout mobilier.)
- Les enfants solitaires (C’est le cas de Victor de l’Aveyron qui a vécu isolé dans la forêt de Lacaune en Aveyron. S’il a peut-être croisé le chemin de certains animaux, il n’a jamais été pris sous leur coupe.)
- Les enfants animalisés (C’est le cas des sœurs Amala et Kamala, pour ne se référer qu’à nos trois cas d’étude, retrouvées, vraisemblablement dans la tanière d’une louve aux côtés de deux louveteaux et adoptant des comportements proches de ceux des loups.)
Sur cette base, on peut noter que l’un a reçu un embryon d’éducation - il ne sait pas parler, mais il sait écrire - (Kaspar), l’autre (Victor), aucune espèce d’éducation et les deux dernières (Amala et Kamala) ont subi, semble-t-il - je prends ces précautions, car le mythe de l’enfant-loup étant assez puissant dans de nombreuses civilisations, certaines thèses ont remis en cause la véracité du cas des filles-louves - l’influence de comportements animaliers.
Contre toute attente, on observe que le plus mal loti, est, vraisemblablement. Kaspar, qui a pourtant reçu un minimum éducatif. À la différence des autres qui sont enfermés dans une sorte d’innocence primitive, presque animale, - mais ce sera-là une question à examiner -, Kaspar est un être déchiré, enfoncé dans une solitude irrémédiable que l’on appelle la déréliction. Le seul avantage qu’il en retirera sera d’être chanté par le poète Verlaine qui en fera, d’une certaine manière un héros romantique.
Quelques remarques sur l’ « éducation », suscitées par l’observation de nos enfants sauvages :
1/ L’éducation ne revient pas seulement à solliciter quelques apprentissages disparates, sans cohérence aucune : savoir écrire avant de savoir marcher, par ex. (Kaspar) C’est un processus complexe qui intègre des apprentissages scolaires, sans doute, mais aussi un accompagnement affectif, une organisation des besoins primaires : savoir marcher, manger … Et cette phase de l’éducation de la prime enfance est extrêmement déterminante d’un point de vue psychologique, mais aussi physiologique. En témoignent certaines analyses de neuropsychologie contemporaine, comme celle de Cyrulnik. Si l’on admet l’hypothèse selon laquelle la structuration du cerveau obéit à un processus dynamique conduisant les neurones à « synaptiser », à frayer comme le disait Freud, entre eux, autrement dit à multiplier les points de connexion, la privation affective dont ont pu souffrir nombre d’enfants [- et pas seulement « sauvages ». On peut regarder du côté des orphelinats roumains, à l’époque de la République socialiste (de Roumanie), sous Ceausescu (1989) - orphelinats pleins à craquer, car les femmes étaient interdites d’avorter et contraintes de donner naissance à au moins cinq enfants - ] semble avoir un effet inhibiteur dans ce processus. L’absence de stimulation affective semble provoquer une lobotomie spontanée, i.e. un cloisonnement des couches cérébrales qui ne « frayent » pas ou peu, en l’occurrence entre le cerveau limbique, siège des émotions et le néocortex, siège de l’intelligence formelle. Incapable de gérer ses affects, ses émotions, l’enfant sauvage, par ex. paraît incapable de s’adapter ni à lui-même ni aux autres.
2/ « Apprendre, c’est désapprendre. » Chacun fait l’expérience que certains apprentissages, par ailleurs nécessaires, tendent à inhiber d’autres apprentissages. Ainsi les catégories grammaticales de la langue française ne favorisent pas l’apprentissage du chinois. La pédagogie contemporaine décrit ce processus de déconstruction/ reconstruction des savoirs premiers, des représentations pré-scolaires de l’apprenant. Chaque modification de ce savoir pré constitué constitue une violence pédagogique généralement salutaire que ne connaît pas l’enfant sauvage, prisonniers de quelques représentations frustes, solidifiées par l’absence de confrontation intellectuelle.
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