Philoforever

Leçon 19 : Le positivisme, ou la revanche des sciences sur la philosophie.(Cliquez sur le lien !)

IV-1-4/ Le positivisme, ou la revanche des sciences sur la philosophie. « Savoir pour pouvoir et pour pourvoir »,  Auguste comte. 

Texte d'appui : « La loi des trois états », texte extrait du Cours de philosophie Positive d’Auguste Comte. 

 

La « loi des trois états » d’Auguste Comte

 

Courte émission biographique sur Auguste Comte, père du "positivisme" : (Cliquez sur le lien !)

 

Auguste Comte

 

Thèse : le mythe et la religion ont eu leur temps, la philosophie a eu son temps, désormais, nous sommes dans le temps de la science (positive, empirique, ce qui est donné dans l’expérience). Comte propose même de revisiter notre calendrier grégorien (remplaçant le calendrier julien  depuis 1582), en remplaçant le nom des saints par les noms des grands découvreurs et des grands scientifiques. En somme, la science constitue l’expression la plus achevée de l’intelligence humaine (son état « adulte »),  ne voyant plus alors dans la philosophie que l’état « adolescent » (non encore fini, mature) de l’intelligence et ne voyant dans la mythologie, la religion et l’art que l’expression la plus infantile de l’intelligence, lorsqu’elle celle-ci n’est pas encore capable d’imposer des frontières entre le rationnel et l’irrationnel.

 

Auguste Comte.jpg

 

  D’une certaine façon, Auguste Comte [1798-1857] s’inspire de Hegel [1770-1831], le penseur de l’Histoire, penseur dominant à cette époque, en Europe. Pour Comte, « les idées gouvernent et bouleversent le monde », quand Hegel disait que : « La Raison gouverne le monde. », et c’est l’évolution de l’intelligence humaine qui commande le déroulement de l’Histoire. Comme Hegel, encore, Comte pense que nous ne pouvons connaître l’esprit humain qu’à travers les œuvres successives - œuvres de civilisation, œuvres de la pensée, œuvres artistiques, œuvres scientifiques … - que l’intelligence a tour à tour produites au cours de l’histoire. L’esprit ne saurait se connaître de l’intérieur (Comte rejette l’introspection, parce que le sujet connaissant s’y confond avec l’objet étudié, et que : « Nul ne peut se mettre à la fenêtre pour se voir passer dans la rue ! »). La vie spirituelle authentique n’est pas une vie intérieure ; c’est l’activité de la pensée, et singulièrement l’activité scientifique qui se déploie à travers le temps.

 

   L’esprit humain, dans son effort pour expliquer l’univers, passe successivement par trois états :

 

   1. L’état théologique ou « fictif » (l’« enfance de l’intelligence humaine »), explique les phénomènes naturels par l’action volontaire d’être surnaturels (par exemple la tempête sera expliquée par un caprice du dieu des vents, Éole). Cet état évolue du fétichisme au polythéisme, et du polythéisme au monothéisme. Il range sous cette rubrique, la mythologie, toutes formes de religions et l’art, d’une façon générale.  

 

   2. L’état métaphysique ou « abstrait » (l’« adolescence de l’intelligence humaine »), remplace les dieux par des entités abstraites, comme « l’horreur du vide », longtemps attribuée à la nature (depuis Aristote, le promoteur de cette thèse). On expliquera la tempête, par exemple, par la « vertu dynamique » de l’air. Cet état est, au fond aussi anthropomorphique que le premier : l’homme projette spontanément sa propre psychologie sur la nature. L’explication métaphysique a surtout pour Comte une importance historique comme critique et négation de l’explication théologique précédente. Il range sous cette rubrique, l’ensemble de la tradition philosophique, depuis les philosophes Présocratiques jusqu’à son époque. Même s’il admire encore le philosophe allemand Hegel, il entend bien le dépasser et rajouter à sa pensée, une consistance, une épaisseur scientifique. D’ailleurs Comte ne se dira pas « philosophe », mais « sociologue ». Il est, d’une certaine manière, le fondateur des sciences humaines.

 

   3. L’état positif ou « scientifique » (l’« état adulte de l’intelligence humaine »), est celui où l’esprit renonce à chercher les fins dernières et à répondre aux ultimes « pourquoi ». À la notion de cause (transposition abusive de notre expérience intérieure du vouloir sur la nature), il substitue la notion de loi. En bref, si la question du « pourquoi ? », question métaphysique et philosophique, par définition est trop prétentieuse et n’appelle aucune réponse scientifique fiable, on lui préférera désormais, la question : « Comment ? », certes plus modeste, mais appelant des réponses scientifiques fiables, quant à elles.  On se contentera  de décrire comment les faits se déroulent, de découvrir les lois (exprimables en langage mathématique) selon lesquelles les phénomènes s’enchaînent les uns aux autres. Une telle conception du savoir débouche directement sur la technique (le positivisme marque la fin de la vocation « théorique », « théorétique » des sciences conçues comme contemplation de l‘universel (Aristote). Celles-ci sont appelées désormais  à ne trouver de sens que dans la « pratique », dans leur entière dévotion à la technique). Comte, donne toute sa légitimité au projet de Descartes, de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». La connaissance des lois positives de la nature nous permet, en effet, lorsqu’un phénomène est donné, de prévoir le phénomène qui suivra et, éventuellement, de transformer  le second en agissant sur le premier : « Science, d’où prévoyance, d’où action », célèbre citation de Comte.

   Ajoutons que, pour Auguste Comte, la loi des trois états n’est pas seulement vraie pour l’histoire de notre espèce (phylogenèse) ; elle est aussi vraie pour le développement de chaque individu (ontogenèse). L’enfant, d’une certaine manière, donne des explications mythologiques, théologiques ; l’adolescent est métaphysicien, il « bâtit des châteaux en Espagne, il est « idéaliste » ; l’adulte parvient à une conception « positiviste », hélas, réaliste des choses. Ce réalisme du quotidien étant, d’ailleurs parfois un peu terne, l’adulte se prend parfois à faire revivre l’enfant ou l’adolescent en lui, à renouer avec l’art, la religion, le … rêve.    

 

   Au cours de l’histoire, toutes les sciences ne sont pas devenues « positives » à la même époque, mais dans un certain ordre de succession, qui correspond à la classification que voici : mathématiques, astronomie, physique, chimie, biologie et sociologie.

   Cet ordre correspond à l’ordre historique de l’apparition des sciences positives. Les mathématiques se constituent dès l’Antiquité en discipline positive ; l’astronomie découvre très tôt ses premières lois positives ; la physique attend le XVII° siècle avec Galilée et Newton, pour devenir scientifique ; le tour de la chimie vient au XVIII° siècle avec Lavoisier ; la biologie est une discipline positive à partir du XIX° siècle ; et Comte lui-même pense couronner l’édifice en créant la science positive des phénomènes sociaux, ou « sociologie », première des sciences humaines, avant la psychologie, la linguistique …   Des mathématiques à la sociologie, l’ordre est aussi celui du plus simple au plus complexe, du plus abstrait au plus concret et d’une proximité croissante par rapport à l’homme.

 

   Les sciences les plus complexes et les plus concrètes dépendent des sciences les plus abstraites. D’abord, les objets de ces sciences dépendent les uns des autres. Les êtres vivants sont soumis, non seulement aux lois particulières de la vie, mais aussi aux lois plus générales (physiques et chimiques) de tous les corps : un animal est soumis, comme la matière inerte aux lois de la pesanteur. De même, les méthodes d’une science supposent connues celles des sciences qui la précèdent dans la classification. Il faut être mathématicien pour faire de la physique ; et un biologiste doit avoir des connaissances en mathématiques, en physique et en chimie. Cependant, si les sciences les plus complexes dépendent des sciences les plus simples, on ne saurait les en déduire et les y réduire. Les phénomènes physico-chimiques conditionnent les phénomènes biologiques, mais la biologie est autre chose qu’une chimie organique. Comte affirme énergiquement que chaque étape de la classification introduit un domaine nouveau, irréductible aux précédents. Il s’oppose ainsi au matérialisme, qui est « l’explication du supérieur par l’inférieur ».

 

   La dernière des sciences, que Comte avait appelée tout d’abord « physique sociale » et pour laquelle il inventa ensuite le  nom de « sociologie », revêt une importance capitale. C’est dans cette ultime science que vont, en effet, se rejoindre le positivisme religieux, l’histoire de la connaissance et la politique positive. En outre, la création de la sociologie qui permet la « totalisation de l’expérience » comme aurait pu le dire Kant, permet de comprendre ce qu’est la philosophie elle-même.

 

   Avec la sociologie, la sixième science fondamentale, qui est à la fois la plus concrète et la plus complexe et dont l’objet est l’ « humanité » elle-même, Comte achève les conquêtes de l’esprit positif. Comme chaque science dépend de la précédente, le sociologue devra connaître l’essentiel de toutes les disciplines qui précèdent la sienne. Sa spécialisation propre se confond donc - à la différence de ce qui se passe pour les autres savants - avec la totalité du savoir. Autant dire que le sociologue n’est autre que le philosophe lui-même, « spécialiste des généralités », qui enveloppe d’un regard encyclopédique toute l’évolution de l’intelligence depuis l’état théologique jusqu’à l’état positif, dans toutes les disciplines de la connaissance.

 

   La sociologie positive est aussi appelée à devenir la « science de l’Humanité », et, à ce titre, elle est appelée à préparer l’union de tous les esprits, à achever l’œuvre d’unité que l’Eglise catholique avait partiellement accomplie au Moyen-Age, à rendre, en somme l’altruisme (concept fondé par Comte) universel et planétaire. Et pour que l’ordre social soit garanti de manière durable, il faut que la société positive ait, tout comme la société chrétienne du Moyen-Âge, son pouvoir temporel (les industriels et les banquiers) et son pouvoir spirituel (les savants, les sociologues, avec à leur tête … le pape positiviste … Auguste Comte lui-même.) Il existe encore des Églises positivistes (et un Catéchisme positiviste) au Brésil (notamment à Săo Paulo), dont le drapeau national porte sur lui, d’ailleurs, une formule d’Auguste Comte lui-même : « Ordem e Progresso », « Ordre et Progrès ».

 

Drapeau Brésil.jpg

 

   La religion positive remplace le Dieu des religions révélées par l’Humanité (l’ensemble des êtres humains qui ont été, qui sont et qui seront) elle-même, considérée comme le « Grand Être ». Cet Être dont nous faisons partie nous dépasse cependant par le génie de ses grands hommes, de ses savants, auxquels nous devons rendre un culte après leur mort. La religion de l’Humanité transpose donc - plus qu’elle ne les répudie- les idées et jusqu’au langage des croyances antérieures. Philosophe du Progrès, Comte est aussi le philosophe de l’ordre. Héritier de la Révolution, il est en même temps conservateur et admirateur de la belle unité des esprits qui régnait au Moyen-Age.

 



30/05/2021
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 105 autres membres