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Leçon 2 : L'inutile n'est pas nécessairement le négatif de l'utile. (Cliquez sur le lien !)

III-2-2-2/ Van Gogh : un remake de l’éternel reproche fait aux artistes, dans l’esprit des fameux « lits » de Platon ?

 

 

   L’œuvre de Van Gogh appartient à une époque qui a définitivement consommé le divorce entre la production artisanale et la création artistique, et pourtant « Les vieux souliers aux lacets » semble bien raviver ce vieux conflit entre l’artisan et l’artiste.

 

Le peintre imite des vieux souliers confectionnés par un artisan et ne lésine pas sur le réalisme qui accentue leur degré d’usure et donc, d’une certaine manière, d’usage.

Ces souliers ont sans doute appartenu à un ouvrier agricole ou à un pèlerin, foulant de son infatigable solitude la vaste étendue du monde.

 

   On se trouve, avec cette œuvre, une nouvelle fois, interrogés sur la valeur d’un art qui se contenterait de s’inspirer des ouvrages de l’artisan, un peu dans l’esprit du fameux « lit » de Platon.

 

   Comment justifier cette attitude réaliste considérant l’art comme copie ?

 

   Bien sûr, on peut trouver à la décharge de cette œuvre, bien des circonstances atténuantes : elle fixe ces souliers dans l’éternité de leur usage ; elle évoque sur un mode métonymique la peine et la souffrance de leur propriétaire ;  elle transfigure la banalité en chargeant de valeur symbolique un objet d’usage prosaïque …

 

Mais aussi et surtout, ce qu’elle donne à voir, ce qu’elle affiche, c’est l’inutilité flagrante de ces souliers, lesquels, aussi habilement travaillés soient-ils, ne pourront jamais être chaussés par personne.

 

   S’agit-il, une nouvelle fois, d’un désaveu de l’activité artistique, condamnée à rester le pâle reflet de l’activité artisanale, laissant quant à elle triompher son utilité ?

 

   L’inutilité des « Vieux souliers … » est trop flagrante, trop manifestement provocante pour être accidentelle : il semble bien, au contraire, qu’elle soit préméditée, intentionnelle .

 

   Invitant le spectateur au banquet de l’inutile, l’artiste le  convie à pénétrer dans un monde où les valeurs ne sont plus exactement celles du monde ordinaire, voire sont inversement proportionnel de celles du monde ordinaire : le laid y devient beau et l’utile y devient désespérément inutile.

 

   Bref, il l’invite à se décentrer, à se décaler, au moins le temps de la contemplation, par rapport à une vision fondamentalement utilitariste du monde et par là, élargit sa « visibilité » du réel. Paul Klee disait en ce sens, que « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ».

 



08/04/2021
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