Leçon 22 : Exemple d'un "protocole expérimental" : la découverte de la pression atmosphérique (Cliquez sur le lien !)
Un exemple de "protocole expérimental" avant l'heure :
la découverte de la "pression atmosphérique" (entre 1643 et 1647) par Galilée, Torricelli et Pascal.
Pourquoi ne pas utiliser un exemple contemporain pour illustrer la démarche scientifique contemporaine qui s'articule autour du protocole expérimental ? Parce qu'il serait certainement moins pittoresque et beaucoup plus compliqué.
On pourrait s'étonner d'affirmer que le principe du "protocole expérimental" est au cœur de la science actuelle, alors que l'exemple que l'on va exploiter en décrit un et date du ... XVII° siècle. C'est parce que, très souvent, les choses se font d'abord, et qu'on ne les pense et ne théorise qu'ensuite. Galilée, Torricelli, Pascal pratiquaient déjà une démarche expérimentale, mais sans en mesurer les conséquences sur la conception de la vérité. A partir de Claude Bernard [1813-1878] (Introduction à la médecine expérimentale), puis ensuite avec Gaston Bachelard [1884-1962] et enfin Karl Popper [1902-1994], on va tirer toutes les conséquences en matière de philosophie des sciences, de pratique scientifique et de redéfinition de la "vérité", de cette démarche expérimentale (Fait, hypothèse et expérience).
Voici donc l'exemple, à lire. On le commentera par la suite :
- Les recherches de Torricelli : 1°/ En 1643, des fontainiers de Florence observèrent le fait suivant : on avait fabriqué une pompe aspirante pour tirer l'eau d'une citerne. Tant que l'eau était à une certaine hauteur, elle était tirée en abondance ; mais, quand l'eau descendait à un certain niveau, la pompe ne travaillait plus. En fait, l'eau refusait de monter au delà de 18 brasses (soit 10,33 m) au-dessus du plan d'eau. Le fait parut d'autant plus étrange qu'il était admis depuis Aristote que la nature a horreur du vide. Comment alors cette horreur pouvait-elle cesser au delà d'une certaine hauteur ? 2°/ Galilée, consulté, ne sut pas expliquer la cause du phénomène, mais émit quelques remarques qui mirent son disciple Torricelli sur la voie et lui suggérèrent notamment d'opérer avec un liquide plus lourd que l'eau. C'est alors que Torricelli exécuta la fameuse expérience qui porte son nom : remplissant de mercure un tube fermé à une de ses extrémités et suffisamment long et le renversant, après l'avoir bouché avec le doigt, sur une cuve à mercure, il constate, en le débouchant, que le mercure descend à une brasse et un doigt (soit 76 cm) au-dessus du niveau de la cuve ; contrairement à l'opinion d'Aristote, il se produit au haut du tube un espace vide. Torricelli explique lui-même, dans une lettre du 11 juin 1644 à son ami Ricci, comment il interprète ce fait : « J'ai raisonné ainsi : si je trouvais une cause manifeste d'où dérive la résistance que l'on sent quand on veut faire le vide, il serait inutile de chercher à attribuer au vide un effet qui dérive d'une autre cause... Or nous vivons submergés au fond d'un océan d'air et nous savons par des expériences indubitables que l'air est pesant, et même que cet air épais qui est près de la surface de la terre pèse environ 1/400 du poids de l'eau. D'autre part, les auteurs qui ont parlé du crépuscule, ont observé que l'air visible et chargé de vapeur s'élève au-dessus de nous à près de 50 ou 54 milles... Sur la surface du liquide qui est dans le bassin [la cuve à mercure], pèse une quantité d'air qui a 50 milles de hauteur. Est-il étonnant que le vif-argent, qui n'a ni inclination ni répugnance pour le tube, y entre et s'y élève jusqu'à ce qu'il fasse équilibre au poids de l'air extérieur qui le pousse ? ». L'hypothèse explicative est ainsi posée : c'est la pression atmosphérique qui fait équilibre à la colonne de mercure, - et mathématiquement précisée le produit de la hauteur de l'atmosphère par la densité de l'air est égal à celui de la hauteur de la colonne de mercure par sa densité. 3°/ Torricelli s'efforça alors de la vérifier Il ne le put que partiellement : il plaça sur la cuve deux tubes : A et B, primitivement remplis de mercure et, bien que le tube B fût terminé par une grosse ampoule C, il constata que le mercure descendait dans les deux tubes au même niveau AB, « signe presque certain, dit-il, que la force [qui tenait la colonne de mercure suspendue) n'est pas intérieure, car il y aurait eu une force d'attraction plus grande dans le tube B où il y avait plus de matière raréfiée [dans l'ampoule C] que dans le très petit espace A ». En outre, ayant recouvert d'eau la surface du mercure et ayant soulevé le tube B, il vit, quand l'extrémité inférieure du tube arrivait à l'eau, « le vif-argent descendre du tube et l'eau le remplir avec une impétuosité effrayante jusqu'en C », ce qui montrait que c'était bien le vide qui existait en C.
- Les expériences de Pascal : Ces expériences furent reprises un peu plus tard et poussées plus loin par Pascal 1°/ En octobre 1646, à Rouen, son père Étienne Pascal reçut la visite d'un savant qui l'entretint de la récente expérience faite en Italie sur l'horreur du vide. Blaise Pascal qui ignorait l'explication du phénomène proposée par Torricelli, voulut répéter l'expérience et même en effectuer de nouvelles : il le fit avec toutes sortes de liquides, eau, huile, vin, etc., et avec des tubes de toutes longueurs et de toutes dimensions. Il publie en octobre 1647 une relation de ces expériences où il conclut : a. que la nature a réellement horreur du vide ; b. que la force de cette horreur est cependant limitée et qu'il existe, en certains cas, un vide véritable. 2°/ Deux faits vinrent l'inciter à poursuivre ses recherches. D'une part, il eut connaissance, au mois de novembre, de l'idée de Torricelli d'après laquelle l'ascension du liquide dans le tube avait pour cause la pesanteur de l'air : toutefois, Pascal remarqua que ce n'était là qu'une explication possible, une hypothèse, tant que l'expérience n'avait pas établi 1'impossibilité de toute autre explication. 3°/ Mais précisément il avait eu d'autre part, dès le mois de septembre, un entretien avec Descartes, qui semble bien lui avoir suggéré l'expérience à faire. De fait, dès le 15 novembre, il écrit à son beau-frère Périer, conseiller à la Cour des aides de Clermont-Ferrand, pour lui demander d'effectuer sur le Puy-de-Dôme une expérience capable de décider si les effets qu'on attribue à l'horreur du vide, doivent être véritablement attribués à cette horreur ou s'ils doivent l’être à la pesanteur et pression de l'air. Déjà Pascal avait réalisé en sa présence l'expérience dite « du vide dans le vide » : ayant placé le tube et la cuve à mercure dans un autre tube où il avait fait le vide, il avait constaté que, n'étant plus contrebalancé et pressé par la pesanteur de la masse entière de l'air, le mercure se tenait dans le tube intérieur au même niveau que dans la cuve et que, si l'on réintroduisait l'air dans le tube extérieur, la hauteur ou suspension du vif-argent augmentait ou diminuait à mesure que la pression de l'air augmentait ou diminuait. Cette expérience ne lui avait pas paru encore concluante. Mais, ajoutait-il, si l'on pouvait faire l'expérience ordinaire du vide plusieurs fois en un même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt en bas et tantôt au sommet d'une montagne, et si l'on pouvait constater que la hauteur du vif-argent soit moindre en haut qu'au bas de la montagnes, alors l'expérience serait décisive, « puisqu'il est bien certain qu'il y a beaucoup plus d'air qui pèse sur le pied de la montagne que non pas sur son sommet, au lieu qu'on ne saurait dire que la nature abhorre le vide au pied de la montagne plus que sur son sommet ». Périer ne fit l'expérience que le 19 septembre 1648. Elle réussit pleinement : mesurée au point le plus bas de la ville, la hauteur de la colonne mercurielle se trouva être de 26 pouces 3 lignes 1/2 (71,2 cm), tandis qu'au sommet du Puy-de-Dôme, plus élevé d'environ 1 000 m, elle fut trouvée de 23 pouces 2 lignes (62,7 cm). A mi-hauteur, elle remonta à 25 pouces (67,7 cm). Pascal répéta lui-même cette expérience à Paris, au bas et au haut de la tour Saint-Jacques et dans une maison particulière haute de 90 marchés. Il obtint des résultats analogues et il conclut de là : « que la nature n'a aucune répugnance pour le vide ; que tous les effets qu'on a attribués à cette horreur procèdent de la pesanteur et pression de l'air ; qu'elle en est la seule et véritable cause. »
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