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Leçon 3 : L’hystérie : un enjeu médical ? Peut-être ! Un enjeu idéologique, assurément ! (Cliquez sur le lien !)

 Si, à l’heure actuelle, nous ne rencontrons pas trop d’obstacles intellectuels à nous représenter une influence active, voire pathogène (provoquant des pathologies, des maladies) de l’esprit (le psychisme) sur le corps (le somatique) - on parle d’ailleurs volontiers de maladie(s) psychosomatique(s), en revanche dans le contexte qui est celui de Josef Breuer, du jeune Freud, d’Anna O (années 1880 et suivantes), la perspective d’une interaction psycho-organique (entre l'esprit et le corps), psychosomatique reste de l’ordre de la pure supposition, de la pure hypothèse.

 

   Comment l’esprit pourrait-il perturber gravement le corps ?

 

   La tradition « dualiste » occidentale (l’âme et le corps sont deux substances séparées, l’âme est immortelle, le corps est mortel ...) n’aide pas l’opinion à admettre cette proximité, plus encore, cette influence mutuelle que le cas des jeunes filles hystériques donne à voir de manière incontournable. Anna O., en effet, et les patientes qui l’ont précédée, présentent des troubles somatiques manifestes, voire spectaculaires (cécité, contractions violentes, troubles cardiaques ...)  qui ne s’expliquent pas « organiquement » : aucune lésion, aucune pathologie fonctionnelle.

 

   Médicalement, il faut alors se rabattre sur cette conjecture : si le corps ne peut expliquer le corps, si le corps ne peut guérir le corps, alors il faut suggérer l’influence active de l’esprit, du psychisme sur ce même corps.

 

 

   Les motifs psychologiques sont alors à inscrire dans l’étiologie (médicale), i.e. la science des causes (des maladies).

 

   Et les médecins contemporains de Breuer et de Freud ne sont pas prêts à franchir ce pas, d’où leur indifférence hostile à l’égard des malades hystériques et des rares thérapeutes qui osent les prendre en charge (J.M. Charcot, Breuer, S. Freud ...). Cette hostilité  s’alimente aussi d’ailleurs sur les braises de la réputation sulfureuse de cette maladie très ancienne déjà connue d’Hippocrate, pour ne pas remonter plus avant.

 

Un peu d'histoire : 

 

Hystérie : « hystera », « hysterèsis »... en grec.

 

   L'hystérie est une pathologie connue depuis l'Antiquité.  Étymologiquement, l'hystérie vient du grec « hustera »,  matrice, « hysterèsis », utérus. L'idée alors prédominante voulait que l'utérus était un organisme vivant qui avait une autonomie et donc pouvait se déplacer. Les troubles sont alors rapportés à la migration de cet utérus. Ces troubles étaient : la suffocation (l'utérus enfle ou les règles se putréfient) et les convulsions. On comprend aussi que cette maladie est exclusivement réservée aux femmes.

 

   Elle est aux femmes ce que la déraison est aux hommes. Autrement dit, les comportements désordonnés constatés chez la femme ont pour origine son corps, tandis que les comportements désordonnés masculins sont liés à l’altération, au dérèglement de sa raison, de son âme. Toujours ce fameux essentialisme grec encore présent dans la maïeutique de Socrate, qui pense la femme par rapport à son corps et l’homme par rapport à son âme.  Hippocrate considère aussi que les troubles sont liés au déplacement de l'utérus et lui attribue comme origine le manque de rapports sexuels. La maladie d'amour avec pour seul remède : l'amour qu'il faut consommer ! Mais attention, pas trop non plus sinon l'orifice vaginal s'agrandirait et laisserait passer plus de sang que nécessaire pendant les règles.

 

   Au Moyen Age, l'hystérie se retrouve du côté des ferveurs mystiques. Elle sort donc du domaine de la médecine pour se fondre dans le religieux. Pour Saint-Augustin, sexualité et péché sont associés donc on ne peut pas être hystérique si on est chaste ! Arrive donc l'idée de sorcellerie et de la chasse aux sorcières qui entraîne sur le bûcher les personnes "possédées" ! Nombre d'hystériques à l'époque ont dû connaître le feu.

 

   Au XVII° siècle, les Précieuses Ridicules remettront l’hystérie à la mode, en cultivant l’hypersensibilité féminine : la pamoison calculée, la syncope…

 

   Enfin, au XIX° siècle, ce n’est pas d’abord le mot qui va revenir, mais la chose : un nombre conséquent de jeunes filles se retrouvent dans le service du professeur Charcot à la Salpêtrière, présentant les mêmes symptômes. On croit au retour d’une maladie spécifiquement féminine. Mais on ne croit plus longtemps à sa cause endogène. Exit l’idée d’une maladie  strictement liée à une prétendue nature féminine comme le stipulait la conception essentialiste d’Hippocrate. On reconnaît peu à peu une cause exogène, externe, sociale à la maladie : un certain contexte puritain, victorien … tenant les jeunes filles dans l’ignorance et le secret strictement préservé de la sexualité ne serait vraisemblablement « étranger » à la prolifération considérable de cette maladie à cette époque, une maladie fonctionnant comme un refuge à l’insu même des patientes atteintes. C’est d’ailleurs aussi à cette époque que l’on voudra bien reconnaître quelques rares cas d’hystérie masculine.

 

   L'hystérie disparaît à la fin du XX° siècle comme entité nosographique, comme maladie. Les troubles qui étaient regroupés sous le terme d'hystérie sont désormais rangés sous l’expression de troubles somatoformes associés à d’autres pathologies :

Ex. : les troubles de somatisation (ensemble de plaintes somatiques multiples et récurrentes comprenant notamment des douleurs, des symptômes gastro-intestinaux, sexuels, génitaux...)

 



19/03/2020
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