Leçon 3 : Protagoras et la parole politique (Cliquez sur le lien !)
Bonjour à toutes et à tous,
"Etre en vacances, c'est n'avoir rien à faire et avoir toute la journée pour le faire ! " dit une boutade bien connue … voici une bien douce musique qui s'achève cette semaine, avec notre reprise en distanciel.
J'espère que les vacances auront été apaisées et ressourçantes pour toutes et tous !
Voici la suite du programme ... Deux nouvelles leçons sur les Sophistes.
Concernant le DS, il est en cours de correction et je déposerai bientôt les notes sur Ecole Directe. Quant au corrigé, je le diffuserai via Philoforever comme les "leçons" d'HLP.
Bon courage et à bientôt en présentiel !
I/ Protagoras et la parole politique :
Protagoras est né à Abdère, vers 492, i.e. au début du V° siècle av. J.C. (Socrate : 470 av. J.C.). On sait qu’il a été l’ami du grand leader politique de l’époque : Périclès (494-429) et qu’il affectionne les débuts de la démocratie athénienne. Le succès des sophistes résulte, en outre de la chute des tyrannies et de la naissance de la démocratie. En effet, le pouvoir n’appartenant plus à un seul homme, il faut alors chercher le consensus à l’Assemblée. Le temps de parole étant distribué de manière égalitaire entre les orateurs, considérés eux-mêmes comme étant égaux, alors la maîtrise du discours devient essentielle. Sous la démocratie va toutefois poindre une aristocratie de la parole, puisque le pouvoir appartiendra à ceux qui sont les plus talentueux en matière de maniement du verbe. Il va être traduit en justice pour impiété, pour avoir inventé, en quelque sorte, ce que l’on nomme aujourd’hui l’agnosticisme :
« Au sujet des dieux, je n’ai aucun savoir, ni qu’ils sont, ni qu’ils ne sont pas, ni quelle est leur manifestation. Nombreux sont, en effet les empêchements à le savoir : leur caractère secret et le fait que la vie de l’homme est courte ».
Protagoras est dénoncé et condamné dans un procès pour impiété, mais l’on se borne seulement à brûler ses ouvrages sur la place publique. Il est l’initiateur du mouvement sophistique et inaugure les leçons publiques payées. Ce qu’il veut par son enseignement, c’est former les futurs citoyens, et de ce fait, il revendique hautement son titre de sophiste. Il est aussi un professeur itinérant, même s’il fait plusieurs séjours à Athènes. Il meurt vers -422, à 70 ans, après avoir exercé pendant quarante années sa profession.
La duplicité de la parole :
Sa première affirmation est la suivante : « Sur toute chose il y a deux discours qui se contredisent l’un l’autre », une thèse et une antithèse possible, dirait-on aujourd’hui, et aucun point de vue n’est meilleur que l’autre. C’est le principe de l’antilogie. Le contexte favorise ce relativisme de Protagoras : du point de vue religieux, le polythéisme dominant interdit une doctrine religieuse homogène. D’autre part, les sophistes sont des voyageurs : de cité en cité, ils sont conduits à se décentrer continuellement. En ce sens, la sophistique reste encore proche de la tragédie antique : Eschyle, Sophocle, Euripide, laquelle met en scène des héros déchirés dans des contradictions. Ex. : Œdipe qui tue son père, Laïos et épouse sa mère Jocaste. La pratique de la démocratie, en outre, suppose la discussion et le débat contradictoire. Le pouvoir en place est tenu de reconnaître la légitimité d’un discours contraire au sien. L’espace judiciaire grec, en outre, est davantage un espace de lutte qu’un espace de participation : la confrontation des plaidoyers prend une allure guerrière. Un même mot grec, d’ailleurs désigne le procès et l bataille : agon. Protagoras refuse donc toute distinction entre opinion et vérité, et, en ce sens, réhabilite la doxa, dont les perpétuels démentis constituent la loi même de la vie et les faces, les visages d’une réalité miroitante, aux multiples facettes. On retrouvera cette thèse chez Nietzsche, préférant la Vie à la vérité. Prenons un exemple tiré des Vies parallèles, ouvrage d’un auteur latin (philosophe platonicien), Plutarque (fin I° siècle, début II° ap. J.C.) il met en scène Protagoras et Périclès échangeant de manière vive sur la mort d’un malheureux contemporain (Épitime), transpercé par un javelot au cours des Jeux : qui est responsable : le lanceur de javelot, le promoteur des Jeux qui n’a pas respecté les règles de sécurité, Épitime lui-même qui a désobéi aux règles ?… La réalité est kaléidoscopique (perspectivisme) : tout ce que l’on peut dire d’elle n’est que question de point de vue.
L’homme de paroles, mesure de toutes choses :
Les hommes semblent être condamnés à être ballottés entre des opinions, des apparences diverses sans pouvoir jamais trancher. Qu’est-ce qui permet alors de stabiliser momentanément les points de vue ? C’est ici qu’intervient la thèse la plus célèbre de Protagoras : « l’homme est la mesure de toutes choses ». C’est l’homme qui stabiliserait le flux des discours en arrêtant son choix sur l’un d’entre eux, dessinant par là une vérité ponctuelle à taille humaine. Platon dans Théétète, fustige cette thèse protagoréenne de « l’homme-mesure (« metron », l’homme qui règle, sans violence) » qui renvoie à un relativisme et un subjectivisme dévastastateurs niant radicalement toute vérité objective et toute rationalité. Ce qui est vrai pour un individu peut différer de ce qui est vrai pour un autre sans qu’aucun des deux ne se trompe. Par ex. le vent est chaud pour moi, froid pour toi : les deux points de vue sont aussi vrais l’un que l’autre. Le vent serait donc à la fois chaud et froid ? Voici un paradoxe que ne peut guère tolérer Platon.
Discours fort et discours faible :
Cette distinction protagoréenne entre discours faible et discours fort signe l’acte de naissance de l’éristique (cf. : Rhétorique d’Aristote) de « eris » en grec qui signifie « dispute », l’art de la controverse et du débat : « Rendre plus fort le discours le plus faible », telle est l’ambition de la rhétorique. Mais le risque est le faire passer le faux pour le vrai, l’injuste pour le juste.
L’éristique : est un procédé rhétorique consistant à soutenir une thèse contraire à celle qu’avance la partie adverse. Il s’agit d’être expert dans la réversibilité des arguments. L’éristique ne consiste pas seulement, en outre, à trouver des arguments contraires, mais à renverser littéralement la partie adverse en reprenant les faits, les idées et les mots de l’autre et en les faisant basculer un à un. Cf. : L’art d’avoir toujours raison ou la dialectique éristique d’Arthur Schopenhauer. Ex : vous soutenez que le principe d’égalité entre les hommes est nécessaire pour que prévale la justice. Rendre, donner à chacun ce qui lui est dû. Le riche, le puissant n’a pas droit à plus que l’individu modeste. Mais, en même temps, réversibilité de l’argumentation : l’homme modeste serait-il d’accord de payer autant d’impôts que le riche, au nom du principe d’égalité. La justice ne suppose-t-elle pas finalement, une certaine forme d’inégalité.
Un discours fort est un discours qui est meilleur qu’un autre. Mais selon quels critères ? Le discours qui ramène à lui, qui rallie le plus de voix possibles, qui se renforce du discours des autres quand il obtient leur assentiment, leur accord, un peu comme un vainqueur l’est encore davantage quand il obtient l’admiration des vaincus. Le discours faible, au contraire, ne parvient pas à obtenir l’assentiment d’autrui. Le discours fort, toutefois, risque bien d’être celui de la démagogie (flatter les masses pour obtenir leur adhésion), davantage que celui de la démocratie. Cela dit, Protagoras, de son aveu même, est animée de bonnes intentions. Il prétend enseigner la vertu (« arêté »), i.e. l’excellence dans la citoyenneté : « Ce savoir que j’enseigne, c’est la prudence (« euboulia » : « le bon jugement ») dans les affaires privées – comment administrer au mieux la maison - et dans les affaires de la Cité - comment être le plus apte à gérer les affaires de la Cité en actes et en paroles », Protagoras (319a) Protagoras souligne que si la force d’une parole politique tient au nombre de voix qui la soutiennent, en même temps, toutes les voix ne se valent pas nécessairement : la voix du savant peut compter davantage que celle de l’ignorant, ou plutôt celle du citoyen vertueux… pour autant que son point de vue serve l’intérêt général. Dans le film de Sidney Lumet, « Douze hommes en colère », douze jurés doivent décider du sort d’un jeune homme accusé de meurtre, que tous les faits accablent. Au début du film onze jurés le déclarent immédiatement coupable, sauf un seul qui le déclare non-coupable. Il est lors mis en demeure de s’expliquer. Au début, son discours est faible, peu persuasif, mais peu à peu, il commence à retourner la conviction de ses contradicteurs, lesquels finissent par douter de la culpabilité de l’accusé. À la fin du film, celui-ci est d’ailleurs déclaré non-coupable, sans que l’on sache vraiment s’il est innocent. Le discours faible s’est transformé en discours fort.
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