Philoforever

La « méthode cathartique » de Breuer se limite à la clinique de l’hystérie, i.e. à une population limitée de malades. A ce titre, son enjeu « philosophique » reste limité, si l’on fait exception d’une meilleure compréhension de la relation entre l’âme et le corps (l’intuition d’un lien psychosomatique dans les symptômes hystériques), une nouvelle façon de repenser le rapport du sujet au temps (le passé, loin d’être révolu, parle encore dans le présent de la  patiente hystérique) et plus techniquement un rapport thérapeutique plus subtile entre le malade et le médecin (par le « transfert », c’est le malade qui instrumentalise le médecin, qui se sert de lui, et non l’inverse).

   La psychanalyse que va instaurer Freud, à la suite des travaux de Breuer  va s’évader de la seule clinique de l’hystérie : c’est l’homme, en général, sain ou malade, qui est placé au cœur de l’investigation, c’est l’homme universellement parlant qui est repensé sur de nouvelles bases. La psychanalyse freudienne est donc une anthropologie qui renverse un certain nombre d’acquis philosophiques. L’homme conçu comme « animal raisonnable » selon les termes même d’Aristote n’est plus si sûr d’être gouverné par sa seule raison, l’homme, fort de son Cogito, comme l’affirme Descartes – on le verra bientôt – « Toutes les fois que j’ai conscience de moi-même, je suis sûr d’exister », se voit fragilisé : « quand je pense, est-ce bien moi qui pense ? » Enfin, l’homme qui se rassemble et se réapproprie grâce à son « Je », l’homme qui se fait « personne humaine » par opposition à l’animal, comme se plaît à le dire Kant, n’est-il pas simplement victime d’un leurre ?

   Voilà le soupçon qu’introduit Freud dans la belle assurance du Moi, dont il déclare désormais, dans ses Essais de psychanalyse appliquée, que ce dernier « n’est plus maître en sa propre maison ».