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Leçon 4 : Gorgias et la parole poétique (Cliquez sur le lien !)

II/ Gorgias et la parole poétique :

 

 

   De Protagoras à Gorgias (sicilien, -470-375), l’art de parler se déplace de la politique à l’esthétique. Gorgias a été si célèbre à son époque, qu’une statue en or avait été édifiée en son honneur et que les athéniens avaient même forgé un verbe : « gorgianiser », en référence au style remarquable de son éloquence. Gorgias introduit l’expression poétique dans la rhétorique politique, pas seulement à titre décoratif, mais avec une intention d’ores-et-déjà philosophique, même si Platon n’est pas prêt à le reconnaître.

 

La critique radicale de l’ontologie :

 

 

   Gorgias est un grand précurseur, notamment de Kant : il faut distinguer ce qui est en soi, ce qui est, ce qui existe, le réel en tant que tel de ce que nous pouvons connaître de ce même réel. Kant opposera les phénomènes des noumènes. Ex. : je peux élaborer une science des phénomènes naturels : la physique (Big-bang, Univers en expansion, la biologie, mais qu’est-ce qui me garantit qu’il ne s’agit pas seulement de conventions, d’une interprétation strictement humaine qui n’a que peu à voir avec la réalité en soi. Je peux essayer de comprendre ce que l’on appelle l’âme, concevoir le divin, approcher le mystère de l’amour, de la mort … mais peut-être toutes ces tentatives de compréhension sont-elles dérisoires par rapport à l’en-soi des choses. En philosophie, on distinguera les « choses-en-soi » inconnaissables telles quelles des choses « pour-soi », la connaissance pratique et simplificatrice que l’on élabore autour du réel. Ex. : H²O me dit sans doute quelque-chose de l’eau, mais dans mon intérêt, pour pouvoir utiliser la molécule d’eau en chimie. Cela dit l’ « en-soi » de l’eau est-il réductible à cette convention chimique. D’un autre point de vue non-humain, du point de vue d’une autre intelligence fonctionnant selon un autre logiciel, la connaissance de l’eau serait-elle semblable ?

 

   Revenons à Gorgias : il dit qu’il se peut que rien ne soit (c’est l’intelligence humaine qui invente le réel, comme en un rêve) et que même s’il est quelque-chose, si quelque-chose est, ce quelque-chose ne peut être saisi par l’homme. Il reste inexprimable et inexplicable. L’homme est condamné aux apparences. Il ne peut rendre du réel que ce qui lui apparaît. La doctrine de Gorgias est ce que l’on nomme un phénoménisme. La parole elle-même n’est qu’un instrument de l’apparence : elle donne l’illusion du réel, mais tourne à vide, en somme. Elle ne peut dire ce qui est, même pas ce qui est perceptible par les yeux. Le discours ne s’adresse qu’à l’oreille, en somme. Les mots sont davantage gorgés de son(s) que de sens. Or, l’oreille n’entend pas ce que les yeux voient. Les impressions sensibles ne peuvent donc pas être traduites par les mots, tant elles sont variables, hétérogènes. Comme l’écrit le poète Ludovic Janvier, dans Doucement avec l’ange : « Il manquera toujours un mot pour dire bleu ».

 

La magie de la parole :

 

   Mais alors, que dit-on, que transmet-on lorsqu’on parle ? Gorgias semble bien montrer la stérilité du langage, de la parole, lorsqu’il soutient que l’on ne peut rien dire de fiable du réel, ni même rendre compte du produit des sens. Tout projet de communication, tout effort de rhétorique semble donc bien stérile. Mis non ! Au désenchantement de la métaphysique - même si rien n’existe ou que l’on ne peut rien connaître assurément -, succède le réenchantement par la parole. La parole ne dit pas ce que sont les choses ou les impressions sensibles, mais elle suscite les émotions et les sentiments, comme le plaisir, la pitié ou l’horreur que provoquent en nous les apparences sensibles. Gorgias souligne ainsi au huitième paragraphe de L’éloge d’Hélène, le pouvoir démiurgique de la parole : « Le discours est un tyran très puissant ».



28/04/2021
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