Leçon 6 : Approche de la question de l'Autre et des Représentations du Monde 1 (Cliquez sur le lien !)
Humanités, littérature et philosophie
« Les représentations du monde et l’expérience de l’autre »
Ébauche de plan du cours :
I/ De l’Histoire à l’Histoire :
Un peu d’Histoire, à la louche, de l’An Mille à 1503 (Léonard entame le portrait de Lisa del Giocondo, la future Joconde) … Du Monde Ancien au Nouveau Monde.
II/ De l’Histoire à la littérature :
Approche de quelques textes du Supplément au Voyage de Bougainville de Denis Diderot.
III/ De la littérature à la philosophie : « Homo homini lupus, homo homini deus » (« L’homme est un loup pour l’homme, l’homme est un dieu pour l’homme »)
III-1/ Qu’est-ce que l’autre et/ ou qui est l’autre ?
III-1-1/ Qu’est-ce que l’humanité ?
Appui : Race et Histoire de Claude Lévi-Strauss.
III-1-2/ Le rôle d’autrui dans la formation du Moi.
Appui : Études d’Alain. (... suite du plan à venir, s'il nous reste du temps !)
I/ De l’Histoire à l’Histoire :
Un peu d’Histoire, à la louche, de l’An Mille à 1503 (Léonard entame le portrait de Lisa del Giocondo, la future Joconde) … Du Monde Ancien au Nouveau Monde.
Un peu d’Histoire, à la louche, de l’An Mille à 1503 (Léonard entame le portrait de Lisa del Giocondo, la future Joconde) …
Du Monde Ancien au Nouveau Monde
An 1000 : un sommeil lourd s’est abattu sur l’Occident. Les yeux sont trop fatigués pour regarder autour d’eux et les sens trop épuisés pour exercer leur curiosité. L’humanité ne veut plus rien savoir du monde qui est le sien. Ce qui est étrange, c’est que, ce qu’elle savait auparavant (l’héritage des civilisations gréco-latines), elle l’a oublié. On en a même désappris à lire, à écrire, à compter. Même certains rois ne sont plus en mesure d’apposer leur propre nom au bas d’un parchemin. On pense à la comptine : « Le bon roi Dagobert, A mis sa culotte à l’envers ; Le grand saint Eloi lui dit : Ô mon roi, Votre majesté est mal culottée. C’est vrai lui dit le roi, Je vais la remettre à l’endroit » …, aux rois fainéants mérovingiens, puis carolingiens, très jeunes souvent (Thierry III) qui n’avaient que peu de pouvoir (du VII° au X° siècle) et n’étaient connus que pour leurs débauches, notamment alimentaires, les festoiements. Les sciences se sont figées, momifiées par la théologie. Ces siècles sont ceux de la scolastique où l’on interprète inlassablement la Bible et où l’on ressasse un Aristote usé. Même en art, on observe que l’homme n’est même plus capable de représenter son propre corps à travers le dessin, la peinture ou la sculpture.
On ne voyage plus, on ne connaît rien des pays étrangers ; on se retranche dans des châteaux forts et dans des villes pour se protéger des peuples barbares venus de l’Est. On vit à l’étroit, on vit dans les ténèbres, sans audace. Tous ces pays furent pourtant, jadis, traversés de routes que parcouraient les légions romaines. César avait conquis l’Egypte et l’Angleterre ; Alexandre avait été jusqu’en Inde pour revenir par la Perse. Il y avait eu dans le passé des sages, des philosophes qui savaient lire dans les étoiles, qui possédaient quelques notions relatives à la forme de la Terre et au secret ultime de l’homme. On devrait lire tout cela dans les livres, mais il n’y a plus de livres (sauf dans les monastères. Cf. Le Nom de la rose d’Umberto Eco, enquête policière autour du livre au Moyen-Âge, au XIV° siècle, relayée par un film de Jean-Jacques Annaud) On devrait voyager, découvrir des pays étrangers, mais il n’y a plus de routes.
À quoi bon, de toute façon, faire des efforts, puisque c’est bientôt l’Apocalypse, la fin du Monde. En l’An 1000, comme on l’a annoncé, le Monde périra. L’Apocalypse de Jean évoque le retour de Satan mille ans après que le Christ l’a enchaîné dans les Enfers. Même si ce texte est hautement symbolique, il suscite l’émergence d’une angoisse millénariste, propre aux fins de millénaires. Au début de l’An 1000, les paysans quittent leurs champs, les riches vendent leurs biens … et tout le monde va s’agenouiller dans les églises en attendant d’être précipité dans les ténèbres éternelles.
An 1100 : Non, le Monde n’a pas été anéanti. Une fois encore, Dieu s’est montré clément envers ses créatures. L’humanité peut continuer à vivre. Il faut remercier Dieu pour Sa clémence : on érige alors des églises, des cathédrales (1163, début de la construction de Notre-Dame de Paris. Cathédrales de Sens et de Saint-Denis, autour de 1135), ces expressions minérales de la prière montée vers le Tout-Puissant. On ne supporte plus, non plus que le Saint-Sépulcre soit aux mains des païens. Les chevaliers de l’Occident se lèvent pour vers le Levant. (Godefroy de Bouillon et la Première croisade, de 1096 à 1099, part délivrer la Terre Sainte. Les Turcs interdisaient l’accès de Jérusalem aux pèlerins chrétiens, alors la première croisade permet la prise de Jérusalem et l’instauration du royaume chrétien de Jérusalem).
An 1200 : Le Saint-Sépulcre a été conquis, puis reperdu, mais ce voyage a réveillé l‘Europe. Elle a senti sa force, mesuré son courage. Elle a découvert tout ce qu’il pouvait y avoir de nouveau, de différent dans ce monde. Même tout simplement, d’autres hommes, d’autres fruits, d’autres étoffes, d’autres bêtes … d’autres mœurs sous d’autres cieux. L’Occident, l’Europe a compris l’étroitesse de sa condition jusqu’alors. Ces païens que l’on méprise ont des étoffes de soie provenant de l’Inde, des tapis, des épices, des parfums capiteux qui enivrent les sens. Leurs bateaux voguent vers des pays lointains, leurs caravanes parcourent des routes interminables … ils ne sont pas aussi rustiques que l’on pourrait le penser : ils connaissent le Terre et ses secrets. Ils ont des cartes … Ce ne sont pas d’excellents guerriers, mais ce sont d’excellents commerçants qui connaissent très bien les secrets des échanges commerciaux.
Comment ont-ils faits ? Ils se sont instruits. Ils ont des écoles et dans ces écoles des documents écrits qui permettent de transmettre et d’expliquer tout ce que l’on sait. Ils possèdent les savoirs des anciens érudits occidentaux. Ce sont, en effet, les arabes qui ont récupéré la philosophie et la science grecques (à Alexandrie, notamment), pour la retransmettre ensuite à l’Occident. Bagdad (Irak), en effet, au VIII° siècle (dynastie des Omeyades) et jusqu’en l’An 1000 est très florissant intellectuellement. On y traduit en arabe, notamment l’œuvre d’Aristote, la cosmologie de Ptolémée, la médecine de Galien…, tandis que l’Occident s’est replié fébrilement sur lui-même, s’est enfermé dans une forme d’intégrisme chrétien, très frileux à l’égard de la « raison » philosophique. Il faudra attendre le XIII° siècle, Albert le Grand et Saint Thomas d’Aquin, pour renouer avec la culture, la science antique. A cette époque l’Islam distingue bien, nettement les sciences religieuses des sciences universelles, si bien que lorsque l’Occident récupère son héritage, il n’a pas été « islamisé » (il faut lire Ibn Khaldoun, Averroès …). Il faut donc apprendre pour conquérir le monde. Il ne suffit pas de gaspiller sa force dans des tournois et de stériles ripailles, il faut aussi exercer son esprit, le rendre souple et aiguisé. Il faut observer, apprendre, réfléchir … et une course de vitesse s’engage alors entre les universités, à Sienne et à Salamanque, à Oxford et Toulouse : chaque pays d’Europe veut être le premier à posséder la science. Après des siècles d’apathie, l’homme occidental tente à nouveau de pénétrer le secret de la Terre, du ciel et de l’humanité.
An 1300 : l’Europe s’est débarrassée du carcan de la théologie qui l’empêchait de jeter sur le monde un regard libre. Il faut arrêter de cogiter encore et toujours sur Dieu et de commenter indéfiniment les textes sacrés sur un mode scolastique. Dieu est Créateur et, comme il a fait l’homme à son image, il le veut créateur. Dans tous les domaines de l’art ou de la science, les Grecs et les Romains ont laissé des modèles ; on est peut-être capable de les égaler, de refaire ce que les Anciens savaient faire. Et, pourquoi pas de les dépasser ? L’Occident s’enflamme d’une nouvelle ardeur : on se remet à la poésie, à la peinture, à la philosophie et c’est ainsi qu’apparaissent Dante (fondateur de la langue italienne en lieu et place du latin et précurseur de l’humanisme) Giotto, Roger Bacon (savant anglais du XIII° siècle, père de la méthode scientifique) et les grands maîtres des cathédrales. L’esprit humain, enfin libéré reprend alors tout son essor. Mais pourquoi la terre sous ses pieds reste-t-elle si exiguë ? Pourquoi le monde des hommes, celui de la géographie est-il si limité ? Partout la mer et encore la mer … cet espace inconnu, cet océan qu’on ne peut embrasser du regard ? Un seul chemin vers le sud mène, par-delà l‘Égypte, en direction de pays rêvés qu’habitent les Indiens (la soie …), mais les Païens en interdisent l’accès. Le détroit de Gibraltar signifie à l’époque, la fin de toute aventure. Aucun chemin ne mène au large dans la « Mare tenebrosum ». 1298 … deux vieillards barbus accompagnés d’un jeune homme, tous habillés d’une manière étrange (de longues tuniques garnies de fourrure) débarquent à Venise. . Ils s’appellent Polo et Marco Polo (1254-1324, marchand italien qui vit en Chine pendant presque 20 ans). Ils disent avoir quitté Venise 20 ans auparavant, avoir traversé la Russie (le royaume moscovite), la Chine. Les trois hommes ne sont pas crus, d’abord, et ils doivent faire la preuve de ce qu’ils avancent. Pour ce, ils invitent quelques hôtes chez eux pour leur montrer cadeaux, étoffes … qu’ils ont ramené de si loin. Le bruit de leur exploit se répand : il est possible d’atteindre les Indes (on appelle ainsi les régions les plus éloignées et les plus riches de la Terre).
An 1400 : atteindre les Indes, tel est désormais le rêve de ce siècle et celui d’un homme en particulier : un prince portugais baptisé Henri le Navigateur. Il rassemble autour de lui les savants de son époque occidentaux, juifs et arabes, collectionne les cartes et les informations nautiques. Les experts occidentaux doutent de pouvoir franchir l’équateur en se référant à Aristote, Ptolémée, Strabon … Les savants juifs et arabes, en revanche, suggèrent la possibilité de le faire : tout ce que l’on dit de l’au-delà de l’équateur : une eau visqueuse, des navires qui s’enflamment sous les rayons du soleil … tout cela a été inventé par les commerçants maures pour décourager les chrétiens. Il faut contourner l’Afrique en longeant la côte. On construit des navires plus gros, plus résistants, on se sert des instruments de navigation, notamment rapportés de Chine et la grande aventure commence. On découvre Madère, le Cap Vert, le Sénégal …
An 1486 : L’Afrique est contournée par Barthélemy Diaz. Au cap de Bonne-Espérance, impossible d’aller vers le sud, on oblique alors vers l’Est. Cela dit, Diaz, à cause de l’épuisement de son équipage, n’atteint pas les Indes. C’est Vasco de Gama qui atteindra les Indes en 1498 et qui y mourra, d’ailleurs, à Cochin. Personne ne peut plus devancer le Portugal. Et pourtant si ! Un certain Christophe Colomb, en 1492, s’est risqué sous pavillon espagnol à travers l’océan à l’ouest, au lieu de faire route vers l’est. Il affirme avoir atteint les Indes en utilisant un raccourci et avoir rencontré des Indiens à la peau curieusement rougeâtre. Le globe terrestre serait donc plus petit qu’on ne le pensait. On peut faire en à peine un mois ce que les portugais en contournant l’Afrique faisaient en six mois. Ensuite, les expéditions se multiplient durant une bonne décennie durant laquelle on fait plus de découvertes que pendant les mille ans qui ont précédé.
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