Leçon 7 : Approche de la question de l'Autre et des Représentations du Monde 2 (Cliquez sur le lien !)
En 1503 se mettent à circuler presque simultanément à Paris et à Florence quelques feuilles imprimées (4 ou 5 pages), intitulées Mundus Novus rédigée par un certain Vespucci (Vespucius, car les savants occidentaux de l’époque se faisaient rebaptiser en latin). Ce micro-traité relate un voyage qu’il a entrepris dans des territoires jusque-là inconnus, sur l’ordre du roi du Portugal. Ces récits sont d’ailleurs courants à l’époque. Colomb avait pourtant écrit en 1493, qu’il avait atteint les rives du Gange, mais, son récit, faute d’être tombé dans les mains d’un bon éditeur, n’avait pas obtenu autant d’écho que celui-ci. Le petit fascicule d’Albericus Vespucius va être traduit en latin, afin que les gens instruits soient attirés par sa lecture, puis circuler dans des villes reculées et traduit en plusieurs langues vulgaires : en allemand, en français, en italien, en hollandais. Il devient la référence pour tous les récits de voyage qui paraissent à cette époque.
Le grand succès de ce livret minuscule est très compréhensible car cet inconnu, ce (Amerigo) Vespucci est le premier de tous les navigateurs qui sache raconter et de manière amusante. En général, les récits sont un peu grossiers, voire grotesques (récits de pilleurs d’épaves) saupoudrés de quelques propos froids et techniques de juristes ou d’un pilote qui inscrit longitudes et latitudes. Et voici qu’arrive ce récit sincère, honnête, cultivé, mais qui n’exagère pas, qui ne fabule pas … émanant, semble-t-il d’un homme de confiance, pas un Sindbad (des Mille et une Nuits qui vit, soi-disant, mille aventures extraordinaire en longeant les côtes de l’Afrique Australe). Il est parti le 14 mai 1501, sur ordre du roi du Portugal et navigué pendant un peu plus de deux mois. Après une navigation harassante et pleine d’incertitudes (va-t-on apercevoir une terre ?), ils abordent sur une terre habitée, riche, abondante en eau douce, en fruit, en animaux jamais rencontrés encore, dont Ptolémée n’avait jamais soupçonné l’existence. Les hommes y vivent encore dans une innocence totale. Ils ont une peau rougeâtre et vivent nus de leur naissance à leur mort. La pudeur et les commandements de la morale sont complètement étrangers à ces enfants de la nature. « Si le paradis terrestre existe, ajoute-t-il, il ne doit pas être loin d’ici. » Il vient de mettre pied à terre sur le sol de ce qui va se nommer le Brésil. Ce qui passionne ses contemporains, c’est notamment l’allusion au … Paradis terrestre. Les théologiens grecs (les Pères de l’Église) avait établi la thèse qu’après la Chute d’Adam et Ève, Dieu n’avait pas détruit le Paradis terrestre, mais qu’il l’avait mis de côté, à l’autre bout de l’océan. Par ailleurs, la description qu’en fait Vespucci ressemble étrangement au Jardin d’Eden. Finalement, son propos vient rallumer une vieille espérance : reconquérir le Paradis terrestre. Surtout dans cette époque tourmentée où les guerres font rage, l’Inquisition en Espagne, la servitude féodale … époque où il y a peu de paix pour l’homme du peuple. Un pays existerait où la paix serait possible pour le corps comme pour l’âme, laquelle pourrait se délivrer des tourments de l’argent, du pouvoir … un pays où l’homme n’est plus un loup pour l’homme.
Mais ce qui est le plus fulgurant pour l’époque, ce n’est pas seulement ce court récit, c’est son titre : Mundus Novus, le Nouveau Monde. Jusqu’à maintenant, grâce à Vasco de Gama parti vers l’est en contournant l’Afrique et Christophe Colomb, vers l’ouest en traversant l’océan, on avait atteint l’Inde que l’on croyait être aux confins du monde … mais voici que cet autre navigateur inconnu, cet étrange Vespucci aurait accosté, en faisant voile vers l’ouest, en un pays inconnu, nouveau … entre l’Europe et les Indes (l’Asie). Vespucci lui-même écrit que ces régions qu’il vient de découvrir, peuvent être appelées : le Nouveau Monde.
« Aucun de nos prédécesseurs ne savaient rien de ces territoires que nous voyons, ni de ce qu’ils contiennent ; nos connaissances vont bien au-delà des leurs. La plupart d’entre eux croyaient qu’il ne se trouvait plus de terre ferme au sud de l’équateur, mais seulement une mer sans fin à laquelle ils donnaient le nom d’Atlantique, et même ceux qui estimaient possible l’existence d’un continent dans cette zone pensaient, pour différentes raisons, qu’il devait être inhabitable. Mon voyage a désormais prouvé que cette opinion est erronée, et même exactement contraire à la réalité, puisque j’ai trouvé au sud de l’équateur un continent ou nombre de vallées sont peuplées de beaucoup plus d’hommes et de bêtes que notre Europe, l’Asie ou l’Afrique, et qui possède, de surcroît, un climat plus agréable et plus doux que les autres parties du globe connues de nous. »
Ces propos brefs, mais catégoriques, ont fait du Mundus Novus un document de premier ordre dans l’histoire de l’humanité. Christophe Colomb convaincu jusqu’à sa mort d’avoir posé le pied en Inde (alors que durant ses quatre voyages, il a globalement découvert Cuba [qu’il confondait avec la Chine, soit dit en passant, mais cela ne retire rien à son mérite d’avoir découvert le Nouveau Monde … les Amériques dira-t-on plus tard en brodant sur le nom d’ « Amerigo » Vespucci, devenu « Americus » en latin, chic à l’époque. Pour être précis, l’Amérique doit son nom à une erreur de traduction du prénom de Vespucci, car « Amerigo » se traduisait en latin, au sens rigoureux par « Albericus », mais un malheureux traducteur s’est contenté du raccourci « Americus ». Bref, les Américains ont failli se nommer les Albéricains, bof …], la Jamaïque, les Antilles, pour faire court), va réduire momentanément les dimensions de l’univers, aux yeux de ses contemporains qui « connaissaient » déjà, d’une certaine façon l’Asie, ce, depuis 1298, avec l’arrivée de Marco Polo à Venise. Vespucci, en revanche, en réfutant l’hypothèse que ce nouveau continent soit l’Inde (notez que les habitants précolombiens, avant Christophe Colomb, seront désormais baptisés « indiens ») et en affirmant qu’il s’agit bel et bien d’un … nouveau monde, d’un « Mundus Novus », repousse quant à lui, considérablement, les mensurations, les dimensions de l’univers. Il corrige le regard que le grand découvreur porte sur son propre exploit, et s’il ne se doute pas lui-même des proportions que va avoir ce nouveau continent, il a du moins reconnu le caractère autonome de sa partie méridionale. Dans ce sens, Vespucci parachève bel et bien la découverte de l’Amérique, car toute découverte, toute invention ne tient pas tant sa valeur de celui qui la réalise que de celui qui en comprend toute la signification, toute la force opérante ; si le mérite de l’exploit revient à Colomb, c’est à Vespucci que revient, celui, historique, de son interprétation.
La surprise que suscite l’annonce de ce Vespucci est immense et joyeuse ; elle touche la sensibilité de l’époque d’une manière plus profonde et plus durable que la découverte du Génois, Cristoforo Colombo (Christophe Colomb). Apprendre que l’on a découvert au milieu de l’océan une nouvelle partie du monde, agit sur l’imagination des foules. Aurait-il découvert la légendaire Atlantide des Anciens ? Ou alors les îles bienheureuses d’Alcyon ? Curieusement, l’image que cette époque a d’elle-même, se trouve valorisée par le sentiment que la Terre est plus vaste et réserve plus de surprise que même les plus savants des hommes d’autrefois ne l’ont supposé, et que c’est à eux, à leur propre génération que revient l’opportunité et la responsabilité de percer les derniers secrets du globe.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 105 autres membres