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Les notions de "raison" et de "croyance".

Approche des notions de  RAISON et de CROYANCE

 

Le rêve et la réalité :

 

   Quelle preuve avez-vous que vous n'êtes pas, en ce moment précis, en train de rêver, ou de faire un cauchemar ? En effet, puisque dans le temps que vous rêvez vous croyez, presque toujours, dur comme fer, que vous êtes « dans la réalité », qu'est-ce qui vous prouve, inversement, qu'en ce moment vous n'êtes pas dans un rêve ?

Il s'agit là d'un argument sceptique qui vise à ébranler la certitude que nous pouvons avoir au sujet de la réalité.   Descartes l’exploite abondamment dans la Méditation première des Méditations Métaphysiques, intitulée : « Des choses que l’on peut révoquer en doute », de sorte à remettre en question la réalité sensible, l’existence même de son corps, son existence même en tant que corps.

   En général, on y répond ainsi : dans le rêve les choses et les événements sautent du coq à l'âne, ils ne forment pas de cohérence d'ensemble. Et puis dans un rêve, nous n'avons pas de communication avec les autres. Certes nous voyons des figures dans nos rêves, mais elles n'existent que par rapport à nous, elles ne possèdent aucune autonomie.

   Il y aurait donc deux critères pour distinguer la réalité d'un rêve :

    1. la cohérence des représentations ;

    2. la communication avec autrui.

   Ces deux critères sont aussi ceux de la raison. La raison est une façon de penser les choses qui est à la fois cohérente, logique, et acceptable par d'autres consciences.

   Un vieux philosophe grec disait que tant qu'ils sont éveillés les hommes vivent dans le même monde, mais lorsqu'ils dorment, ils vivent dans deux mondes séparés.

   Entre la raison et la croyance, il y a d'abord cette double opposition :

    1. la raison est logique, alors que la croyance ne l'est pas.

    2. la raison est universelle, alors que la croyance, elle, est particulière (c'est le cas de la croyance religieuse) ou subjective (je peux être le seul à croire ce que je crois), elle n'est jamais universelle.

   De plus, alors que la raison donne de la réalité extérieure une présentation fidèle, la croyance est issue, non pas tellement du monde extérieur que de celui qui croit. En d'autres termes, la raison est une faculté objective, qui s'efforce de comprendre les choses telles qu'elles sont, tandis que la croyance est une formation subjective qui trahit davantage celui qui croit qu'elle ne traduit ce qui existe.

   C'est pourquoi la Vierge Marie n'est jamais apparue à des gens qui, n'étant pas catholiques, ne connaissaient même pas son existence. Les êtres humains ne croient pas tant ce qu'ils voient qu'ils ne voient ce qu'ils croient.

 

La logique et le mythe :

 

   Dès l'origine de la philosophie, les Grecs faisaient la différence entre le « logos », la parole rationnelle, et le « mythos (prononcez muthos) », le récit fabuleux. Du mot logos, nous avons tiré notre « logique » et tous les noms de disciplines se terminant par « -logie » (géologie, biologie, zoologie, etc.).

   Pour les Grecs, du moins pour les philosophes grecs, le discours d'un homme politique cherchant à convaincre ses concitoyens par des arguments était de l'ordre du « logos », tandis que les histoires racontées sur les dieux appartenaient au « mythos », dont la langue française a tiré le terme de « mythe ».

   Notre esprit (on dit aussi « psychisme », les Anciens disaient « âme») travaille par conséquent sur au moins deux régimes différents : d'un côté, il cherche à comprendre, à expliquer, à analyser, à critiquer, à comparer - cela est le travail de la raison ; d'un autre côté, il cherche à persuader, à avoir du pouvoir, à se rassurer - cela est de l'ordre de la croyance. Face à la raison, et contre elle, la croyance est émotionnelle, sentimentale et passionnée, en un mot : « affective ».

   Par quels moyens, par exemple, une affiche ou un spot publicitaires cherchent-ils à persuader un maximum de clients que tel produit est le meilleur ? Ils ne feront pas la description objective de ce produit, mais ils l'associeront à des images de séduction et de plaisir comme le corps d'une jeune femme ou un paysage naturel : ainsi certains clients pourront-ils croire que ce produit est effectivement le meilleur.

   Un exemple de croyance : l’astrologie.

   Comparons l’astronomie qui est une science rationnelle et l’astrologie qui est une discipline qui repose sur un ensemble de croyances : l’astronomie définit avec rigueur ses termes (corps, masse, distance…) alors que l’astrologie ne définit pas les siens (influence … ?) ; l’astronomie est objective, elle décrit la réalité telle qu’elle est indépendamment de nous, alors que l’astrologie est toute centrée sur nous, avec ses notions d’influence bénéfique ou défavorable ; l’astronomie est ouverte aux nouvelles découvertes (télescopes, outils scientifiques) alors que les croyances astrologiques n’ont pas bougé depuis des milliers d’années.

   Le philosophe Leibniz (XVII°siècle) fut le premier à énoncer le principe de raison : tout ce qui existe a une raison d'être. Le principe de causalité (qui dit que rien ne saurait exister sans causes, et qu'aux mêmes causes succèdent les mêmes effets) est dérivé du principe de raison. La croyance, quant à elle, se complaît dans le mystère ou bien, quand elle cherche des causes, elle en trouve des fantastiques. Ainsi, tandis que la raison cherchera toujours les causes les plus simples (si un bateau a disparu, c'est qu'il a fait naufrage), la croyance aura tendance à se bâtir des scénarios fantastiques (dans le triangle des Bermudes, des bateaux ont été enlevés par des puissances extraterrestres, etc.). Alors que la raison démontre et prouve, la croyance ne fait qu'affirmer. La croyance ne réclame que l'adhésion.

 

   Doit-on conclure que la croyance est toujours fausse ou toujours illusoire ? Certains philosophes l'ont affirmé.

Mais on peut faire des distinctions entre différentes façons de croire.

 

   Déjà, en français, « croire à », « croire en » et « croire que » n'ont pas le même sens. Si je dis que je crois que Lagos est la capitale du Nigeria, c'est que je n'en suis pas sûr. Ici croire s'oppose à savoir. Si je dis que je crois à l'amour ou à la liberté, cela signifie que j'adhère totalement à une idée, une valeur dont j'espère la victoire. Maintenant, si je dis que je crois en Dieu, je pense qu'il est certain que Dieu existe, du moins pour moi : il n'y a là plus aucun doute.

   La croyance peut aller du doute à la conviction la plus forte - l'élément commun étant l'absence de preuve disponible (si je crois en Dieu, je ne peux prouver à l'athée qu'il a tort de ne pas y croire).

 

   Mais si la croyance s'oppose à la raison, dirons-nous que toute croyance est irrationnelle ?

 

   Il ne semble pas. Il y a des croyances de types très différents : la croyance en Dieu, par exemple, n'a pas le même sens que la croyance en la télépathie ou que la croyance en la lévitation. Pourquoi la croyance en Dieu n'est-elle pas irrationnelle ? Parce que l'existence de Dieu ne contredit pas l'ordre du monde tel que nous le connaissons (nous pourrions en dire autant que l'inexistence de Dieu, d'ailleurs). On peut être chimiste ou physicien et, à titre personnel, croire en Dieu. En revanche, la capacité de s'élever au-dessus du sol par la seule force de sa pensée (lévitation), celle de communiquer à distance avec quelqu'un sans passer par des moyens techniques (télépathie) contredisent les lois de la physique.

 

Les deux raisons.

 

   « L'homme est un animal raisonnable » disaient les Grecs. On appelle « rationalisme » la philosophie selon laquelle :

    1. il existe un ordre du monde que l'homme peut connaître grâce à sa raison .

    2. l'être humain peut contrôler ses impulsions.

 

   La distinction entre une raison qui connaît la réalité et une raison qui agit sur la réalité (et d'abord sur celle du corps) est rendue en français par celle des adjectifs « rationnel » et « raisonnable ». Est rationnel ce qui est conforme à la raison théorique (toute science et toute technique sont par définition rationnelles), est raisonnable ce qui est conforme à la raison pratique (on dira d'une conduite mesurée qu'elle est raisonnable si elle obéit à certaines règles de la vie en société).

   Or, entre les deux « raisons », celle du rationnel et celle du raisonnable, un divorce est possible. Les inquiétudes issues d'une certaine science et d'une certaine technique (énergie nucléaire, manipulations génétiques, etc.) montrent qu'une rationalité peut se mettre au service d'un projet déraisonnable. Pour prendre un exemple caricatural mais éloquent, l'entreprise d'extermination des Juifs d'Europe par les nazis a été rationnellement conduite. Elle n'en a pas moins été totalement folle, donc à l'opposé du raisonnable.

   Si la raison peut déboucher sur la déraison, inversement la croyance peut être rationnelle (et raisonnable à la fois). Par exemple, l'idée selon laquelle les hommes peuvent vivre en paix sur la Terre, que la guerre n'est pas une fatalité éternelle, cette idée ne peut être qu'une croyance, ce n'est ni une connaissance, ni une certitude. Cette croyance n'en est pas moins rationnelle : Kant appelait « idéal de la raison pratique » la croyance au progrès.

   La raison, en effet, malgré ses triomphes (les extraordinaires progrès des sciences et des techniques) n'est pas toute-puissante. D'abord la part de mystère semble rester intacte : la science et la technique modernes ne répondent pas aux questions métaphysiques que l'être humain se pose depuis des milliers d'années sur le sens de la vie et de la mort, sur l'existence ou non d'un Dieu créateur, etc. De plus, la science et la technique, en répondant à des questions, posent à leur tour des problèmes auxquels l'homme n'est pas prêt de répondre. Il y aura donc toujours place pour la croyance, quels que soient les progrès futurs.

   Que signifie la phrase : « Nous savons que nous sommes mortels mais nous ne le croyons pas » ? Elle signifie que la croyance est plus forte que la raison. L'être humain n'est pas seulement un animal raisonnable, il est aussi, il est peut-être d'abord un animal croyant.

 

Texte canonique :

 

   Dans ce texte, Freud différencie l'erreur, qui est logique, de l'illusion, qui est de nature psychologique et exprime le désir. Les croyances religieuses ne sont pas des erreurs mais des illusions.

 

   « Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. L'opinion d'Aristote, d'après laquelle la vermine serait engendrée par l'ordure (opinion qui est encore celle du peuple ignorant), était une erreur; de même, l'opinion qu'avait une génération antérieure de médecins et d'après laquelle le tabès aurait été la conséquence d'excès sexuels. Il serait impropre d'appeler ces erreurs des illusions, alors que c'était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part de désir que comportait cette erreur est manifeste. On peut qualifier d'illusion l'assertion de certains nationalistes, assertion d'après laquelle les races indo-germaniques seraient les seules races humaines susceptibles de culture, ou bien encore la croyance d'après laquelle l'enfant serait un être dénué de sexualité, croyance détruite pour la première fois par la psychanalyse. Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains. »

 

S. Freud, L'Avenir d'une illusion, trad : M. Bonaparte, PUF, 1976.



28/08/2008
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