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Les Sceptiques.

LE SCEPTICISME

 

   Les doctrines stoïcienne et épicurienne représentent des dogmatismes rivaux. Il est facile d'opposer terme à terme le matérialisme atomistique (selon Épicure) et le finalisme providentialiste (des Stoïciens) – lire préalablement l'article intitulé « Vie et doctrine des philosophes stoïciens et épicuriens. » -, la théorie épicurienne du « clinamen » et du libre arbitre, la théorie stoïcienne du destin, la morale épicurienne du plaisir prudent, la morale stoïcienne de la volonté héroïque.

   Le fondateur du scepticisme, le Grec Pyrrhon d'Élis (365-275), célèbre au point que le mot pyrrhonisme fut longtemps un synonyme, un équivalent répandu du mot scepticisme, était un contemporain des philosophes qui fondèrent les deux grands systèmes du stoïcisme et de l'épicurisme. Témoin de leurs contradictions, il leur substitua un point d'interrogation.

   Énigmatique figure à l'arrière-plan de l'école sceptique, tout comme Socrate à l'arrière-plan de la tradition platonicienne, Pyrrhon n'a rien écrit. Nous savons qu'il avait accompagné son maître, le démocritéen (disciple du philosophe grec Démocrite) Anaxarque en Asie, lors de l'expédition d'Alexandre. Il semble bien que Pyrrhon fut impressionné par les sages hindous. Il ne comprit pas leur langage mais garda le souvenir de leur impassibilité et de leur détachement étranges. Pyrrhon lui-même, à cause de sa simplicité et de sa valeur morale autant que pour sa doctrine, connut la gloire dès son vivant, fut nommé à son retour d'Asie grand-prêtre d'Élis et reçut des Athéniens le droit de cité. Son disciple Timon de Phlionte mit sa doctrine par écrit. Chez Pyrrhon - comme chez Timon - le scepticisme est une propédeutique (enseignement facilitant l'apprentissage),  au détachement. Parce que toutes les opinions s'équivalent, parce que nos sensations ne sont ni vraies, ni fausses, parce que les doctrines des sages se contredisent, il faut ne rien affirmer, se détacher de tout, et par le silence (aphasia) mériter l'ataraxie. Le souverain bien est cette paix de l'âme qui, chez le sage, résulte de la suspension de tout jugement. La source de nos troubles n'est-elle pas dans ces jugements absolus et téméraires que nous portons sur la malice ou la bonté des choses ? Pratiquons l'« épochè », la suspension du jugement, nous aurons la paix et la sagesse.

   Le scepticisme de la nouvelle Académie. Les philosophes de tradition platonicienne étaient mieux disposés que tous les autres pour accueillir le scepticisme. La distinction radicale, opérée par Platon, entre le monde sensible, royaume d'ombres, domaine mouvant des expériences vagues et des opinions incertaines, et le monde idéal royaume de la vérité et de la lumière - dont l'approche exige le détachement à l'égard des apparences - pouvait servir de préface à un pyrrhonisme radical. Il faut comprendre en effet que le scepticisme antique a un caractère original, platonicien au fond, qui le distingue radicalement comme Hegel l'a lumineusement montré, du scepticisme moderne. L'agnosticisme moderne, chez Hume par exemple, s'accompagne d'ordinaire d'un vif intérêt pour la science. Au fond, le scepticisme moderne doute surtout de la métaphysique, de Dieu, des réalités spirituelles, et ne doute pas du tout de l'expérience concrète rationnellement ordonnée par les sciences. Tout au contraire, le scepticisme antique doute précisément de cette expérience concrète, des données sensibles. Alors que, pour les stoïciens, nous pouvons et nous devons donner notre assentiment aux « représentations compréhensives » dont l'objet est sûr, les philosophes de la Nouvelle Académie, Arcésilas qui s'oppose à Zénon (315-241), Carnéade (215-126), adversaire de Chrysippe, nous accordent au grand maximum le droit d'espérer des opinions probables. En morale même il n'y a pas de bien absolu mais seulement peut-être une vie meilleure que d'autres. Cicéron appartient à cette école probabiliste.

   C'est Aenesidème le Crétois qui, au I° siècle, de notre ère, enseigne à Alexandrie et surtout, au II° siècle, Sextus Empiricus, qui rassemblèrent sous forme systématique les arguments de l'école sceptique : les cinq « tropes » de Sextus sont le désaccord (la contradiction des opinions justifiant la suspension des jugements), la régression (toute affirmation exige une preuve, celle-ci une autre jusqu'à l'infini), l'hypothèse (si on veut échapper à la régression à l'infini, il faut suspendre tout le raisonnement à une hypothèse, qui, elle, n'est pas prouvée), enfin le diallèle ou cercle vicieux (justifier une hypothèse en prenant pour argument les conséquences mêmes de cette hypothèse, c'est commettre un cercle vicieux. Vouloir prouver la valeur de la raison par des raisonnements, tel est le cercle dont tous les dogmatismes sont prisonniers), enfin la relativité de tout jugement à la personne du juge.

   Doutant de tout, le scepticisme ne devrait-il pas aussi, en bonne logique, douter de sa philosophie sceptique elle-même ? C'est ce que Sextus Empiricus lui-même reconnaissait. La philosophie sceptique, disait-il, ressemble à un purgatif qui disparaît en même temps qu'il entraîne les humeurs du corps. En pratique, le scepticisme fut moins destructeur qu'on ne pourrait croire : en matière de morale notamment, puisque aucun jugement n'est assuré, le plus sage est de suivre les coutumes les plus répandues ; en ce sens, le scepticisme est une école de conformisme et de conservatisme.



17/07/2008
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