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Méthodologie de la dissertation par un exemple corrigé

Afin de ne pas masquer le souci de la forme, de la « structure » de la copie sous un contenu trop dense, ce modèle de dissertation ira à l'essentiel, négligeant parfois certains développements qui pourraient être entrepris, afin de tendre vers l'excellence. Il s'agit donc moins d'un « corrigé » proprement dit, que d'une indication sur la façon dont une dissertation doit se dérouler, de l'énoncé jusqu'à la conclusion, ainsi que sur la façon dont elle doit « gérer » ses ingrédients essentiels, à savoir les arguments élaborés par le candidat, la candidate, les exemples issus du réel ou de la culture générale, ainsi que les références philosophiques, afin d'aboutir à un « tout » harmonieux.

 

Sujet proposé : « Être libre, est-ce dire non ? »

 

Introduction :

 

   L'expression de la liberté prend souvent la forme du refus : de la révolte à la manifestation, de l'action de grève au renversement d'un régime politique … les hommes ne cessent de s'opposer à ce qui, à leurs yeux, bafoue leurs droits. La plupart du temps, la conquête d'une liberté nouvelle est le fruit d'une opposition, d'un conflit et traduit finalement le rejet de ce qui est devenu inacceptable. [Cette entrée en matière met en perspective le sujet, i.e. qu'elle signale l'écho qu'il peut avoir dans la réalité, soulignant ainsi qu'une réflexion philosophique n'est pas nécessairement en marge du monde.]

 

   Faut-il en conclure qu'être libre suppose de toujours s'opposer et de dire systématiquement « non » à tout ce qui nous oblige ou que nous n'aimons pas ? [Il s'agit ici d'émettre quelques doutes à propos de l'affirmation que sous-entend le sujet : « être libre reviendrait à dire systématiquement « non » », afin de préparer le terrain à la problématique, la mise en question qui va être étoffée dans cette introduction.]

 

Ne serait-ce pas confondre liberté et licence, laxisme ou encore juger que tout ce qui vient d'autrui ou de la société représente un risque dont il faudrait se protéger ? En réalité, le refus systématique est aussi aveugle que l'est la soumission inconditionnelle. La vraie liberté s'accomplit [il s'agit ici de suggérer ici un nouveau degré de liberté, plus réaliste] dans des œuvres, elle s'affirme comme puissance tournée vers la vie. Elle suppose un état de droit pour régler les conflits mais elle implique aussi le refus de tout ce qui peut asservir. [Les suggestions évoquées ici seront reprises dans un développement contradictoire, une « antithèse »].

   Faut-il alors opposer refus et acceptation, négation et affirmation ? De la même façon qu'un esprit tolérant ne peut guère tout tolérer, sauf à se perdre, la liberté ne peut tout accepter sauf à se voir condamnée à l'impuissance. [La problématique ainsi formulée indique l'évolution du développement et dispense de rajouter la présentation du « plan » du devoir.]

 

Développement :

 

Partie 1 : [Ici, une « thèse », car le sujet se prête à un plan dialectique de type : thèse, antithèse, synthèse. Ce n'est pas l'unique plan, mais c'est le plus courant, car la plupart des sujets offrent une possibilité de « débat contradictoire »]

   Selon une opinion commune assez répandue, « être libre consiste à faire ce que l'on veut », à agir comme bon nous semble, ou encore à ne dépendre de rien ni de personne. [Pour amorcer le développement, il est souvent bon d'essayer de se placer dans l'optique de l'opinion la plus répandue, du point de vue le plus commun sur la question, ce que l'on nomme en philosophie, le point de vue de la « doxa »] Ainsi comprise, la liberté est assimilée au refus et donne lieu à des oppositions plus ou moins véhémentes. Elle se vit comme indépendance et rupture. [Argument] L'adolescent, par exemple, [Exemple] éprouve sa propre liberté dans le rejet de ce que lui imposent parents, éducateurs ou le monde des adultes. Mais ce qui est vrai de l'adolescent, en se gardant de toute simplification, l'est aussi de beaucoup d'autres personnes qui, à des degrés divers, entendent s'affirmer ou simplement se défendre en refusant l'autorité, la hiérarchie, l'ordre perçu comme une brimade. La capacité de s'opposer et de refuser, de dire « non », passe par un signe de liberté d'autant plus remarquable que la situation faite aux individus ne leur permet pas de s'affirmer autrement. Dans bien des cas, la révolte traduit l'ultime geste de désespoir mais aussi le premier des gestes humains [reprise de l'argumentation qui prépare le terrain à une référence philosophique], comme l'écrit Albert Camus dans L'Homme révolté : « L'esclave, à l'instant où il rejette l'ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l'état d'esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu'il n'était dans le simple refus. » [Référence philosophique]

   Le cas de l'esclave est d'ailleurs si emblématique que l'on en est venu à utiliser ce terme pour qualifier toutes les victimes de domination quelles qu'elles soient. On peut ainsi considérer que le croyant est esclave de ses superstitions, que la femme est trop souvent l'esclave de l'homme et que l'homme est esclave de ses préjugés… La systématisation de ce terme est abusive [Amorce d'une critique qui va permettre de faire une transition vers l'antithèse]: elle méconnaît la réalité de l'esclavage, qui n'a rien d'une image, mais elle dit aussi à sa manière [La critique n'est pas trop virulente, afin de préserver la valeur de la thèse] la nécessité de refuser l'inhumain dans lequel risquent de basculer les relations entre les êtres. Le refus des violences constitue bien un impératif de l'action et une manifestation souvent courageuse, de la liberté.

 

Partie 2 : [Antithèse]

 

   Peut-on cependant en rester à cette première approche [Nécessité de faire varier les points de vue] et considérer que la signification de la liberté réside uniquement dans le refus ? Nombreux sont les comportements d'opposition où l'on peut déceler de l'égoïsme, du caprice ou le jeu de quelque obscure passion. [Argument au service de l'antithèse : il s'agit d'examiner en profondeur les motivations du refus] Oserait-on sérieusement les donner pour modèle d'un « agir » libre lorsqu'on sait, par ailleurs, comme nous l'a appris Freud [Référence], que nombre de nos actes sont déterminés par des mobiles inconscients ? Où est la liberté dans l'ignorance ?

   On peut sortir de ces difficultés en proposant une autre approche de la liberté qui ne dissocie pas celle-ci d'une réflexion sur les conditions de son usage. Il existe, en effet, des usages contradictoires de la liberté, comme celui qui consiste à vouloir se venger ou se faire justice soi-même car le cycle de la violence qui en découle annule par avance tout effet positif escompté.

   Réfléchissant à l'usage de la liberté, il est un principe qui doit guider la réflexion et que Rousseau formule dans les termes suivants : « Dans la liberté commune, nul n'a le droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même. » Lettres écrites de la montagne. [Référence philosophique]

   De la même façon qu'une contradiction annule la portée de nos propos, une action ne peut viser ce qui l'interdit ou la rend impossible [Argument logique permettant d'identifier la faiblesse, voire la contradiction de la prétendue liberté spontanée, anarchique.] Celui qui veut vivre ne va pas se noyer. C'est la raison pour laquelle la conception moderne de la liberté, qui ne la dissocie pas du droit, l'envisage dans son rapport à la loi. Ma liberté est définie par les droits et devoirs auxquels, en tant que citoyen, je puis prétendre. Dans le contexte d'un état de droit, caractérisé par ce que l'on appelle les libertés publiques, chacun a le droit de faire ce qui ne nuit pas à autrui. Cela revient à dire que chacun n'a pas à être soumis à la volonté d'autrui, ni donc à ses caprices, mais qu'il doit se soumettre à la loi commune pour la raison, justement, qu'elle est commune. C'est donc l'obéissance à la loi, expression de la « volonté générale » selon Rousseau [Référence philosophique], traduction de ce que nous appelons, quant à nous, l'intérêt général ou le bien public, qui garantit la liberté de chacun et de tous.

 

Partie 3 : [Synthèse]

 

   On conviendra aisément qu'il n'y a pas de liberté sans loi ou de liberté là où triomphe l'arbitraire des plus forts, caïds ou seigneurs de la guerre. Mais cela suffit-il pour que la liberté règne vraiment et que les individus soient assurés de leurs droits. Il est, en effet, des lois injustes [L'antithèse également, est sujette à critique et mérite d'être corrigée. C'est le lieu de la synthèse visant à articuler avec mesure une anarchie douce et raisonnable avec un respect vigilant des lois en vigueur] ou des états de droit qui n'ont qu'une apparence de légitimité. La loi, étant une institution est, par définition, modifiable. Lorsqu'elle n'est plus en phase avec les revendications portées par le corps social, elle devient un frein ou un obstacle.[Argument] Pour l'essentiel, le droit, tel qu'il existe dans un pays comme la France, est le résultat d'une histoire parsemée de luttes et de conflits, rarement celui de discussions de salon.[Exemple] Cela signifie que si le droit garantit l'exercice des libertés, il ne le doit qu'à la dynamique des conflits qui sous-tendent la vie sociale. Le droit ne tombe pas du ciel. Le droit du travail, en particulier [Exemple au service de l'argument], est un secteur où l'on peut aisément apprécier les tensions dont il est à la fois le reflet et dont il se veut le remède.

   En résumé, pas de liberté sans la possibilité de contester la loi [Formulation claire de la synthèse] et le droit, pas de liberté qui s'interdirait de se réformer, voire de se révolutionner elle-même. La contestation de l'ordre établi, si elle n'est pas une fin en soi, est aussi et bien souvent une nécessité.

   Le rapport de la liberté à la loi est inévitablement un rapport de tension, tout simplement parce que la liberté nous porte à vouloir dépasser l'état présent des choses [Définition philosophique de la liberté, ni trop laxiste, ni trop conformiste] que la loi s'efforce, au contraire, de maintenir et de préserver de toute perturbation. Cette situation évoque ce que le philosophe Diderot [Référence philosophique] appelle, en jouant sur le paradoxe, un « droit d'opposition ». Evoquant le pouvoir du despote éclairé, il met en garde contre la tendance à endormir le peuple en le privant de son droit de délibérer et de s'opposer : « Ce droit d'opposition, tout insensé qu'il est, est sacré : sans quoi les sujets ressemblent à un troupeau dont on méprise la réclamation, sous prétexte qu'on le conduit dans de gras pâturages. » Réfutation d'Helvétius.

   Etrange droit que ce droit qui entend contester le droit, mais dont Diderot nous dit qu'il est au-dessus des autres (il est « sacré ») et qui évoque aussi bien Antigone (héroïne de la tragédie de Sophocle) que Gandhi ou Nelson Mandela.[Exemples] Mais quelle idée aurions-nous de notre liberté, si nous devions, par conformisme ou lâcheté, en oublier le principe ?

 

 

Conclusion : [Il s'agit de tirer un bilan rapide du cheminement argumentatif adopté et de donner une réponse ferme à la question posée en guise de sujet.]

   Nous sommes partis de l'idée selon laquelle la liberté s'identifie aux multiples refus de la conscience et à cette image de l'indépendance où se retrouvent les figures sympathiques de l'artiste bohème, du marginal ou du routard. La critique de cette première approche, basée sur le lien entre liberté et réflexion, entre liberté et état de droit, a permis de percevoir les limites d'une définition qui ne retiendrait que la dimension de contestation ou d'opposition. Mais il est aussi apparu nécessaire de ne pas réduire la liberté à l'obéissance à un état de droit donné puisque c'est sa contestation et son dépassement qui constituent la dynamique de l'histoire et de la liberté. [Récapitulatif du cheminement de la réflexion argumentée] Être libre, ce n'est pas seulement « dire non », car il y aurait de la facilité à s'en tenir là, mais c'est aussi, à l'encontre d'autres facilités, également tentantes, comme le conformisme, avoir le courage d'oser le dire quand on estime légitimement que les conditions ne sont pas requises pour qu'elle puisse, cette liberté, s'exprimer dans sa vraie nature.[Réponse définitive à la question initiale. Fin de la dissertation]

 



06/12/2023
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