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Napoléon Bonaparte (1769-1821)

NAPOLEON ET « SON » TEMPS

 

 

 

   Sens de l'Etat, défense des idées de la Révolution, génie militaire pour les uns, dictature, népotisme et boucheries inutiles pour les autres, la figure de Napoléon ne peut, quoi qu'il en soit, susciter l'indifférence.

   Cette brève période de l'Histoire (1799-1815) résonne avec tant d'intensité dans la mémoire et l'imaginaire collectif qu'elle mérite un éclairage.

 

Une jeunesse austère mais fructueuse

 

   Napoléon, fils de Letizia et Charles Bonaparte, naît en 1769 en Corse, récemment devenue française. Cette famille, d'origine italienne, appartient à la noblesse de l'île et vit non seulement dans un relatif confort mais surtout dans une ferveur patriotique, cultivée dans les cercles proches de Pascal Paoli, le héros exilé en Angleterre.

   Le ralliement de Charles au camp français permet à ses enfants d'obtenir une place dans les grandes écoles françaises : école militaire de Brienne pour Napoléon, Saint-Cyr pour Elisa (école de jeunes filles à l'époque).

    Seul, moqué par les autres pour son accent italien et son manque d'ascendance noble, soumis à un règlement strict, il se réfugie dans le travail et dans l'idéalisation de sa terre natale, la Corse, qu'il veut indépendante. Ses facilités en mathématiques et sa lecture assidue des grands classiques (Virgile, Homère, Tite-Live, Racine, Corneille…) lui permettent d'intégrer la prestigieuse Ecole militaire de Paris dans laquelle il va choisir la formation d'artilleur puis de rejoindre rapidement le régiment de la Fère, diffuseur d'idées nouvelles, notamment celles de Guibert, à propos du principe divisionnaire.

 

De la révélation à la consécration

 

   Son premier fait d'armes est le siège de Toulon, ville soutenue par les Anglais, où, disposant de l'artillerie, il réussit à la placer idéalement pour faire plier les forts alentours. Ce succès lui permet de passer sous la protection des Robespierre, défenseurs de l'armée d'Italie où Bonaparte commande l'artillerie, et ce jusqu'à leur exécution en 1794. Ecarté des grandes responsabilités, Napoléon ne doit alors son salut qu'à l'insurrection royaliste qui menace de renverser la Convention. Il organise la défense du palais des Tuileries en disposant méthodiquement ses canons pour bloquer la progression des insurgés, manœuvre qui obtient un franc succès. La vie mondaine à laquelle il goûte peu de temps après lui permet de faire la connaissance du milieu bourgeois mais aussi du milieu féminin. C'est en effet à ce moment qu'il tombe sous le charme de Joséphine de Beauharnais, une veuve plus âgée que lui mais qui n'a rien perdu de sa beauté.

   Son mariage intervient juste avant son départ pour l'Italie en tant que commandant en chef de l'armée d'Italie. C'est dans cette campagne qu'il va connaître la gloire des armes.

   Disposant d'une armée peu nombreuse, mal équipée, démoralisée, mal commandée et sacrifiée au profit des armées du Nord, il va effectuer des miracles. Son charisme, qui impressionne Masséna et Augereau, généraux expérimentés, subjugue littéralement les troupes. Les promesses de gloire et de richesses se concrétisent avec l'entrée dans Milan suite à la victoire sur les Piémontais mais plus encore avec la victoire de Rivoli sur les Autrichiens et l'armistice demandé par François II. En Italie, Napoléon s'entoure d'une véritable cour, digne d'un « proconsul » de la Rome antique. Mais il développe aussi une vaste propagande autour de sa personne et laisse de nombreux pillages s'effectuer dans le pays. L'expédition d'Egypte qui voit la destruction de la flotte française à Aboukir par l'amiral Nelson puis l'échec devant Saint-Jean-d'Acre n'entachent pas son image et son retour en France est triomphale. C'est désormais le politique qui prend le pas sur le militaire. Lors de la séance houleuse au Conseil des Cinq-Cents, l'échec eut été consommé sans la force de persuasion de Lucien, le frère de Napoléon, qui rallie les grenadiers présents. Murat leur commande alors d'évacuer tous les députés (le fameux « Foutez moi tout ce monde là dehors ! »). C'est la fin du Directoire et le succès du « coup d'Etat consulaire ». L'abbé Sieyès, partisan du début, est progressivement écarté. Talleyrand est nommé à l'extérieur, Fouché à la police et la Constitution est adoptée, renforçant l'exécutif et notamment le pouvoir du premier des trois Consuls, en l'occurrence Bonaparte. Les entraves démocratiques ne sont pas absentes ; élections truquées, presse censurée. De nouvelles institutions, « les masses de granit », en référence à leur prétendue solidité, sont créées : Banque de France, préfectures, justice réorganisée…

   En 1800, la seconde campagne d'Italie a lieu face à des Autrichiens à nouveau menaçants. Le mythique franchissement du col du Grand-Saint-Bernard et la victoire inespérée de Marengo marquée par la charge magnifique des dragons de Kellermann et la mort de Desaix, brillant général de l'expédition d'Egypte, font partie, après le 18 Brumaire, des actes fondateurs du régime.

   Peu après, la tentative d'assassinat du premier Consul par les royalistes ( la « machine infernale » ) accentue la pression policière exercée par Fouché tandis que Napoléon règle la question religieuse grâce au Concordat ; désormais les prêtres sont considérés comme fonctionnaires et les évêques sont nommés par l'Etat. Puis il organise un plébiscite autour de la question du consulat à vie et qui lui est largement favorable. Le Sénat se plie alors à la volonté du peuple.

   Les difficultés extérieures aboutissent à la rupture de la paix d'Amiens et à la déclaration de guerre de l'Angleterre. Napoléon se prépare alors à une invasion de l'île en réunissant une armée, l'armée des Côtes de l'Océan, future Grande Armée, au camp de Boulogne. Une flottille, «  la poussière navale », composée de petits bâtiments spécialisés est construite. Mais l'événement politique majeure, qui intervient ce 2 décembre 1804, est le sacre de Napoléon Bonaparte devenu Napoléon Ier, et l'avènement du premier Empire. Pie VII donne une légitimité à la cérémonie, David immortalise ce moment dans son célèbre tableau, l'aigle déployé devient le symbole de l'Empire et l'hérédité devient le critère de la succession impériale.

   Il reste désormais à asseoir son régime ; les victoires de la Grande Armée, dont la fonction n'est plus l'invasion de l'Angleterre suite au désastre de Trafalgar mais la conquête et la mise au pas de l'Europe continentale, seront un puissant atout.

 

 

 

 

Un génie militaire sans précédent

 

   « La guerre est un art simple et tout d'exécution ». Cette simplicité apparente omet le fait que ses victoires militaires reposent sur deux paramètres principaux ; son sens génial de la tactique et ses troupes, la Grande Armée.

   Napoléon révolutionne l'art de la guerre. Il collecte du renseignement avant chaque bataille grâce à ses espions, comme Schulmeister, ou en étudiant un terrain qu'il sait imposer à ses adversaires, à Austerlitz notamment où il force indirectement les troupes autrichiennes à occuper le plateau de Pratzen. Lors de la bataille, il ne laisse jamais voir son dispositif grâce à des manœuvres de « déception », un écran de cavalerie par exemple. Enfin, il sait manœuvrer son dispositif ; par exemple dégarnir son centre pour mieux attaquer les ailes.

 

 

                                      Bataille d'Austerlitz

 

   D'un point de vue stratégique, il veille à diviser au mieux ses adversaires en évitant les coalitions et est constamment à la recherche d'une bataille décisive : Austerlitz face aux austro-russes, Iéna face aux Prussiens ou encore Friedland face aux Russes.

   Il peut également compter sur la faiblesse des troupes alliées, composées de mercenaires, de conscrits peu motivés, et de son commandement, assuré par de vieux généraux peu enclins à la mobilité. A Friedland en 1807, lors de la guerre de la quatrième coalition, Napoléon obtient en partie la victoire grâce à une erreur stratégique majeure commise par le général russe Benigsen. Il ordonna en effet à ses troupes de franchir le fleuve de l'Alle et se retrouve pris en tenailles : de nombreux soldats moururent noyés une fois que la retraite fut sonnée.

   De plus, Napoléon n'aurait rien pu faire sans l'outil de ses conquêtes, la Grande Armée.

   Plus que son matériel, relativement ancien, c'est son organisation qui en fait une arme de guerre redoutable. La création du corps d'armée permet ainsi une importante mobilité (plus petit qu'une armée) et en même temps une autonomie suffisante avec une intendance, du génie…

   Les « six torrents » ( les six corps d'armée qui composent initialement la Grande Armée prévue au départ pour envahir l'Angleterre, environ 200000 hommes ), commandés par les maréchaux d'Empire, Lannes, Ney et Davout pour les plus célèbres ainsi que la réserve de cavalerie de Murat et la Garde Impériale de Bessières écrasent ainsi les armées alliées à Austerlitz.

   A côté de son organisation, c'est la mobilité de cette armée qui est décisive, mobilité obtenue grâce à l'endurance exceptionnelle de ses soldats, les « grognards », aguerries lors des campagnes précédentes, Italie notamment. Ce sont des milliers de kilomètres de marche que les soldats de la Grande Armée ont dû effectuer.

   Et ces atouts sont valorisés par un encadrement jeune et bien formé, ayant fréquenté l'Ecole Militaire de Saint-Cyr ou le Prytanée Militaire de La Flèche, crées pour l'occasion, de même que l'école d'application de l'artillerie et du génie à Metz. La prise de Dantzig par le maréchal Lefebvre en 1807 est à ce titre révélateur du rôle fondamental et combiné de ces deux armes nouvelles. De nombreuses décorations militaires, la plus prestigieuse étant la Légion d'Honneur, permettent également de soutenir le moral des troupes et favorisent l'émulation.

   La Grande Armée connaît cependant des évolutions importantes. L'épuisement progressif de la réserve de soldats et la moindre compétence des nouveaux conscrits obligent Napoléon à faire reposer l'issue de la bataille sur son artillerie. A Wagram en 1809, le centre autrichien est enfoncé grâce à une incroyable concentration de canons français qui soutiennent l'infanterie et la charge de cavalerie.

 

  

                                  Bataille de Wagram

 

   Enfin, l'armée devient de plus en plus multinationale, accueillant de nombreux contingents étrangers, polonais, dont le brillant et fidèle prince Poniatowski, ou allemands notamment. Lors de la campagne de Russie de 1812, sur les 680000 hommes rassemblés par l'Empereur, près de 500000 sont étrangers.

 

Les apports de la période napoléonienne à l'Etat, à la Nation voire à l'Europe.

 

   D'un point de vue culturel, Napoléon a provoqué, volontairement ou involontairement, un certain foisonnement littéraire, artistique, scientifique. C'est d'abord l'expédition d'Egypte en 1799, bien qu'entreprise à des fins de propagande, qui a permis des avancées archéologiques majeures. Les temples de Karnak et de Louxor sont redécouverts suite à l'expédition de Desaix en Haute-Egypte et inspirent des croquis au célèbre Vivant Denon. L'Institut d'Egypte, qui existe encore, est créé pour « y diffuser les Lumières », des relevés sont faits en vue de percer l'isthme de Suez et une œuvre monumentale, la Description de l'Egypte, permet de rassembler les connaissances acquises. Enfin, le secret de l'écriture hiéroglyphe est percé par Champollion grâce à la découverte de la pierre de Rosette.

  

 

   Napoléon profite également d'un renouveau des arts en ce début du siècle qu'il sait utiliser pour promouvoir son régime. David est à cet égard le peintre officiel de l'Empire ; ses Sabines émerveillent les salons parisiens. La sculpture, préférée par Napoléon, est principalement représentée par Canova et son Mars pacifique. Chateaubriand et son Génie du christianisme son fort appréciés du régime mais l'assassinat du duc d'Enghien éloigne progressivement l'écrivain des cercles impériaux. Il ne faut pas non plus oublier les contestations possibles du régime et notamment le fameux De l'Allemagne de Mme de Staël qui affirme la supériorité de la pensée allemande sur la pensée française.

   D'un point de vue juridique, c'est le célèbre Code Civil composé par une commission d'experts dirigé par Cambacérès et adopté en 1804 qui apparaît comme la nouveauté majeure. Le Code Pénal devra lui attendre 1810. Il défend les principes de la Révolution (liberté, égalité devant la loi, laïcité, propriété) mais consacre aussi l'avènement d'une mentalité « bourgeoise » (autorité du mari renforcée, restriction du divorce…).On peut aussi mentionner la création du conseil des prud'hommes en 1808. Napoléon réorganise également l'instruction publique en instaurant un enseignement laïc, géré par l'Etat pour le secondaire et le supérieur (création de l'Université en 1808). La discipline y est rigoureuse, la sélection importante et la priorité donnée aux lettres.

   Au niveau économique, la situation est plutôt positive. Une nouvelle monnaie est créée, le franc germinal, définie par rapport à l'or, et restera en circulation jusqu'en 1914. Parallèlement, l'industrie se développe progressivement profitant des nombreux débouchés ouverts par les conquêtes napoléoniennes. C'est le cas du coton autour de Lille, de Rouen et de Mulhouse. L'industrie chimique est également encouragée en région parisienne par le ministre Chaptal, célèbre scientifique. Enfin, l'embellissement des grandes villes, Paris en premier lieu, permet de mener une politique de grands travaux ; le palais Brongniart, commencé en 1808 mais terminé seulement en 1826 ou la colonne d'Austerlitz, place Vendôme, en sont la preuve.

   Toutefois, la France accuse un retard sur sa rivale britannique, qui commence sa Révolution Industrielle, en termes de compétitivité notamment à cause de l'absence de concurrence, les produits français étant prioritaires dans les territoires conquis.

   A l'échelle européenne, il est plus délicat de discuter des apports du Premier Empire. Lorsque Hegel parle à propos de l'Empereur d' « âme du monde », il reconnaît le caractère nécessaire, incontestable de la grandeur du personnage plutôt que son caractère positif. Il contribue toutefois à l'abolition progressive du servage et des privilèges nobiliaires dans des sociétés très archaïques, Espagne et Pologne en premier lieu, notamment en diffusant le Code Civil sur tout le continent.

 

 

Les raisons de l'effondrement du système napoléonien.

 

   Les succès de Napoléon reposaient sur une population française nombreuse, la première d'Europe après la Russie. Or, cette réserve démographique s'épuise progressivement à la suite des lourdes pertes connues par la Grande Armée même en cas de victoire (Eylau, Friedland, Bailen, Aspern, Wagram). La campagne de Russie est à cet égard l'élément conjoncturel décisif. A cette faiblesse quantitative s'ajoute une faiblesse qualitative ; les jeunes conscrits de la campagne d'Allemagne, les « Marie-Louise » ou les contingents étrangers moins motivés, ne pouvant remplacer les vétérans aguerris de la campagne d'Italie par exemple.

   Ensuite, le système napoléonien souffrait à la fois de contradiction et de sur expansion.

   -De contradiction car la volonté de véhiculer les idées de liberté, d'égalité et de justice issues de la Révolution se transformait en une occupation massive des territoires conquis et en un pillage fréquemment pratiqué, en Espagne et en Italie notamment. D'ailleurs, le népotisme de l'Empereur qui place les membres de sa famille sur les trônes d'Europe a accentué ce phénomène et provoqué un regain de nationalisme ; la population espagnole refuse par exemple un roi français, Joseph en l'occurrence. Cette contradiction trouve son apogée dans les massacres et les exécutions sommaires commises en Espagne et immortalisées par le peintre Goya et ses tableaux Dos de Mayo et Tres de Mayo.

  

 

 -De sur expansion également avec un Empire s'étalant à son apogée du Portugal jusqu'à la Russie en passant par l'Italie et le Danemark. La mobilisation de troupes pour mater l'insurrection espagnole après la capitulation de Bailen obligeait ainsi à dégarnir dangereusement le front nord-allemand.

 Ces difficultés se font sentir plus encore du fait du relèvement général des armées alliées.

   L'humiliante défaite d'Iéna de 1806 a entraîné une refonte complète de l'armée prussienne conduite de front par Scharnhorst et Gneisenau, aidés par les apports théoriques de Clausewitz ( De la guerre ) de même que les généraux russes comme Barclay de Tolly ont utilisé la tactique de la « terre brûlée » pour éviter toute bataille décisive ce que recherchait Napoléon. En outre, l'Angleterre, victorieuse sur mer après Trafalgar, accepte progressivement le combat sur terre et adopte une stratégie de guerre défensive prônée notamment par Wellington, brillant tacticien, qui souhaite éviter un affrontement direct avec Napoléon et affronte plus volontiers ses généraux.

   Ainsi, la campagne de Russie, où l'absence de batailles décisives ( la victoire de la Moskowa ne suffit pas ), le froid et le manque de ravitaillement déciment les troupes,  puis celle d'Allemagne, conclue par la défaite de Napoléon lors de la « Bataille des Nations » à Leipzig en 1813 face à des coalisés deux fois supérieurs en nombre,  et celle de France entraînent la fin de l'Empire.

   L'épisode des Cent-Jours après son retour de l'île d'Elbe et la défaite de Waterloo, « morne plaine » se rattachent à cet effondrement. L'exil sur l'île de Sainte-Hélène est l'aboutissement tragique de ce parcours, certes entaché, mais incontestablement glorieux.

   La France se retrouve quant à elle avec ses frontières d'avant les conquêtes révolutionnaires et la monarchie est restaurée, provisoirement toutefois.

                                         Article écrit par Pierre Lutet.



25/12/2008
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