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"Psychanalyse des contes de fées" de B. Bettelheim

La Psychanalyse des contes de fées

Bruno Bettelheim (1903- 1990 )

Essai, Autriche, 1976

 

 

Résumé :

 

   Les contes de fées plongent leur substance dans une réserve parfois très ancienne de mythes et d'histoires folkloriques d'abord transmis par voie orale, ensuite par écrit. Les deux principaux « collecteurs » et adaptateurs de ces histoires sont Charles Perrault, auteur français du XVII° siècle, et Jacob Grimm, auteur germanique du XVIII° siècle.

   Bruno Bettelheim a étudié ces contes à la lumière de la psychanalyse et affirme que chaque conte correspond à un ou plusieurs stades de l'évolution de l'enfant vers la maturité et lui offre des réponses adéquates aux questions de ces moments critiques.

   L'auteur commence par poser une question importante : pourquoi les contes de fées sont-ils généralement mal perçus ? Plusieurs raisons sont exposées : les contes sont malsains parce qu'ils ne représentent pas la vie réelle, les adultes ont peur de mentir aux enfants, peur aussi que ces derniers ne se réfugient dans l'imaginaire ; ils sont également gênés de la présence de monstres et de sentiments agressifs. Or, d'après l'auteur, l'imaginaire nourrit l'enfant à un niveau symbolique (d'où la nécessité de raconter des histoires appropriées, sans donner d'explications), les monstres sont en nous et il vaut mieux se familiariser avec eux, les apprivoiser pour diminuer l'angoisse ; enfin, il est certain que l'enfant ne nourrit pas que des sentiments positifs envers ses parents et vice-versa. Le conte de fées, par son dénouement heureux, donne confiance en l'avenir à l'enfant qui se sent parfois anéanti.

   Il est bien connu que, pour les psychanalystes, le noeud de l'évolution humaine est la résolution heureuse du complexe d'Oedipe, sinon, pas de salut, c'est-à-dire pas d'accès à la maturité. D'où l'importance donnée à ce passage dans les histoires, même si le thème dominant est différent.

 

Quelques exemples :

 

   Dans Jeannot et Margot, ou Hansel et Gretel, les enfants doivent dépasser le stade de l'amour oral (stade buccal ou stade oral) qui les lie à la mère : celle-ci, pour les amener à se détacher, les perd dans la forêt où ils rencontrent une maison en pain d'épices gardée par une sorcière (la « mauvaise mère » qui oblige à grandir). Après avoir dévoré la maison et brûlé la sorcière, les enfants trouvent un trésor de joyaux, autrement intéressants que la nourriture.

   Le Petit Chaperon rouge se rapporte à l'éveil sexuel chez la fille pubère qui désobéit à sa mère, n'est pas encore mûre pour vivre sa sexualité avec un homme (le loup) et a besoin que le chasseur (image paternelle rassurante) vienne la délivrer.

   La Belle au bois dormant développe le thème du passage à la puberté pour la jeune fille. Il est inéluctable qu'elle se pique au fuseau suivant la prédiction de la fée. Le sang est celui des règles, la montée de l'escalier, la clé dans la serrure, la vieille femme au fuseau sont des symboles sexuels mais la puberté engendre une sorte de léthargie (repos nécessaire à la fille) et ce ne sera qu'au moment voulu que le prince péné­trera dans la forêt d'épines et la réveillera femme.

   Boucle d'or et les trois ours est une histoire de recherche d'identité et de rivalité fraternelle. Boucle d'or essaie des objets appartenant au père ours : elle les trouve trop durs ou trop grands et ne peut donc s'identifier à leur propriétaire; ceux de la mère sont trop mous, trop enveloppants et ne lui correspondent pas non plus. Ce sont les objets de l'enfant qui lui conviennent mais elle défonce le siège : elle n'est donc plus une enfant. Le conte ne donne pas de solution car la fillette prend la fuite.

   Le cycle du fiancé animal (par exemple, La Belle et la Bête, Le Roi-grenouille, Rose blanche et Blanche-Neige) mon­tre que les êtres (surtout les filles) doivent surmonter la peur et le dégoût envers la sexualité, se familiariser avec elle pour parvenir à une vraie relation avec l'autre. Dans Le Roi-grenouille, la jeune fille, qui a retrouvé sa balle d'or grâce à une grenouille, doit accepter que celle-ci mange dans son as­siette, s'assoie sur sa chaise, dorme dans son lit. De dégoût, la fille jette la grenouille contre le mur et délivre ainsi un charmant prince dont elle devient amoureuse.

   Il ne s'agit ici, bien sûr, que de quelques exemples. Le livre illustre ces différents thèmes (ainsi que d'autres) en les appro­fondissant.

 

Pistes de lecture :

 

A l'école de l'individualisme.

 

   Bruno Bettelheim est né à Vienne en 1903 dans une famille juive bourgeoise et cultivée, à cette époque privilégiée où la capitale autrichienne est le creuset des idées audacieuses en matière de philosophie, d'art et de science.

   L'atmosphère dans laquelle il passe sa jeunesse est pertur­bée : les séductions du socialisme (avec les excès imprévisibles et cruels quelques années plus tard) l'orienteront vers la politique car il rêve d'une société égalitaire; d'autre part, les idées diffusées par Freud, un autre Viennois, sont très in­fluentes dans les milieux intellectuels et prônent plus la trans­formation des individus qui composent une société plutôt que de cette dernière. C'est finalement la voie psychanalytique que l'auteur choisira.

 

Recherches sur l'autisme.

 

   L'expérience d'une année passée au camp de concentration de Dachau fera germer en lui un idéal bien concret : il comparera l'enfermement et la douleur concentrationnaires à la souffrance d'une autre forme d'isolement et de diminution : la maladie autistique (perte de contact avec la réalité, impossibilité de communiquer avec autrui) et désirera créer, à l'inverse des camps nazis, un univers idéal d'où seraient exclues toutes formes de traumatismes pour guérir la terrible maladie. Son postulat réside dans le fait que l'origine du trouble est une relation défectueuse avec la mère. Il veut donc séparer l'enfant de celle-ci et de son environnement primitif pour en créer un autre, totalement à l'écoute des besoins de l'enfant.

   Ses théories auront un grand retentissement : peu après la guerre, l'Université de Chicago lui confie la direction d'une école pour enfants autistes, qui deviendra l'école orthogénique : il y consacre, pendant près de trente ans, toute son énergie. Parallèlement, il tire de ses observations une littérature importante : La Forteresse vide (1969), Dialogue avec les rudes (1973), Un Lieu où renaître (1975), Psychanalyse des contes de fées (1976), Les Blessures symboliques (1977). En 1973, il se retire en Californie.

   Si certains de ses observateurs ont vanté ses résultats surprenants, d'autres ont vivement contredit ses théories : l'autisme ne serait pas une maladie relationnelle mais bien d'origine génétique. Quoi qu'il en soit, la générosité, l'intelli­gence et la contribution de Bettelheim à la connaissance du fonctionnement humain restent indéniables.

 

Contes de fées mis à nu.

 

   Pour mettre au point cette étude, Bruno Bettelheim a fourni un travail considérable de recherche et de collationnement des mythes et des récits folkloriques. Avant lui, plusieurs auteurs, anthropologues et historiens, avaient creusé la ques­tion des origines des contes : théorie « indianiste » de Théodor Benfey, thèse historiciste du soviétique Vladimir Propp, recherches de motifs initiatiques et saisonniers par le Français Pierre Saintyves, approche psychanalytique jun­gienne de Mme Loefler-Delachaux.

   L'approche psychanalytique freudienne de Bettelheim se différencie des autres par son aspect directement pédagogi­que. A toute difficulté ou souffrance de l'évolution corres­pondrait une solution véhiculée par les contes. L'important (et ce n'est pas la chose la plus simple !) est que le conte soit raconté avec expression et non lu, choisi avec discernement pour qu'il corresponde exactement au stade de l'évolution et, enfin, que l'on se garde bien de toute interprétation qui romprait le charme d'un contact direct avec l'inconscient.

   Les contes sont valables tout autant pour les adultes que pour les enfants et l'adulte qui n'a pas bénéficié de ce bon « engrais » durant son enfance serait toujours un être mal adapté à la vie et en recherche de solutions à ses problèmes.

   Si, à sa parution (1976), certains ont considéré que l'ou­vrage réduisait les contes à des histoires de sexualité familiale (alors qu'il faut les renvoyer aux archétypes populaires, au-delà du temps historique), d'autres ont apprécié à juste titre la contribution importante de Bruno Bettelheim à la connais­sance et à l'éducation de l'individu.

 

 



12/10/2008
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