Qu'est-ce que la philosophie ?
Qu'est-ce que la philosophie ?
On reproche parfois à la philosophie, pour autant qu'on y prête attention, d'être en concurrence ouverte avec la plupart des savoirs constitués et, en particulier avec les sciences. D'aucuns la travestiraient même volontiers en science de l'homme.
Il y a sans doute là une indication : elle « pense » en effet, comme le montre la simple consultation d'un manuel scolaire de philosophie : la culture, la technique, la religion, la démonstration, le vivant, deux notions d'ailleurs plus familières au vivier scientifique, la justice, le droit, les échanges, notions dont on ne voit pas au premier coup d'œil ce que la philosophie peut bien leur vouloir. [Liste de notions non exhaustive] Elle pense, en somme, ce qui est déjà constitué pour en comprendre le procès (le processus) de constitution en tant que, dans ce procès, c'est l'homme lui-même qu'elle comprend. Et si la philosophie est réflexion sur la nature, c'est dans la mesure où la question de la nature ne peut pas être indifférente à l'homme qui a à agir dans cette nature. Et la réflexion sur la nature ou les facultés de l'homme a immédiatement une dimension philosophique car elle permet de s'interroger sur ce dont l'homme est capable. La reprise socratique de l'adage de Delphes : « Connais-toi toi-même » prend ainsi tout son sens : apprends à connaître ce que tu peux et ce que tu dois faire.
C'est donc de l'homme qu'il est question dans la philosophie, de l'homme comme être rationnel-raisonnable, de son « penser » et de son « vouloir ». Mais cette réflexion est elle-même une pensée, c'est-à-dire qu'elle se développe au moyen du concept, en dehors de l'intuition et de l'image, en dehors du sentiment et de la représentation dont elle propose le contenu en sa vérité.
La tâche de la philosophie est précisément de penser ce qui est, de le comprendre dans sa rationalité. Telle est aussi la difficulté de la philosophie, dans ce qu'on a pu appeler son abstraction et qui n'est en fait rien d'autre que la richesse infinie du réel élevée à l'intelligibilité du concept.
Il est toutefois un aspect qu'il faut souligner : si la philosophie est réflexion sur la question de l'homme, le point le plus haut de cette réflexion concerne l'homme en tant qu'il est l'être en qui et par qui il est question de l'infini. Des rares fragments qui nous sont parvenus de la philosophie avant Socrate, à la philosophie contemporaine, cette question n'a cessé d'habiter la pensée de l'homme. On peut en ce sens dire que la question ultime de la philosophie est celle de Dieu et que les différentes philosophies n'ont été que l'élaboration et l'approfondissement de cette Idée (Dieu) au plan de l'Être comme à celui de la Valeur. Qu'ils aient été athées ou croyants, tous les philosophes, chacun à sa manière ont cherché à résoudre - dans les conditions de leur époque - le problème de l'absence de l'Infini dans le monde.
Nous sommes ainsi conduits à une caractéristique de la philosophie qui est souvent retenue contre elle : la pluralité des systèmes philosophiques, et l'impossibilité de décider de la vérité ou de la fausseté d'un seul d'entre eux. Ce n'est pas seulement à propos de la métaphysique, mais de l'ensemble des philosophies qu'on pourrait reprendre le mot de Kant : il ne serait qu'un champ de bataille, et chaque philosophe espère, en vain, livrer la dernière et la gagner. On pourrait, au contraire, estimer que cette diversité des philosophies constitue la richesse même de la philosophie, non en ce sens qu'elle offrirait à la curiosité une quantité toujours plus grande de systèmes, mais en ce sens qu'elle serait comme le miroir de l'esprit au travail. Il semble difficilement contestable que toute philosophie soit : « fille de son temps », et nous pouvons lire en elle la manière dont ce temps s'est compris lui-même au plan du concept. Et si toutes les philosophies reprennent les mêmes questions de l'Être et de la Valeur, du connaître et de l'agir, c'est sans doute qu'elles sont inévitables pour l'homme qui ne s'en remet pas à d'autres quand il s'agit du sens de son existence. Mais ces questions sont reprises dans les conditions d'une époque déterminée, qui hérite par surcroit de l'approfondissement théorique produit par les époques antérieures. Pensée dans son histoire, la diversité des philosophies est le signe du travail de l'esprit sur lui-même.
Savoir où en est arrivé l'esprit dans ce travail par lequel il se fait lui-même est la condition de la liberté du penser qui est plus que la liberté de pensée, condition de l'autonomie de l'homme capable de s'orienter consciemment dans le monde. « Non pas apprendre des philosophies, mais apprendre à philosopher » (Kant). Certes la philosophie est une activité intellectuelle spécifique, mais le philosophe a aussi pour tâche d'amener ceux qui l'écoutent à la pensée consciente de soi, c'est-à-dire libre.
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