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Raccourci autour de l'évolution de la pensée philosophique

Raccourci de philosophie


   Une question qui, en elle-même est déjà bien philosophique et comme l’affirme Karl Jaspers, " En philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question ". D’où le reproche classique d’un incessant bavardage, qui n’a de cesse de questionner sans jamais pouvoir apporter de réponse claire et définitive.

   C’est que la philosophie apporte une multiplicité de réponses. Elle se distingue alors nettement du problème scientifique qui, s’il est correctement posé, a une solution. La question métaphysique du vide, devenue scientifique, a été résolue. Mais il suffit de lire Kant ou Bergson pour se rendre compte que la question philosophique du vide n’a pas été scientifiquement abolie.

   La définition est d’abord étymologique ou historique. Mais son histoire suppose que l’on ait résolu les trois problèmes suivants :

 

 

 

DÉLIMITATION DE SON CHAMP

 

 

 

   Quelle est sa spécificité ? Quelles que soient les divergences, il n’y a de philosophie que là où il y a une pensée rationnelle, capable de se critiquer et de se justifier. Suffisant pour la distinguer de la croyance religieuse, ce trait la distinguerait aussi des sciences positives. Il n’y a pas de loi scientifique qui ne soit une règle d’action sur les choses ; la philosophie est, quant à elle, pure spéculation, sans autre volonté que celle de comprendre. Mais que dire de l’immatérialité de l’âme, qui chez Descartes est rationnellement prouvée mais constitue pour Locke une vérité de foi ? La philosophie ne saurait être scindée du reste des valeurs spirituelles qu’elle critique et transforme. Rester en contact avec les autres disciplines de l’esprit est une constante de la philosophie.

 

PARCOURS

 

A-T-ELLE UNE LOI DE DÉVELOPPEMENT OU LA PHILOSOPHIE N'EST-ELLE QU'UNE JUXTAPOSITION DE SYSTÈMES ?

 

   L’idée d’une histoire de la philosophie à la Renaissance.

 

   L’idée de considérer l’histoire de la philosophie dans l’ensemble et l’unité de son développement est une idée relativement récente. Elle est un de ces aspects de ces doctrines du " progrès de l’esprit humain " qui se font jour à la fin du XVIIIe siècle. Ainsi, la philosophie d’Auguste Comte comme celle de Hegel incluent en elles, comme élément nécessaire une histoire des démarches philosophiques. L’esprit humain ne se définit pas en dehors de sa propre histoire.

 

   Notre histoire de la philosophie est véritablement née à l’époque de la Renaissance, lorsqu’on découvrit en Occident les compilateurs de la fin de l’Antiquité : Plutarque, dont les écrits renferment un traité Sur les Opinions des philosophes, les Vies des philosophes de Diogène Laërce… Il suit de là que l’histoire se limite d’abord à la philosophie antique, jusqu’au premier siècle de notre ère. L’histoire antique postérieure s’introduit grâce à l’étude des œuvres néo-platoniciennes. L’Antiquité se trouve ainsi complètement séparée du Moyen Âge. Marsile Ficin fait connaître Platon et Plotin ; dans la première moitié du XVIIe siècle, Juste Lipse étudie les textes connus sur les stoïciens ; Gassendi cherche à donner un portrait fidèle d’Épicure. De cette recherche, on ne recueille qu’une fragmentation de la pensée philosophique en une infinité de sectes (académiciens, pyrrhoniens…).

 

   La représentation que les rationalistes ont de l’histoire de la philosophie, comme histoire d’une décadence continue de l’esprit humain, tient d’un schéma traditionnel, hérité de la Cité de Dieu de saint Augustin : la philosophie part du commencement du monde ; les Grecs ont menti en disant qu’ils étaient les premiers philosophes ; ils ont en réalité emprunté leurs doctrines à Moïse, à l’Égypte, et à la Babylonie. Le premier âge de la philosophie n’est donc pas l’âge grec, mais l’âge barbare. Les traditions recueillies par les Grecs dégénèrent chez eux en une infinité de sectes et aboutissent chez eux au scepticisme de la nouvelle académie, ou au néo-platonisme qui s’efforce de corrompre la philosophie chrétienne. Cette critique des Grecs provient des pères de l’Église et presque tous les philosophes du XVIIIe siècle, Voltaire en particulier qui ne cesse de railler Platon, adhèrent pleinement au vieux préjugé.

 

   Mais simultanément et dès le XVIIe siècle, la conception de l’histoire se transforme : le thème nouveau, c’est l’idée que l’unité de l’esprit humain reste visible à travers la diversité des sectes, soit que les antinomies entre les pensées ne sont qu’apparentes, soit que l’éclectisme des pensées implique de distinguer les vraies des fausses philosophies. Deux écoles s’affrontent. L’esprit d’éclectisme et de conciliation est incarné, selon Brücker (Historia critica philosophiae) par Leibniz. Pour d’autres historiens (Deslandes), le principal est de remonter à la source des pensées des hommes et de montrer comment les unes se nourrissent des autres. Cette conception trouve un appui chez les théoriciens du progrès. L’hellénisme n’est plus considéré comme une décadence, mais comme un point de départ.

 

   XIXe, le siècle des systèmes.

 

   On cherche à présent un principe de liaison interne et non plus extérieur comme le succès d’une religion particulière ou d’un empire : la philosophie a sa propre loi immanente. L’histoire ne connaît donc pas de changements radicaux, mais une marche continue selon une impulsion interne.

 

   Les historiens positivistes s’intéressent aux représentations collectives, et une vue individuelle ne vaut donc qu’en tant que reflet du collectif. L’idée d’une relation entre les systèmes prend forme avec Hegel :

   " L’histoire de la philosophie rend manifeste, dans les diverses philosophies qui apparaissent, qu’il n’y a qu’une seule philosophie à divers degrés de développement, et aussi, que les principes particuliers sur lesquels s’appuie un système ne sont que des branches d’un seul et même ensemble. " (Encyclopädie, 1817, Einleitung, § 13, 14). L’histoire de la philosophie devient l’histoire des manifestations de l’Esprit. Le passé ne s’oppose plus au présent, mais le conditionne.

   L’unité de la philosophie chez Hegel n’est pas le résultat d’une observation ou d’une induction, mais repose sur un postulat. Avec Renouvier, l’évolution de la pensée n’abolit pas les oppositions fondamentales car l’esprit humain est par nature antinomique. Parmi ces antinomies, l’une domine et à laquelle toutes les autres peuvent être ramenées, celle qui existe entre la doctrine de la liberté et celle du déterminisme. L’histoire de la philosophie est donc un dialogue intemporel entre deux thèses contradictoires et toujours renaissantes.

 

   XXe siècle : une lecture impressionniste de l’histoire de la philosophie.

 

   Le XXe siècle voit donc l’abandon de toute synthèse historique, des grandes constructions, qu’elles soient hégéliennes ou positivistes. Les histoires générales de la philosophie se font donc plus analytiques que synthétiques, et ne cherchent plus à découvrir une loi immanente de développement. Cette évolution est liée d’une part à une recherche sans cesse remise en cause par des découvertes nouvelles, qui empêchent donc de conclure sur une vision d’ensemble. Elle est liée d’autre part à la volonté, dans les travaux de recherche, de parvenir à ce qu’il y a d’individuel, d’irréductible, de personnel dans le passé. Les histoires générales du XIXe siècle s’intéressaient à la notion abstraite de philosophie. L’historien s’intéresse à présent au philosophe en particulier. S’il s’agissait autrefois de déterminer des types ou des lois, à quoi bon un exemplaire nouveau d’un type déjà connu ? L’histoire devient impressionniste.

 

   Comme Auguste Comte le prévoyait et le craignait, l’âge moderne se divise en une série de cultures spécialistes et techniques : le philosophe est aussi logicien ou épistémologiste, philosophe des religions ou de la morale, sans qu’il y ait de correspondance bien nette entre un point de vue et un autre. La vision d’ensemble se dissout en une multitude de points de vue qui ne peuvent être ramenés sur le même plan.

 

 

   La critique philologique nous montre plutôt plusieurs schèmes possibles de développement de la pensée : il y a tantôt un moment de désaccord comme en Grèce, dans la période qui a suivi la mort de Socrate, tantôt un moment d’une plus grande unité, comme dans la seconde moitié du XVIIIe siècle où dominait l’empirisme anglais. Il y a des temps où la pensée philosophique se transforme en une méthode de vie spirituelle comme chez Platon, d’autres où elle semble renoncer à sa propre valeur et cède le pas à des doctrines qui prétendent atteindre la réalité par intuition ; l’intellectualisme du XVIIIe siècle avec sa confiance en la raison est suivi de près par l’irrationalisme romantique.

   Les doctrines philosophiques ne sont point des choses, mais des pensées, des thèmes de méditation qui peuvent toujours être repris ; les idées ne sont pas des matériaux inertes, mais des germes qui veulent se développer. Platon, Aristote, Descartes ou Spinoza n’ont pas cessé d’être vivants.



06/12/2023
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