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Texte de Hume : "Le temps résulte de la sensibilité". Approche méthodologique.

Exercice de méthode pour construire une EXPLICATION DE TEXTE PHILOSOPHIQUE,

Par l'exemple …

N.B. : l'exemple de devoir rédigé que vous trouverez ici reste assez rapide et schématique pour les besoins de l'exercice. Un devoir de baccalauréat sera, de préférence, plus étoffé.

Texte de David Hume, philosophe écossais (1711-1776), extrait de son Traité de la nature humaine (1739-1740)

   « De même que nous recevons l'idée d'espace de la disposition des objets visibles et tangibles, de même nous formons l'idée de temps de la succession des idées et des impressions ; et il est impossible que le temps puisse jamais se présenter ou que l'esprit le perçoive isolément. Un homme profondément endormi, ou puissamment occupé d'une pensée, n'a pas conscience du temps ; et suivant que ses perceptions se succèdent plus ou moins rapidement, la même durée apparaît plus longue ou plus brève à son imagination. […] Si vous faites tourner avec rapidité un charbon ardent, c'est l'image d'un cercle de feu qui se présentera aux sens ; et il ne semblera y avoir aucun intervalle de temps entre ses révolutions ; uniquement parce que nos perceptions ne peuvent se succéder avec la même rapidité que le mouvement peut se communiquer aux objets extérieurs. Toutes les fois que nous n'avons pas de perceptions successives, nous n'avons pas notion du temps, même si, dans les objets, il y a réellement succession de ces phénomènes, aussi bien que de beaucoup d'autres, nous pouvons conclure que le temps ne peut se présenter à l'esprit soit isolément, soit accompagné d'un objet fixe et immuable, mais qu'on le découvre toujours dans une succession perceptible d'objets changeants. »

Remarque d'ensemble : le texte n'est pas si simple, car il mêle les descriptions concrètes très probantes et un raisonnement plus abstrait. Le candidat devra veiller à bien distinguer ces deux niveaux. Les exemples ne font-ils qu'illustrer les arguments, sont-ils eux-mêmes des arguments pratiques etc.

Pistes pour introduction : (totalement rédigée, l'introduction ressemblera à celle de la dissertation : définition de concepts-clefs, problématisation …, mais ce point de méthode sera examiné plus tard).

   Pour le moment dégageons le thème, la thèse et le mouvement du texte. Ces éléments commanderont le développement : en effet, après avoir identifié avec clarté la thèse de l'extrait proposé, l'explication de texte s'attachera à suivre autant que possible, le plan argumentatif adopté par l'auteur. Si, vraiment, ce plan « naturel » n'apparaît pas, alors le candidat se devra d'imposer à son analyse, un plan artificiel.

Thème et thèse : Hume s'interroge sur la nature du temps.

   Concernant la question du temps, Hume affirme qu'elle n'a aucune réalité indépendante d'une sensibilité. Il s'oppose ainsi à la thèse défendue par Newton, selon laquelle il y aurait une existence objective du temps.

1/ Le temps ne peut se présenter isolément ; l'esprit ne peut jamais le percevoir en tant que tel.

2/ Des exemples : l'homme endormi, le charbon ardent qu'on fait tourner, le montrent.

3/ C'est que le temps ne se découvre jamais que dans une succession perceptible d'objets changeants.

Problématique : (celle-ci sera essentiellement examinée dans la « mise en question » du texte)

   Si l'existence du temps ne renvoie qu'à l'expérience perceptive immédiate que chacun en fait en constatant la succession des objets, le temps n'est-il pas quasiment réduit à néant, à un simple phénomène psychologique rendant du coup inconsistantes et inutiles toutes les approches scientifiques objectives dont il fait l'objet. N'y a-t-il pas moyen de penser le temps dans sa double dimension subjective et objective sans que l'une nécessairement, n'annule l'autre ?

Développement :

   1/ D'une manière qui est tout à fait habituelle dans la réflexion classique, Hume montre l'analogie de l'espace et du temps (« de même que ») - on ne cite pas les phrases entières, mais à la manière de la méthodologie des commentaires littéraires en français, il s'agit d'énoncer le fragment de phrase qui fait l'objet d'une explication-. Analogie tout au moins quant à l'idée qu'on peut s'en faire.

   Donc d'emblée, Hume ne pose pas la question de la réalité de l'espace et du temps en dehors de la conscience. Si on ne peut rien dire de l'espace et du temps en soi, en revanche, il nous faut admettre que nous avons une … idée de l'espace et du temps. La question d'une réalité indépendante de l'espace et du temps ne se pose pas, car nous n'avons guère les moyens de la poser. Ce qui existe, c'est notre sensibilité qui est mise à l'épreuve des choses matérielles extérieures, ce sont les idées que nous formons à partir des impressions issues de cette sensibilité, ce sont éventuellement les choses extérieures elles-mêmes qui stimulent notre perception, encore que nous n'avons pas d'autre preuve de leur existence que celle que nous renvoie notre perception elle-même.

   Aussi bien l'idée de temps ne renvoie pas au temps (ou à l'espace) comme objet extérieur. Si les objets extérieurs se présentent à nous, i.e. se manifestent par leur présence dans ce présent même où je les perçois, il ne peut en être de même du temps, qui n'a en rien l'extériorité d'un objet. Bref, ce n'est pas le temps qui existe en tant que tel, extérieur à nous. Ce qui existe c'est seulement et uniquement l'idée de temps (en nous).

   2/ David Hume illustre cette affirmation par des exemples. D'abord celui de l'homme endormi, ou de l'homme préoccupé, qui n'a pas conscience du temps, non pas dans le sens où il n'a pas conscience d'un temps qui serait extérieur, mais bien plutôt où il n'y a pas de place dans sa conscience, à la conscience, à la pensée du temps.

   Ensuite est indiqué le rapport entre la vitesse de succession des perceptions et le sentiment de la durée qui en résulte. On remarquera que Hume introduit, sans la développer, la distinction entre le temps et la durée. Du temps en tant que tel, on ne peut pas en parler, puisqu'il n'a pas d'existence en tant que telle. A parler justement, on ne devrait employer que le terme de durée, terme désignant le temps vécu, le temps subjectif.

   Mais Hume est amené à faire pressentir cette contradiction entre la réalité et l'apparence. Il dit que l'image d'un cercle de feu se présente aux sens, et qu' « il ne semblera y avoir aucun intervalle de temps entre ses révolutions ». Il s'agit d'un semblant, car celui qui fait tourner ce charbon ardent sait bien qu'il y a réellement un intervalle de temps entre les révolutions.

   Cet écart entre l'apparence et la réalité renvoie à l'homme qui, enfermé dans son propre monde du fait même de cette sensibilité, frontière nécessaire entre son intériorité subjective et le monde extérieur objectif supposé, ne peut accéder à la réalité en elle-même et pour elle-même. Cette réalité on ne peut que la saisir par médiation, comme observateur sans la connaître en elle-même, prouesse que seul son créateur, si tant est qu'elle en ait un, peut réaliser. Cette réalité nous sommes en droit, certes, de la supposer, ne serait-ce que par l'habitude que nous avons de la côtoyer [j'observe que le jour se lève tous les matins, par ex., mais qu'est-ce que cela veut dire vraiment ? Seules des hypothèses avec des degrés de rationalité variables me sont permises] mais strictement nous n'en pouvons rien dire.

   « Même si dans les objets, il y a réellement succession », dit Hume. Mais justement, ce « même si » ne fait que renvoyer à une simple supposition, une simple hypothèse.

   3/ L'homme est uniquement dans un monde de phénomènes, si l'on entend par « phénomène » au sens fort, ce qui, selon l'étymologie grecque signifie : « ce qui apparaît », ce qui, pour reprendre l'expression du texte : « se présente », se déploie dans mon présent. Ce qui se présente comme tel, ce n'est pas la réalité en tant que telle, c'est ce qui nous est donné par et dans la sensation.

   Aussi, contrairement aux choses qui, elles, « se présentent », apparaissent sous le faisceau de notre perception, le temps, lui, ne se présente pas ; il n'a aucune matérialité. Nous imaginons sa présence par le détour même des objets du monde. Mais, pense Hume, cela, c'est entièrement de l'ordre de l'imaginaire : le temps n'a aucune réalité absolue, aucune « durabilité » ; nous apparaissant toujours changeant il se découvre « toujours dans une succession perceptible d'objets changeants ».

Intérêt du texte : il s'agit là de tirer le bilan de la thèse développée, d'actualiser l'apport intellectuel qu'elle offre dans notre compréhension actuelle du réel. Si cette thèse rejoint des approches similaires que l'on connaît, si elle apparaît comme devançant certaines idées contemporaines, c'est là le lieu de l'indiquer.

   Dans ce modèle, on fera très court, trop court, mais il s'agit d'éviter d'obscurcir la clarté de la méthode sous l'épaisseur du contenu. Donc, quelques suggestions, simplement.

   L'intérêt du texte réside dans la simplicité avec laquelle Hume assure sa démonstration : l'appui de l'expérience que tout un chacun peut vérifier, les hypothèses lentement avancées, la conclusion qui a le parfum de l'évidence.

   Aussi bien, ce qui apparaissait, sans y réfléchir, parfaitement incontestable, à savoir le caractère prétendument objectif et consistant du temps, perd tout à coup de son prestige, et le lecteur se met à douter : le temps n'est-il pas, finalement que le produit de mon imagination, qu'une simple impression subjective provoquée conjointement par le fonctionnement même de ma perception et la discontinuité des choses matérielles. C'est de cette manière qu'il s'engage pour de bon dans le chemin de la philosophie : éviter le confort de l'évidence, mais aussi ne pas remplacer une ancienne évidence par une nouvelle évidence : cette thèse-ci aussi peut-être sinon contestée, du moins relativisée, d'où la … :

Mise en question (du texte, de la thèse de Hume) Ici, il s'agit de montrer les limites ou les éventuelles contradictions ressenties à travers l'aspect apparemment restrictif de la thèse. Cette partie du devoir  ressemble à l'antithèse que l'on développe dans les dissertations conduites selon un plan dialectique. Non seulement le candidat fera appel à sa perspicacité critique, mais encore il pourra, s'il en a les moyens, s'appuyer sur d'autres thèses philosophiques contradictoires ou offrant un dépassement de ce caractère restrictif ressenti ou constaté.

   Là encore, cette mise en question sera ici trop sommaire, mais elle vise à donner une idée de l'exercice.

   A trop vouloir prouver, l'hypothèse de Hume elle-même paraît douteuse. Cette constante de la construction du temps renvoie-t-elle à une expérience sans cesse recommencée par chacun des individus, mais alors, il devrait apparaître des variations de la notion de temps d'une personne à une autre, ou bien cette constante de la représentation du temps indique-t-elle qu'il ne s'agit pas d'une représentation mais d'un cadre objectif à l'intérieur duquel se déroulent toutes les expériences humaines ?

   C'est Kant qui tentera la synthèse de ces deux positions contradictoires, en faisant du temps, et de l'espace, du reste, des formes a priori de la sensibilité : « Le temps n'est autre chose que la forme du sens interne, c'est-à-dire de l'intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. En effet, le temps ne peut pas être une détermination des phénomènes extérieurs, il n'appartient ni à une figure, ni à une position, etc. ; au contraire, il détermine le rapport des représentations dans notre état interne. », Critique de la Raison pure.

Conclusion : Adoucir la mise en question. En quelques mots, rappeler la mise en question et finir sur l'intérêt, la fécondité du texte proposé à l'explication et à la discussion.

   Ce texte est une étape dans l'histoire controversée de la notion du temps. Son intérêt est de faire le lien entre le rationalisme du XVIII° siècle (cf. : Newton, doc1.)  et le criticisme de Kant (cf. doc2.).

1/ Newton, Principes Mathématiques de Philosophie Naturelle.

   " On distingue en astronomie le temps absolu du temps relatif par l'équation du temps. Car les jours naturels sont inégaux, quoiqu'on les prenne communément pour une mesure égale du temps ; et les astronomes corrigent cette inégalité, afin de mesurer les mouvements célestes par un temps plus exact. Il est très possible qu'il n'existe pas de mouvement parfaitement égal, qui puisse servir de mesure exacte du temps ; car tous les mouvements peuvent être accélérés et retardés, mais le temps absolu doit toujours couler de la même manière. La durée ou la persévérance des choses est donc la même, soit que les mouvements soient prompts, soit qu'ils soient lents, et elle serait encore la même, quand il n'y aurait aucun mouvement ; ainsi il faut bien distinguer le temps de ses mesures sensibles, et c'est ce qu'on fait par l'équation astronomique. La nécessité de cette équation dans la détermination des phénomènes se prouve assez par l'expérience des horloges à pendule, et par les observations des éclipses des satellites de Jupiter. "

   " Le temps absolu, vrai et mathématique, en lui-même et de sa propre nature, coule uniformément sans relation à rien d'extérieur, et d'un autre nom est appelé Durée "

   " Le temps relatif, apparent et vulgaire, est une mesure quelconque, sensible et externe de la durée par le mouvement (qu'elle soit précise ou imprécise) dont le vulgaire se sert ordinairement à la place du temps vrai : tels, l'heure, le jour, le mois, l'année ".

2/ Kant, Critique de la raison pure, « Esthétique transcendantale ».

   Le temps n'est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux choses comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste, si l'on fait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition ; dans le premier cas, en effet, il faudrait qu'il fût quelque chose qui existât réellement sans objet réel. Mais dans le second cas, en qualité de détermination ou d'ordre inhérent aux choses elles-mêmes, il ne pourrait être donné avant les objets comme leur condition, ni être connu et intuitioné a priori (…) ; ce qui devient facile, au contraire, si le temps n'est que la condition subjective sous laquelle peuvent trouver place en nous toutes les intuitions. Alors en effet cette forme de l'intuition interne peut être représentée avant les objets, et par suite, a priori ".

 

 

 

 

  

 

 



11/11/2008
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