Vie et doctrine d'Auguste Comte
Fiche sur Auguste COMTE (1798-1857)
Né à Montpellier dans une famille royaliste et catholique, Auguste Comte est reçu, alors qu’il n’a que 16 ans, à l’école polytechnique. Ce pourrait être le début d’une brillante carrière officielle, mais Comte n’a pas le profil. Renvoyé de l’école pour insoumission, il n’aura le plus souvent comme moyen de subsistance, que les leçons de mathématiques qu’il donne ici ou là. Nommé répétiteur d’analyse et de mécanique à l’Ecole polytechnique en 1832, puis examinateur d’admission en 1836, il se verra retirer cette fonction en 1844, et son emploi de répétiteur en 1851. Malgré ses demandes réitérées, il n’obtiendra jamais le poste de professeur auquel il prétendait à Polytechnique, et pas davantage la chaire d’histoire générale des sciences positives qu’il aurait voulu faire créer à son profit au Collège de France.
L’Œuvre de Comte est en rapport étroit avec les évènements de sa vie. Deux rencontres capitales président aux deux grandes étapes de cette œuvre. En 1817, il rencontre Saint-Simon, le prophète de la révolution industrielle, dont il devient le secrétaire. Il collabore aux publications de Saint-Simon (« L’Organisateur » , « Le Système Industriel » ) et conçoit dès ce moment la création d’une science sociale et d’une politique scientifique. Dès 1826, en possession des grandes lignes de son système, Comte ouvre chez lui, à Paris, un « Cours de philosophie positive » rapidement interrompu par une dépression nerveuse. Il reprend cet enseignement en 1829. La publication du « Cours » débute en 1830 et s’échelonne en six volumes jusqu’en 1842. Dès 1831, Comte avait ouvert un cours public et gratuit d’astronomie populaire destiné aux « ouvriers de Paris ». Il en publie la Préface en 1844, sous le titre : Discours sur l’esprit positif.
C’est en octobre 1844 que se situe la seconde rencontre capitale qui va marquer un tournant dans la philosophie d’Auguste Comte. Il s’agit de la sœur de l’un de ses élèves : Clotilde de Vaux. Au printemps 1845, notre philosophe de 47 ans déclare sa flamme à cette femme de 30 ans : « Je vous considère comme ma seule et véritable épouse non seulement future, mais actuelle et éternelle. » Clotilde lui offre sinon son amour, du moins son amitié. C’est « l’année sans pareille » qui se termine par la mort de Clotilde, le 6 avril 1846. Comte sent alors sa raison vaciller, mais il se remet courageusement au travail. Entre 1851 et 1854, paraissent les énormes volumes du Système de politique positive, ou Traité de sociologie instituant la religion de l ’humanité. Depuis 1847, Comte s’est proclamé grand-prêtre de la religion de l’Humanité. Il institue le « Calendrier positiviste », dont les Saints ne sont autres que les grands penseurs et grands savants de l’Histoire, et il forge les devises : « Ordre et Progrès », « Vivre pour autrui », « L’Amour pour principe, l’Ordre pour base, le Progrès pour but ». Il meurt en 1857.
Comte est parti d’une critique scientifique de la théologie pour terminer en prophète. On comprend alors que certains aient contesté l’unité de sa doctrine peut-être un peu trop inspirée, surtout pour un penseur qui fait de la science la seule matrice vraiment mature de la connaissance et de la vérité, par son amour platonique pour Clotilde.
Toutefois, même si la rencontre avec Clotilde a donné à son œuvre un ton nouveau, il est certain que Comte, dès avant le Cours de philosophie positive a toujours pensé que la philosophie positiviste, i.e. en somme la science telle que nous l’entendons aujourd’hui, dans sa dimension expérimentale et son ambition d’exhaustivité, devait finalement aboutir à des applications politiques et à la fondation d’une religion nouvelle.
La philosophie de l’Histoire telle que Comte la conçoit est, d’une certaine façon, aussi idéaliste que celle de Hegel. Pour Comte, « les idées gouvernent et bouleversent le monde », et c’est l’évolution de l’intelligence humaine qui commande le déroulement de l’Histoire. Comme Hegel, encore, Comte pense que nous ne pouvons connaître l’esprit humain qu’à travers les œuvres successives - œuvres de civilisation, œuvres de la pensée, œuvres artistiques, œuvres scientifiques … - que l’intelligence a tour à tour produites au cours de l’histoire. L’esprit ne saurait se connaître de l’intérieur (Comte rejette l’introspection, parce que le sujet connaissant s’y confond avec l’objet étudié, et que nul ne peut se mettre à la fenêtre pour se voir passer dans la rue ! » . La vie spirituelle authentique n’est pas une vie intérieure ; c’est l’activité de la pensée, et singulièrement l’activité scientifique qui se déploie à travers le temps.
L’esprit humain, dans son effort pour expliquer l’univers, passe successivement par trois états :
1. L’état théologique ou « fictif », explique les phénomènes naturels par l’action volontaire d’être surnaturels (par exemple la tempête sera expliquée par un caprice du dieu des vents, Eole). Cet état évolue du fétichisme au polythéisme, et du polythéisme au monothéisme.
2. L’état métaphysique ou « abstrait », remplace les dieux par des entités abstraites, comme « l’horreur du vide », longtemps attribuée à la nature (depuis Aristote, le promoteur de cette thèse). On expliquera la tempête, par exemple, par la « vertu dynamique » de l’air. Cet état est, au fond aussi anthropomorphique que le premier : l’homme projette spontanément sa propre psychologie sur la nature. L’explication métaphysique a surtout pour Comte une importance historique comme critique et négation de l’explication théologique précédente.
3. L’état positif ou « scientifique », est celui où l’esprit renonce à chercher les fins dernières et à répondre aux ultimes « pourquoi ». A la notion de cause (transposition abusive de notre expérience intérieure du vouloir sur la nature), il substitue la notion de loi. On se contentera de décrire comment les faits se déroulent, de découvrir les lois (exprimables en langage mathématique) selon lesquelles les phénomènes s’enchaînent les uns aux autres. Une telle conception du savoir débouche directement sur la technique ( le positivisme marque la fin de la vocation « théorique » , « théorétique » des sciences conçues comme contemplation de l‘universel. Celles-ci sont appelées désormais à ne trouver de sens que dans la « pratique », dans leur entière dévotion à la technique) . La connaissance des lois positives de la nature nous permet, en effet, lorsqu’un phénomène est donné, de prévoir le phénomène qui suivra et, éventuellement, de transformer le second en agissant sur le premier : « Science, d’où prévoyance, d’où action ».
Ajoutons que, pour Auguste Comte, la loi des trois états n’est pas seulement vraie pour l’histoire de notre espèce ; elle est aussi vraie pour le développement de chaque individu. L’enfant, d’une certaine manière, donne des explications théologiques ; l’adolescent est métaphysicien ; l’adulte parvient à une conception « positiviste » des choses.
Au cours de l’histoire, toutes les sciences ne sont pas devenues « positives » à la même époque, mais dans un certain ordre de succession, qui correspond à la classification que voici : mathématiques, astronomie, physique, chimie, biologie et sociologie.
Cet ordre correspond à l’ordre historique de l’apparition des sciences positives. Les mathématiques se constituent dès l’Antiquité en discipline positive ; l’astronomie découvre très tôt ses premières lois positives ; la physique attend le XVII° siècle avec Galilée et Newton, pour devenir scientifique ; le tour de la chimie vient au XVIII° siècle avec Lavoisier ; la biologie est une discipline positive à partir du XIX° siècle ; et Comte lui-même pense couronner l’édifice en créant la science positive des phénomènes sociaux, ou « sociologie ».
Des mathématiques à la sociologie, l’ordre est aussi celui du plus simple au plus complexe, du plus abstrait au plus concret et d’une proximité croissante par rapport à l’homme.
Les sciences les plus complexes et les plus concrètes dépendent des sciences les plus abstraites. D’abord, les objets de ces sciences dépendent les uns des autres. Les êtres vivants sont soumis, non seulement aux lois particulières de la vie, mais aussi aux lois plus générales (physiques et chimiques) de tous les corps : un animal est soumis, comme la matière inerte aux lois de la pesanteur. De même, les méthodes d’une science supposent connues celles des sciences qui la précèdent dans la classification. Il faut être mathématicien pour faire de la physique ; et un biologiste doit avoir des connaissances en mathématiques, en physique et en chimie. Cependant, si les sciences les plus complexes dépendent des sciences les plus simples, on ne saurait les en déduire et les y réduire. Les phénomènes physico-chimiques conditionnent les phénomènes biologiques, mais la biologie est autre chose qu’une chimie organique. Comte affirme énergiquement que chaque étape de la classification introduit un domaine nouveau, irréductible aux précédents. Il s’oppose ainsi au matérialisme, qui est « l’explication du supérieur par l’inférieur ».
La dernière des sciences, que Comte avait appelée tout d’abord « physique sociale » et pour laquelle il inventa ensuite le nom de « sociologie », revêt une importance capitale. C’est dans cette ultime science que vont, en effet, se rejoindre le positivisme religieux, l’histoire de la connaissance et la politique positive. En outre, la création de la sociologie qui permet la « totalisation de l’expérience » comme aurait pu le dire Kant, permet de comprendre ce qu’est la philosophie elle-même.
Avec la sociologie, la sixième science fondamentale, qui est à la fois la plus concrète et la plus complexe et dont l’objet est l’ « humanité » elle-même, Comte achève les conquêtes de l’esprit positif. Comme chaque science dépend de la précédente, le sociologue devra connaître l’essentiel de toutes les disciplines qui précèdent la sienne. Sa spécialisation propre se confond donc - à la différence de ce qui se passe pour les autres savants - avec la totalité du savoir. Autant dire que le sociologue n’est autre que le philosophe lui-même, « spécialiste des généralités », qui enveloppe d’un regard encyclopédique toute l’évolution de l’intelligence depuis l’état théologique jusqu’à l’état positif, dans toutes les disciplines de la connaissance.
La sociologie positive est aussi appelée à devenir la « science de l’Humanité », et, à ce titre, elle est appelée à préparer l’union de tous les esprits, à achever l’œuvre d’unité que l’Eglise catholique avait partiellement accomplie au Moyen-Age, à rendre, en somme l’altruisme (concept fondé par Comte) universel et planétaire. Et pour que l’ordre social soit garanti de manière durable, il faut que la société positive ait, tout comme la société chrétienne du Moyen-Age, son pouvoir temporel (les industriels et les banquiers) et son pouvoir spirituel (les savants, les sociologues, avec à leur tête … le pape positiviste … Auguste Comte lui-même.)
La religion positive remplace le Dieu des religions révélées par l’Humanité elle-même, considérée comme le « Grand-Etre ». Cet Etre dont nous faisons partie nous dépasse cependant par le génie de ses grands hommes, de ses savants, auxquels nous devons rendre un culte après leur mort. La religion de l’Humanité transpose donc - plus qu’elle ne les répudie - les idées et jusqu’au langage des croyances antérieures. philosophe du Progrès, Comte est aussi le philosophe de l’ordre. Héritier de la Révolution, il est en même temps conservateur et admirateur de la belle unité des esprits qui régnait au Moyen-Age. On comprend qu’il ait trouvé des disciples chez les penseurs « de droite » comme chez les penseurs « de gauche ». Charles Maurras, tout comme Alain, se recommandent de lui.
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