Philoforever

Vie et doctrine de Plotin

PLOTIN

(204-269)

 

   Il naquit à Lycopolis dans la Haute-Égypte, vint à Alexandrie à 28 ans et suivit les leçons du platonicien Ammonius Saccas qui le « convertit » à la philosophie (car, dans l'école néoplatonicienne ainsi que chez les stoïciens la philosophie n'était pas simple discipline théorique, mais école de vie spirituelle destinée à transformer l'âme tout entière, à la purifier, à la tourner vers les réalités sublimes). En 243, pour connaître la philosophie des Perses, il s'engagea dans l'armée de l'empereur Gordien, survécut à ses désastres et s'établit définitivement à Rome où il ouvrit une école. Là il joint aux pratiques ascétiques (« Il avait honte d'être dans un corps » dira de lui Porphyre) un enseignement très brillant. C'est son disciple Porphyre qui prendra sous la dictée et publiera les cours de Plotin. L'ensemble comprend 54 traités qui sont groupés en six Ennéades (c'est-à-dire groupes de neuf).

   La doctrine fondamentale de Plotin est celle des trois hypostases c'est-à-dire des trois substances, des trois réalités éternelles - bien qu'elles dérivent, en termes plotiniens, qu'elles procèdent, les unes des autres.

   a) La réalité suprême, le Dieu de Plotin, c'est l'Un qui n'est point la connaissance puisque la connaissance suppose la dualité du sujet connaissant et de l'objet connu, qui n'est point l'Être mais bien plutôt la source ineffable de tout l'Être, de toute la pensée. Il est toute chose et il n'est aucune de ces choses. Il est ce dont toute existence, toute vie, toute valeur émane mais Lui-même est tel qu'on n'en peut rien affirmer, ni la vie, ni l'essence, mais il est supérieur à tout et source absolue de tout.

   b) Pourquoi y a-t-il d'autres hypostases ? Pourquoi ce Dieu plotinien, pourquoi l'Un n'est-il pas seul, pourquoi va-t-il se dégrader dans la multiplicité ? Il n'est certes soumis à aucune nécessité, il ne peut désirer autre chose - car désirer c'est manquer, et Il est plénitude. Mais l'Un est richesse infinie, générosité sublime. La perfection suprême se répand d'elle-même, elle tend à engendrer d'autres êtres, semblable à Elle-même quoique moindres. Ainsi d'un foyer ardent les flammes rayonnent-elles. Le premier-né de Dieu est le Logos, l'Intelligence. Cette Intelligence est le principe de toute justice, de toute vertu et, ce qui est capital pour Plotin, de toute Beauté. L'Intelligence est ce qui fait que la réalité a une forme, qu'elle est cohérente et harmonieuse, qu'elle est Beauté (bien entendu, dans cette deuxième hypostase, on retrouve quelque chose des Idées de Platon, de la pensée qui se pense d'Aristote).

   c) De l'Intelligence procède l'Âme, troisième hypostase (qui évoque le thème platonicien de l'âme du monde et aussi le dieu cosmique des stoïciens). L'Âme est à mi-chemin de l'Intelligence dont elle procède, et du monde sensible dont elle constitue l'ordre. Les âmes individuelles émanent de cette âme universelle. L'âme humaine est aussi comme une parcelle de Dieu lui-même présent en nous. Au-dessous des trois hypostases, le monde matériel représente le stade ultime de cette « diffusion » divine, le point extrême où la lumière vient mourir ; c'est ici que nous trouvons l'épaisseur de la chair, le poids de la matière, les ténèbres du mal. Pourtant, lorsque l'un s'est dispersé, obscurci, abîmé dans le multiple, le multiple aspire à reconquérir l'unité, à s'éclairer et à se reposer en sa source sublime : au mouvement de procession répond ici l'élan de conversion par lequel l'âme, tombée dans le corps, obscurcie dans le mal, va se reprendre et tenter de s'élever jusqu'au Principe originel.

   Gardons-nous pourtant de voir dans le plotinisme un dualisme gnostique. Plotin lui-même a tenu à écrire un Traité contre les sectes gnostiques. Il n'y a pas pour lui un monde du mal rival du monde du bien. Le mal n'a chez Plotin rien d'une substance positive : « Le mal n'est que l'amoindrissement de la sagesse et une diminution progressive et continuelle du bien » (II, 9, 13). L'âme que l'on dit prisonnière du mal est simplement une âme qui s'ignore elle-même, une lumière, dit Plotin, noyée dans la brume. Le mal n'est pas une substance originale, il n'est recherché que pour le reflet du bien qui brille encore faiblement en lui. En ce sens, pour Plotin, se délivrer du mal ce n'est pas comme pour les gnostiques détruire un univers pour naître à un autre, c'est plutôt se retrouver soi-même dans sa vérité. N'oublions pas que c'est la lecture de Plotin qui arrachera un jour le jeune Augustin à ses croyances dualistes manichéennes.

   Toute cette philosophie n'est pas absolument nouvelle. Dans le Timée de Platon, il était déjà question d'une genèse du monde ; et d'autre part la conversion plotinienne fait penser à la dialectique ascendante de Platon. Dans ces deux méthodes de purification, l'idée du Beau joue d'ailleurs un grand rôle. Mais l'œuvre de Plotin a un accent mystique nouveau ; on y sent comme on ne l'avait jamais senti encore le désir et l'effort d'une âme qui veut se trouver et s'anéantir tout à la fois dans l'Un universel et ineffable. C'est ce ravissement de l'âme, cette extase qui a frappé notamment Bergson dans les Ennéades et qui explique que l'auteur des Deux Sources de la morale et de la religion ait placé Plotin au-dessus de tous les philosophes.

 

Texte de Plotin

Livre premier des Ennéades : qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ?

Dans ce livre, Plotin s'est proposé de résoudre une question : Quelle partie de l'âme est séparable du corps pendant cette vie ? Quelle partie ne l'est pas ? question qu'il transforme en celle-ci : Qu'est-ce que l'animal ? Qu'est-ce que l'homme ?

Pour la traiter, il analyse toutes les facultés qui constituent la nature humaine, et, d'après les caractères qui les distinguent, il les rapporte à trois principes essentiellement différents : l'intelligence, qui est toujours séparée du corps ; l'Âme raisonnable, qui est séparable du corps, et l'Âme irraisonnable, qui en est inséparable pendant la vie. A l'exposition de cette théorie se trouve joint nécessairement un résumé succinct de tout le système dont elle n'est qu'un corollaire.

Les passions et les sensations n'appartiennent : 1° ni à l'âme pure, parce que, possédant par elle-même une activité innée, l'âme pure est, impassible; 2° (III-V) ni au composé de l'âme raisonnable et du corps organisé, parce que, si l'âme raisonnable est avec le corps dans le même rapport que l'artisan avec son instrument ou que le pilote avec le navire, les passions ne peuvent passer du corps dans l'âme raisonnable, qui en est la forme séparable, et qui, par conséquent, tout en étant présente au corps, y demeure impassible comme l'est la lumière répandue dans l'air, en sorte qu'elle n'éprouve pas les mêmes passions que le corps, ni des passions analogues ; 3° (VI) ni au corps organisé seul, si l'on admet que les facultés qui s'y rapportent ne ressentent pas ses passions.

Le seul moyen de résoudre les difficultés précédentes, c'est de reconnaître qu'il y a dans l'âme humaine trois parties, l'Âme irraisonnable, l'Âme raisonnable et l'Intelligence.

Âme irraisonnable. Pour expliquer la communication de l'une raisonnable, qui est impassible, avec le corps organisé, qui pâtit, il faut admettre que de l'âme raisonnable émane une puissance inférieure, l'âme irraisonnable: par sa présence dans le corps organisé, l'Âme irraisonnable constitue l'Animal ; c'est à elle qu'appartiennent les passions ainsi que les sensations.

Il y a d'ailleurs dans la sensation deux éléments fort distincts : la sensation extérieure ou passion, qui résulte de l'impression faite par l'objet extérieur sur l'organe, et qui appartient à l'âme irraisonnable; la sensation intérieures, qui est la perception de la passion, de la représentation sensible, et qui appartient à l'âme raisonnable.

Âme raisonnable. La sensation intérieure, l'imagination intellectuelle, l'opinion et la raison discursive sont les facultés de l'âme raisonnable et constituent essentiellement l'Homme.

Intelligence. La pensée intuitive appartient à l'Intelligence, à laquelle la raison discursive emprunté sesprincipes.
   Considéré dans ses rapports avec les trois hypostases divines (Dieu ou l'Un, l'Intelligence suprême, et l'Âme universelle), l'homme, par l'unité qui fait le fond de son être, se rattache à Dieu, à l'Un, qui plane sur le monde intelligible; par son Intelligence, il entre en rapport avec l'intelligence suprême dont il tient ses idées; par l'essence de son âme, qui est tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en tant qu'elle est âme raisonnable ; divisible, en tant qu'elle est âme irraisonnable, en rapport avec les organes), il participe à l'essence de l'Âme universelle, qui est elle-même tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en ce qu'elle est une dans l'univers et qu'elle reste en elle-même tout en répandant partout la vie ; divisible, en ce qu'elle est la Puissance naturelle et génératrice, de laquelle procèdent les âmes sensitives et végétatives ou raisons séminales qui animent tous les corps vivants.

Considérée en elle-même, rime humaine est impeccable et infaillible ; si elle pèche ou si elle se trompe, c'est qu'elle cède aux passions et aux appétits de la nature animale ou qu'elle est égarée par l'imagination sensible. Le caractère des faits qui se rapportent à la nature animale est de ne pouvoir se produire sans les organes; le caractère des faits propres à l'âme est de n'avoir pas besoin du corps pour se produire. La faculté essentielle et constitutive de l'âme, la raison discursive, est indépendante des passions : d'un côté elle perçoit les représentations sensibles, de l'autre elle s'exerce sur les pensées intuitives. (X) Nous désigne deux choses, ou l'âme avec la partie animale qu'elle illumine, ou la partie supérieure, l'homme, qui possède les vertus intellectuelles. Les facultés qui appartiennent à la nature animale s'exercent dans l'enfance, mais l'intelligence illumine alors rarement l'âme humaine, parce qu'il faut réfléchir à ce qu'on possède en soi pour le faire passer de la puissance à l'acte.

Quant au principe qui anime la bête c'est, ou la partie sensitive et végétative d'une âme. humaine qui a péché (partie qui est seule présente dans le corps de la bête), ou une raison séminale qui procède de l'Âme universelle.

Si l'âme humaine pèche et en est punie en passant dans de nouveaux corps c'est qu'au lieu de rester pure, elle est descendue dans un corps, et qu'elle a incliné vers lui en y produisant une image d'elle-même, image qui est l'âme irraisonnable ou nature animale. Elle ne possède plus alors que la vertu active, tandis qu'en se tournant vers le monde intelligible elle possède la vertu contemplative, condition essentielle du bonheur.

Le principe qui examine et résout toutes les questions précédentes, c'est le principe que nous appelons Nous, c'est-à-dire l'âme, qui se considère elle-même par la réflexion.
Quant à l'intelligence, elle est notre en ce sens que l'âme est intelligente; mais la vie intellectuelle est pour nous une vie supérieure.

 



03/09/2008
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